Les apéro-art ont repris à la galerie Houkami Guyzagn sise à Abidjan-Cocody-Riviera II. Samedi 1er février 2025, la 3ème édition de l’apéro-art nouveau a réuni du beau monde autour du thème : « La place du collectionneur dans le système de l’art ». Avec pour modérateur Mimi Errol, critique d’art de renom. Outre le responsable de l’agence Houkami Guyzagn, Thierry Dia, l’on a eu droit aux échanges d’expériences et expertises des critiques d’art Henri N’Koumo (directeur des arts plastiques et visuels au ministère de la Culture et de la Francophonie), Célestin Yao (enseignant-chercheur d’université), les peintres Augustin Kassi, Soro Péhouet, Gladys Anoh et Alia 1er, les collectionneurs Liliane Koffi et Georges Moulot. En présence aussi de Lordiane Dia, manager générale d’Houkami, et Nadia Gnui, sa collaboratrice.
Le débat était houleux. Difficile de s’accorder sur certaines idées reçues. Et chacun campant sur ses certitudes. D’entrée, Mimi Errol a planté le décor. En précisant que le système de l’art fonctionne comme un cercle au centre duquel se trouve l’artiste. Et les autres acteurs de cet écosystème : galerie, médias, mécène, musée, collectionneur… se retrouvent à la périphérie. Pour lui, le collectionneur est quelqu’un de déterminant dans ce système. « L’artiste est le premier élément de ce cercle. Et il est au centre de cet écosystème. C’est lui qui produit. Autour de lui, gravitent tous ceux qui le font vivre. Notamment la galerie, le musée, les médias, le mécène qui accompagne tout le système de l’art, le collectionneur qui est le premier en contact avec l’œuvre de l’artiste en dehors de la galerie. Ce dernier permet à l’artiste de croire et, grâce à lui, le système fonctionne. C’est un soutien incontournable de l’artiste », a indiqué Mimi Errol. Qui insiste : « C’est le rapport que le collectionneur a avec une œuvre qui fait que l’artiste vit et évolue dans le système », a-t-il insisté.
« Je voudrais qu’on aborde le concept de collectionneur en lien avec le concept d’amateur d’art. Pour moi, le collectionneur est celui qui cherche les meilleures pièces. C’est un passionné. Ici, en Côte d’Ivoire, on a plus d’amateurs d’art que de collectionneurs. Le collectionneur est à un niveau supérieur », estime Henri N’Koumo. Pour qui « si l’artiste produit des œuvres d’art, celui qui a la capacité de les apprécier, a le talent pour décortiquer les œuvres d’art, c’est bien le collectionneur ».
Quant à Célestin Yao, il retiendra que « le collectionneur, c’est celui qui est susceptible, capable d’apprécier une œuvre d’art. Il arrive à comprendre toutes les aspérités au niveau de l’artiste et de l’art. Le collectionneur devient après le défenseur de l’artiste. Il promeut après les artistes et les œuvres d’art. Il expose chez lui les œuvres qu’il a acquises. Le collectionneur pour moi est, en réalité, un créateur, un co-artiste. Il est incontournable dans le système. Il arrive à dicter les lois du marché. Sans collectionneur, il n’y a pas d’art dans un pays. Sans collectionneur, il n’y a pas d’artiste. Le dynamisme du marché est régi par la loi des collectionneurs qui sont des enchérisseurs. Les galeristes sont aussi des collectionneurs en puissance, parce qu’ils ont, tout comme les collectionneurs, l’art de collectionner. Thierry Dia est, par exemple, un collectionneur. Le collectionneur est un découvreur de talents et il est capable de dicter la loi aux autres. Il régente le marché. Il influence le marché de l’art. Il montre aux autres ce qu’ils ne sont pas capables de voir. Le collectionneur est celui qui est capable d’apprécier les meilleures pièces. Il est à la fois, à mon sens, artiste, découvreur de talent, trader, co-auteur et créateur ».
Tout le monde n’est pas tout de suite collectionneur Là, Henri N’Koumo a marqué sa désapprobation. « Le collectionneur ne peut, en aucun cas, être considéré comme un co-auteur. Et il ne peut aussi influencer le travail d’un artiste. Le collectionneur est tout simplement est un acheteur », a-t-il argumenté. Pourtant, Liliane Koffi soutient mordicus l’opinion selon laquelle le collectionneur influence le marché. Et qu’il donne le cachet à des pièces. Georges Moulot avance que l’artiste est enfermé dans son atelier. « Mais, dès que son œuvre sort de cet atelier, il en perd la propriété. Après, les autres prennent possession de l’œuvre en l’achetant. Le collectionneur devient comme un co-auteur. Car il existe une interaction entre l’acheteur et le marché, entre l’artiste et le marché, entre l’artiste et le collectionneur…, le collectionneur donnant un cachet au travail de l’artiste », est-il certain.
