Mardi 22 octobre 2024. A 8h30, nous nous trouvons à la gare routière située dans l’enceinte du Grand marché de Gagnoa, prêt à entreprendre un voyage vers la sous-préfecture de Gnagbodougnoa. Le taxi-brousse que nous empruntons, bien que prévu pour cinq passagers, en accueillera finalement sept : quatre sur la banquette arrière, deux à côté du chauffeur, et le conducteur lui-même.
Dans le coffre, sous les cartons de poison frais, se trouvent des bidons d’une contenance chacune de 20 litres que le chauffeur remplira d’essence à la première station, juste avant le pont du Groupement mobile d’intervention de la police nationale (GMI) sur l’axe menant au quartier Soleil depuis le Centre-ville. Cependant, ce taxi-brousse ne roule pas à essence, mais au gaz butane malgré l’interdiction gouvernementale.
La Côte d’Ivoire a, en effet, interdit l’utilisation du gaz butane comme carburant pour les véhicules automobiles par la loi 92-469 du 30 juillet 1992. Cette interdiction a été mise en place en raison des nombreux risques d’incendie et d’explosion associés à l’utilisation du gaz butane comme carburant.
Le véhicule, un véritable tas de ferrailles raccommodées par endroits, est conduit par un jeune homme aux cheveux mal coiffés et vêtu d’accoutrements défraîchis. « Nous sommes dans un véhicule explosif », ironise mon voisin de voyage. « A la moindre étincelle, tout vole en éclats », renchérit un jeune homme coincé entre trois dames corpulentes sur la banquette arrière. Loin de rire, la situation suscite une peur palpable. Pendant quelques secondes, un silence s’installe. La dame assise juste derrière le chauffeur profite de ce moment pour descendre du véhicule et se soulager dans la broussaille, à proximité du bureau du gérant de la station.
Un paysage transformé
Le trajet se déroule sans encombre, et en moins d’une heure, nous arrivons à Gnagbodougnoa, dans le canton Guébié. A la sous-préfecture, nous sommes accueillis par le secrétaire général, en l’absence du sous-préfet, en tournée dans sa circonscription pour suivre de près le recensement électoral et les audiences foraines en prélude à l’élection présidentielle d’octobre 2025.
En quittant la ville de Gagnoa, on traverse un paysage autrefois luxuriant, recouvert de forêts tropicales denses et habité par une faune variée. Aujourd’hui, cette forêt a été remplacée par des plantations de cacao et d’hévéa qui s’étendent à perte de vue. Les majestueux arbres d’antan ont cédé la place à des rangées disciplinées de cacaoyers et de plants d’hévéa, signes de la transformation économique mais aussi de la perte de la biodiversité locale.
Le chemin, qui mène de la nationale bitumée à partir du village d’Oboudroupa jusqu’à Gnagbodougnoa, est une route en terre battue, rendue particulièrement glissante en cette saison pluvieuse. Les pluies tropicales transforment cette piste en un véritable parcours du combattant pour les véhicules. Les flaques de boue et les nids-de-poule se succèdent, rendant la conduite dangereuse. Le taxi-brousse peine à avancer, ses pneus patinent souvent sur la boue, et chaque virage devient un défi.
Un retour périlleux
Le retour s’annonce encore plus périlleux que l’aller. Au lieu de six voyageurs, nous sommes cette fois-ci sept, avec le chauffeur comme huitième personne. Ce dernier admet une autre personne à partager son fauteuil, passant son bras gauche autour du cou de son voisin pour tenir le volant. C’est ainsi qu’il conduira jusqu’au poste de police de Gnagbodougnoa où il marquera un bref arrêt pour soudoyer le gendarme, qui, allongé dans une chaise longue, se contente d’accepter l’argent.
A Dodougnoa, le chauffeur se débarrasse de son « colis encombrant » aux abords du marché qui a empiété sur la route reliant Gnagbodougnoa à Gagnoa. Malgré les risques innombrables et variés de ce trajet, nous finissons par arriver à destination sains et saufs, non sans une dose d’adrénaline et de soulagement. Un voyage dans la région du Goh est une véritable aventure, marquée par des risques et des défis qui rappellent la réalité quotidienne du transport en milieu rural ivoirien. Ce reportage met en lumière les conditions de voyage précaires, la transformation du paysage local, et l’adaptation des habitants à des circonstances difficiles.
Robert Krassault
Légende photo : Un taxi–brousse comme celui que l’on retrouve en circulation dans la région du Goh, dans le centre–ouest de la Côte d’Ivoire
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