« Les femmes et l’art » cas de la Côte d’Ivoire était le sujet de la 5ème édition des apéro arts nouvelle version du centre d’art Houkami Guyzagn sis à Abidjan-Cocody. Samedi 5 avril, plusieurs acteurs de l’écosystème des arts plastiques s’y sont donné rendez-vous pour en débattre en vue d’identifier les raisons de la désaffection de la gent féminine dans le secteur en tant qu’actrices-peintres et en proposer des pistes de solutions pour voir comment les femmes peintres peuvent être autant nombreuses que les hommes à pratiquer le métier et en vivre.
Plantant le décor, Thierry Dia, fondateur du centre hôte, a reconnu que le thème du jour est très vaste. « On ne comprend pas pourquoi il y a très peu de femmes qui exercent dans les métiers des arts comparativement aux hommes. Ce n’est pas normal. Nous pensons que la femme comme l’homme joue un rôle important et peut apporter sa pierre au niveau de la création artistique. Ici, la seule femme qu’on voit au niveau de la peinture, c’est Mathilde Moreau. Les autres ont disparu. Ce fait ne s’explique pas. Nous avons besoin de la sensibilité des femmes dans ce secteur », a-t-il fait savoir.
Le critique d’art Mimi Errol retient que les femmes, dans le monde en général, ont joué un rôle déterminant, de premier plan dans l’évolution de l’art en tant qu’artiste, modèle et galeriste. « En Côte d’Ivoire, on a eu des femmes qui ont été présentes, mais qui sont passées comme si elles n’ont jamais existé. Les femmes étaient dans l’action, dans le système. En tant que peintres, les femmes ont commencé à travailler aux Beaux-Arts, mais c’est resté dans le décor. Exempté Mathilde Moreau. Qui a été présente et est tête de file. C’est déplorable que beaucoup de filles passées à l’Ecole des Beaux-Arts ont commencé à peindre, d’autres l’ont fait de façon autodidacte, mais ont après disparu. Comment comprendre l’existence de la minorité des femmes au niveau de la pratique ? Elles sont certes présentes au niveau des galeries. Il est important de comprendre cet abandon dans la pratique du métier. On ne peut pas parler de la pratique sans entendre parler de Mathilde Moreau, toujours présente, les pinceaux dans les mains, comme la dernière des Mohicans », a-t-il indiqué.
Quant à l’ex-directrice de l’Ecole des Beaux-Arts d’Abidjan, Mathilde Moreau, elle dira que l’histoire de l’art en général fait penser à 5% des femmes. « Les grands peintres se sont inspirés des femmes prises comme modèles. Il existe une sorte d’ignorance comme si l’on avait tendance à ignorer la femme au niveau de l’art », a relevé Mathilde Moreau. Qui, à la question de savoir si l’art peut nourrir son homme, répond : « La femme est créatrice parce que c’est elle qui fait le monde. Il y a la passion d’abord qui guide. Mais il existe des freins dont le mariage. Une fois mariée, la vie de la famille prime sur tout. Dans notre secteur, l’organisation est importante. Il faut savoir s’organiser et allier vie de famille et celle d’artiste. Il faut être déterminée, se dire qu’on est artiste et qu’on peut vivre de son art. si on est organisé et passionné, on peut continuer d’exister en tant qu’artiste. J’ai toujours l’esprit parce que j’ai toujours vécu ça. Je pense que j’ai 20 ans et j’évolue comme ça. Quand on est passionné, on arrive à continuer à peindre. Aujourd’hui, on peut compter les arrivent à s’affirmer. Ces dernières commencent de plus en plus à s’affirmer. Au niveau de la peinture, c’est plus visible. Il ne faut donc pas désespérer. Elles doivent se dire que leur premier mari, c’est leur travail. Il ne faut pas se laisser faire. Il faut, comme je l’ai dit, être organisé, déterminé et passionné ».