A en croire le plasticien Augustin Kassi, sans collectionneur, il n’y a pas d’artistes qui survivent. « Les collectionneurs permettent aux artistes de suffisamment créer et vivre de leur métier. Le collectionneur compte donc beaucoup pour l’artiste. Il donne une puissance à la création de l’artiste à un certain niveau. Le collectionneur veut, des fois, maîtriser l’artiste dans son processus de création, dans sa démarche. En Afrique, précisément chez nous en Côte d’Ivoire, on a pour l’instant que des amateurs d’art. Le marché est nouveau et petit. Le collectionneur participe à tout. Il peut ouvrir l’œil de l’artiste dans son approche, sa démarche, son travail. Tout le monde n’est pas tout de suite collectionneur. Le collectionneur spécule, valorise la création de l’artiste. Les collectionneurs sont de gros spéculateurs. Ils régentent, régulent le marché. Ils y imposent leur diktat et desiderata », fait observer le peintre.
A nouveau, Henri N’Koumo revient sur l’idée que le collectionneur agit comme un demi-dieu. Il cherche, selon lui, ce qui est rare. « Le collectionneur est celui qui a un portefeuille financier épais », précise-t-il. Célestin Yao revient pour affirmer que « le collectionneur cherche d’abord ce qui lui fait plaisir. C’est un découvreur de talents, un faiseur d’art. on crée la rareté. Le collectionneur cherche à entrer dans le marché. Il a une multiple dimension. Il a plusieurs personnalités. C’est un vrai enchérisseur. C’est lui qui dicte le marché et ses lois ». Sur sa lancée, Liliane Koffi assure que le collectionneur donne une valeur à la collection d’un artiste. Quand Georges Moulot relève que le collectionneur est multi casquettes. « Il est un élément central de l’écosystème de l’art. Mais, avant tout, pour mieux apprécier son apport dans le système, il faut au préalable un marché, un vrai système », est-il persuadé.
Le plasticien Soro Péhouet, qui reconnaît que c’est grâce à Simplice De Messé Zinsou, grand collectionneur, qu’il a sa carrière aujourd’hui, n’est pas du tout d’accord avec ceux qui estiment qu’il n’existe pas un marché de l’art, un système de l’art en Côte d’Ivoire. « Il y a un écosystème qui existe en Côte d’Ivoire. Pour moi, le collectionneur est un faiseur d’hommes, un faiseur d’artistes. Il booste l’artiste et son travail. Ici en Côte d’Ivoire, il y a des collectionneurs. Et le collectionneur, c’est quelqu’un qui permet à l’artiste de toujours travailler. Il reste certes dans l’ombre et décide de booster le travail d’un artiste. Il est donc le pion central de l’écosystème après, bien évidemment, l’artiste. Sur le marché de l’art, après l’artiste, vient le collectionneur. Le collectionneur, c’est quelqu’un qui a du goût et qui décide de booster ce qu’il aime. Sa place est très importante dans la vie d’un artiste. S’il n’y a pas de collectionneur, il n’y a pas d’artiste. Et il est celui qui entretient le travail de l’artiste. Il entretient la passion de l’artiste. Il fait vivre l’artiste. On est dans un système qui favorise l’économie du marché. Il y a quelqu’un qui crée et il y a un autre qui achète », admet-il. En rappelant : « C’est grâce à Simplice Zinsou que j’ai cette carrière. Le fait qu’il ait porté le regard sur un de mes tableaux a changé mon existence d’artiste ».
Le collectionneur est au centre par rapport au travail de l’artiste
Augustin Kassi apprendra que c’est grâce à Thierry Dia que l’on peut parler en Côte d’Ivoire de jeune amateur d’art, de jeune collectionneur, car il a implémenté le mouvement. « Et Zinsou a donné du poids à beaucoup d’artistes. Il a porté l’art à un haut niveau. C’était un vrai mécène. Toungara aussi, un autre grand collectionneur. Son musée à Abobo est en train de jouer un rôle de promotion de l’art », s’est-il réjoui. Et d’avancer que « le collectionneur est au centre par rapport au travail de l’artiste, par rapport à la survie des œuvres de l’artiste ». Enfin, Georges Moulot soutient que le marché doit grandir. « Il faut grossir le marché. Pour cela, il faut une volonté politique. Les artistes doivent être portés par le ministère de la Culture », propose-t-il.
Pour finir, Célestin Yao apprend que c’est la collection publique qui incite les collectionneurs privés. « En Côte d’Ivoire, il y a une collection ethnique au Musée des civilisations. Il n’y a pas de collection moderne et de collection d’art contemporain. Ce qui n’est pas normal. Il doit avoir un esprit derrière tout ça pour porter l’idée d’entretenir notre collection publique », justifie-t-il. Et de proposer une solution idoine : « Il faut mettre un fonds en place pour entretenir la collection publique pour une collection d’art contemporain. Il faut aussi créer des institutions au sein desquelles existent des musées. Collection publique et collection privée vont ensemble ».
Marcellin Boguy
Légende photo : Une vue des participants au débat sur la place du collectionneur dans le système de l’art.
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