L’Afrique est un continent qualifié de « noir » par l’Occident depuis ses premiers contacts avec cette aire culturelle et encore aujourd’hui, non pas seulement du fait d’être peuplé, en grand nombre, par des populations de race noire mais aussi à cause du caractère « impénétrable » de la culture et de la nature africaine aux yeux des occidentaux. Ainsi, avant même la tragédie de la traite des esclaves et les inégalités ainsi que les injustices instaurées par la colonisation, les rapports entre l’Occident et l’Afrique ont été fondés bien plus sur des préjugés, mythes et idées reçues que sur des connaissances et une volonté d’échange et de compréhension mutuelle. Encore aujourd’hui l’Afrique fascine ou effraie par son mystère et toutes les traditions et pratiques jugées « obscures » pour l’Occident.
Par ailleurs, les médias, généralement occidentaux, qui tentent d’informer le public occidental et le monde entier sur l’Afrique font globalement abstraction de toute la diversité géographique et culturelle qui caractérise, en réalité, ce continent de plus de 700 millions d’habitants. Il faut également retenir que ces médias occidentaux portent un regard sur l’actualité africaine habillé des préjugés et bien souvent du mépris de l’Occident à l’égard de l’Afrique. Les crises politiques et les guerres sur le continent sont méprisées et perçues comme la manifestation d’instinct sauvage alors que ces mêmes crises politiques et guerres existent en Europe. Par exemple, la guerre en Ukraine par ses drames n’est pas différente de la guerre au Soudan. Quant aux crises politiques, celles qu’ont connues récemment l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne n’ont rien de différentes, dans le caractère cynique des acteurs politiques, des crises politiques au Sénégal et en République démocratique du Congo (RDC).
Mais selon que les médias occidentaux parlent des crises politiques en Europe et de la guerre en Ukraine ou des crises politiques en Afrique et de la guerre au Soudan, ils ont des postures différentes. Les médias occidentaux percevront les crises en Europe comme la preuve de la vitalité de la démocratie en Europe et les crises politiques en Afrique comme la preuve des menaces sur la démocratie et la résurgence de la dictature. Quant à la guerre en Ukraine, les médias occidentaux qui soutiennent tous l’Ukraine contre la Russie estiment que les populations ukrainiennes doivent être soutenues au nom de l’humanisme. Les médias occidentaux mobilisent l’ONU, les organisations non gouvernementales internationales et la communauté internationale pour venir en aide aux populations d’Ukraine. Quant à la guerre au Soudan, elle totalement ignorée par les médias occidentaux, tout comme le sort que vivent les populations civiles soudanaises. Aucun média occidental ne mobilise l’opinion internationale pour les populations soudanaise.
Cette situation prouve clairement la nécessité pour l’Afrique d’avoir des médias forts qui vont porter sa voix au monde. Des médias qui vont restituer les réalités que vivent les populations africains telles qu’elles sont ; des médias qui vont également donner la vision africaine de l’actualité monde. Comme le font les médias occidentaux, arabes, chinois et russes. La télévision France 24 et la radio RFI donnent la vision française de l’actualité mondiale, les télévisions CNN et Fox News donnent la vision américaine de l’actualité mondiale, la télévision Al Jazeera en fait de même pour le monde arabe etc. Seule l’Afrique manque à l’appel. Alors que l’Afrique constitue un continent de plus en plus important dans le devenir du monde au plan économique, politique, commercial, culturel, scientifique, militaire, sportif etc. L’Afrique ne disposant pas de médias forts pour donner sa vision de l’information mondiale, ce sont les médias occidentaux qui inondent le continent de l’information vue par l’Occident.
Etant faibles et ne disposant pas de moyens importants, les différents médias (télévisions, radios, journaux, sites d’information) existant sur le continent sont obligés de relayer les informations données par les médias occidentaux. En clair, les médias africains sont sous le contrôle des médias occidentaux en matière d’information. Mais également sous le contrôle d’autres grands pays comme la Chine, la Russie et même de pays en voie de développement tels que la Qatar qui possèdent leurs propres médias forts. L’Afrique demeure donc dépendante en matière d’information. Les journalistes africains sont totalement invisibles sur les théâtres des opérations ou lors des grands événements mondiaux. Aucun journaliste africain ne couvre, par exemple, la guerre en Ukraine ou la guerre entre Israël et le Hamas afin d’apporter à l’opinion publique africaine et mondiale, la vision africaine de ces conflits et dire haut ce que les médias occidentaux pourraient cacher.
Autre exemple important, en 2024, des élections présidentielles auront lieu dans deux des grandes puissances du monde, à savoir les Etats-Unis d’Amérique et la Fédération de Russie, des journalistes africains pourraient se rendre dans ces pays pour couvrir ces scrutins et porter la vision de l’Afrique relativement à ces élections. Tout comme des observateurs électoraux pourraient partir de l’Afrique afin de se rendre aux Etats-Unis et en Russie pour suivre le déroulement des élections présidentielles afin de voir si ces votes se déroulent dans la transparence, la paix et le respects des règles démocratiques.
Il est grand temps que l’Afrique prenne conscient de cet handicap parce que l’information constitue une arme redoutable et importante. Le journaliste franco-camerounais Alain Foka qui a quitté la radio française RFI disait récemment, à juste titre, que « l’Afrique a plus que jamais besoin de son outil de soft power, pour mieux faire entendre sa voix ». Les pays africains doivent prendre des décisions stratégiques afin de disposer de médias forts. Cela est d’autant plus important pour le continent que trois pays africains figurent au sein du grand mouvement des BRICS et il apparaît de plus en plus nécessaire qu’un pays africain soit membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU avec le droit de veto.
Une contribution de
Karim Koné
Politologue malien résidant en Europe
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