Par ailleurs, Mathilde Moreau soutient : « Je vis dans une société. J’ai un métier, une passion que j’exerce. Je ne me pose pas de question d’être aimée, d’être valorisée. Je cherche à avoir une satisfaction dans mon travail. Si j’arrive à extérioriser ce que je ressens, ça me suffit. Je me moque du regard des autres. Porter le nom de son mari n’est-il pas un frein ? Je me pose la question. Je porte mon nom de jeune fille. Pour moi, le mariage est un contrat qu’on peut rompre à tout moment. Or je ne suis pas en contrat avec mon père. Pour moi, porter le nom de mon mari est un frein. Le nom déjà est important pour s’affirmer ».
Les difficultés rencontrées par les femmes artistes
L’artiste-peintre Ozoua Harmonie, revenant sur sa propre expérience de plasticienne, rappelle qu’elle essaie de s’accrocher parmi les hommes. « Un moment, j’avais relâché. Mais mes amis, tous des hommes, m’ont encouragée à poursuivre », nous apprend celle qui a été élève au Conservatoire des Beaux-Arts, du Lycée d’enseignement artistique d’Abidjan (LEA) et du Centre de peinture artistique d’Abengourou. Et de révéler : « L’art est en moi. C’est mon choix. Je me suis accrochée. Je fais mon chemin aux côtés des hommes. Je suis persuadée que mon temps va arriver. Je suis aussi déterminée. Dans l’histoire de l’art en Côte d’Ivoire, on me cite des exemples de femmes dont je n’arrive pas à retenir les noms. On m’a parlé notamment d’une certaine Ozoua Christine aujourd’hui disparue ».
Par ailleurs, Ozoua Harmonie avance qu’elle est passionnée. Et lâche : « Je me forme moi-même au fur et à mesure. Mais je constate qu’il semble exister une lutte entre les hommes et nous les femmes. C’est comme de la concurrence donnant l’impression que les hommes ne veulent pas que nous soyons vues, plus exposées qu’eux. Une sorte de jalousie qui nous plombe ».
La jeune peintre Emmanuelle Aka ne dit pas autre chose. Reconnaissant qu’à son niveau, ses parents l’ont fortement poussée à embrasser le métier. « Mes parents m’ont poussée à faire de l’art. J’ai fait mes classes au LEA, à l’INSAAC. Le constat est qu’il y a moins de filles que d’hommes à s’intéresser à l’art et à prendre des cours pour acquérir les rudiments du métier. Nous étions une poignée de filles sur une pléthore d’hommes en classe. Mais j’ai cherché à m’affirmer, à sortir du lot. Nous étions 3 à 4 dont la plupart s’appuyaient sur les hommes pour faire leur travail, leurs devoirs. Les remarques négatives venant des hommes m’ont boostée, m’ont plutôt permis de m’affirmer. A mon niveau, je n’ai pas connu de réelles difficultés parce que je n’étais pas dans la situation de personne mariée ».
Pour Tatiana Landryse Sessedé, architecte d’intérieur, son plus gros défi a été de convaincre son époux, sa famille dans sa volonté d’évoluer dans l’art. « C’est à 40 ans révolus que j’ai pu m’inscrire à l’INSAAC. Il me fallait assumer ma vie d’épouse et de mère avant toute chose. Je me suis mariée très jeune. L’art est une passion pour moi. Il a fallu d’abord me former. J’ai après monté ma structure de décoration d’intérieur. Mais ce n’était pas suffisant pour moi. Il me fallait m’affirmer face à la stigmatisation vis-à-vis de la femme. Aujourd’hui, je pense être sur la bonne voie. Je commence à mieux m’imposer avec ce que je suis en train de faire et je suis convaincue que les choses iront mieux », a-t-elle estimé.
L’artiste-peintre Arlette Vandaneyeln, parlant de son parcours atypique qui l’a vu exprimer sa passion uniquement que dans des pays africains (Rwanda, Cameroun, Mauritanie), fera savoir que c’est en Allemagne qu’elle a eu le baccalauréat et que c’est pendant ses études qu’elle a commencé à peindre d’abord dans sa chambre. Elle s’est souvenue de ses expositions dans ses pays africains, tout en insistant qu’elle peint sous commande, c’est-à-dire que quand elle a une exposition en perspective. Aussi a-t-elle mis un point d’honneur à dire la place que sa famille, ses enfants occupent dans sa vie d’artiste. Avant de parler de son expérience ivoirienne. « En Côte d’Ivoire, le contact avec les gens est beaucoup plus difficile. Les galeries sont plus professionnelles. Et une dame de mon âge ne les intéresse pas. Je suis en Côte d’Ivoire depuis un an et demi. Je peins quand j’ai un objectif d’exposition. Je suis quelqu’un de têtu, et ça se ressent dans mes expositions. Car je fais ce que je veux. Ma petite expérience se situe exclusivement en Afrique. Je n’ai jamais travaillé en Europe », a-t-elle argumenté.
Comme quoi la famille pèse sur l’évolution des jeunes artistes et que la vie de couple est un facteur limitant. Ce qui fait qu’il existe une vraie sécheresse au niveau du talent des femmes en Côte d’Ivoire. Selon l’artiste Inga Maléambho, qui a, dès le départ, précisé être venue écouter les femmes peintres à cet apéro art, il semble avoir une compétition et « c’est cette donne qui fait que je n’ai jamais voulu faire les Beaux-Arts ». Tout en ajoutant que « de base, je pense que les femmes exultent l’art. Je ne comprends donc pas que le secteur est mené par les hommes ».
« Il faut du temps pour pouvoir se prononcer. Le challenge est très difficile, ce qui fait que beaucoup relâchent. Il y a un aspect social et personnel dont il faut tenir compte. Notre sensibilité fait que nous ressentons les choses doublement et nous sommes tentées d’abandonner. L’organisation, c’est vraiment une question de détermination. Et tant que jeune artiste-peintre, je n’ai jamais eu de confrontation majeure avec les hommes. Si ton travail est bon, on ne fera pas de distinction. Les femmes ici ont un défi, il leur faut de l’autodétermination. Ce qu’elles n’ont pas. Les hommes ont une charge que les femmes n’ont pas. C’est dans leur éducation. Nous, il nous faut de la motivation. Toutes les femmes n’ont pas la capacité de s’automotiver. J’ai moi la chance d’être accompagnée, d’avoir des gens qui croient en moi. J’essaie de me construire, d’avoir un mental. Il faut savoir s’automotiver », pense l’artiste-peintre Adjoua Kouamé.
Le designer Samuel Antwi estime que le fait que les femmes empruntent le nom de leur mari joue sur leur carrière. Mais qu’en plus, « beaucoup de femmes arrivent aux Beaux-Arts par accident. Il y en a qui sont douées, mais qui n’avaient pas envie de faire l’art. cas notamment d’Aïssa Ouattara, très douée, mais pas intéressée d’en faire carrière. Tout comme Marie Kodjo. Les femmes ne sont pas rejetées dans le milieu. Elles se laissent absorber par le mariage. Elles ont la passion, mais pas la détermination. Elles manifestent très peu de détermination ».
Samuel Antwi reconnaît, en outre, que le problème des femmes n’est pas différent du problème des hommes. « Au niveau des hommes, on ne sent pas parce qu’ils sont nombreux. Sinon que le problème est le même. Les gens sont doués, passionnés, mais n’ont pas de considération pour leur propre métier. Ils ne le valorisent pas. C’est comme une maladie, on a perdu des gens très doués, mais parce qu’ils ne croient pas en ce qu’ils font. Il faut considérer son métier comme une activité porteuse. Quand on croit que c’est un jeu, on n’arrive nulle part », est-il persuadé.
Marcellin Boguy


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