Commune de Port-Bouët (Abidjan) – Emmou Sylvestre s’appuie-t-il sur une loi fictive pour contester Cissé Bacongo ?

Dans une vidéo-réponse adressée au ministre-gouverneur Cissé Ibrahima Bacongo concernant la propriété du quartier Abattoir de Port-Bouët, le maire Emmou Sylvestre a avancé plusieurs arguments, notamment l’article 7 de la loi n° 2003-208 du 7 juillet 2003. Ce texte stipule qu’une collectivité territoriale doit être consultée avant la réalisation d’un équipement par l’État ou par une autre collectivité. Toutefois, une analyse rapide à approfondir montre que cette loi a été abrogée en 2018 avec l’adoption du Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées (CGCTD), rendant l’argument du maire factuellement caduc. En effet, même si le principe et l’esprit de concertation demeurent sous d’autres formes, ils ne s’appliquent plus dans les termes de la loi qu’il a citée.

Un décret opposé à une loi : une confusion juridique ?

 Emmou Sylvestre a également évoqué un décret, le présentant comme une preuve de la propriété municipale du quartier Abattoir, ou plutôt simplement de l’administration du quartier, et du fait que des taxes peuvent être levées par la mairie, ou que les résidents peuvent voter dans la commune. Cependant, en droit ivoirien, un décret ne peut pas abroger une loi, sauf si cette dernière le prévoit explicitement. De plus, il n’a pas précisé sur quelle base légale repose ce décret ni en quoi il établirait une propriété foncière municipale au profit de Port-Bouët. Enfin, administrer un territoire, un quartier ne confère pas de droit de propriété à l’administrateur.

En effet, la définition des limites d’une commune par décret ne signifie pas que cette commune possède un titre de propriété sur toutes les infrastructures situées sur son territoire. L’aéroport international Félix Houphouët-Boigny, le 43e BIMA, les cités universitaires ou encore l’abattoir de Port-Bouët sont bien situés sur le territoire communal, mais ils n’appartiennent pas à la mairie.

Une reconnaissance implicite du désordre urbain

 Fait notable : dans sa vidéo, le maire a reconnu que l’abattoir était une source de désordre et nuisait à l’image de la ville d’Abidjan. Toutefois, il s’est abstenu de féliciter Cissé Bacongo pour avoir pris des mesures concrètes sur ce dossier. Malgré plusieurs années à la tête de la mairie, Emmou Sylvestre n’a pas initié de solutions visibles contre ce problème.

Propriété du quartier Abattoir : où est le titre foncier ?

 La véritable question reste celle de la propriété foncière. Le maire affirme que le site de l’abattoir appartient au District autonome d’Abidjan mais que le quartier Abattoir est sous l’administration de la mairie. Ce qui est exact s’agissant de l’administration ! Cependant le fait qu’un quartier soit situé dans une commune ne confère pas automatiquement un titre de propriété à la mairie.

Si le décret de 1980 n’avait pas inclus l’abattoir comme quartier de Port-Bouët, aurait-il alors affirmé que ce site devait être administré par le District ? En réalité, la ville d’Abidjan, devenue District, possède des biens et des infrastructures dans plusieurs communes, mais cela ne signifie pas qu’elle administre directement des quartiers, comme le fait une mairie.

L’article 7 de la loi de 2003 : un texte devenu obsolète

 Le maire a tenté de justifier son opposition aux projets d’aménagement et d’équipement du quartier Abattoir par le District en invoquant l’article 7 de la loi n° 2003-208. Or, cette loi a été abrogée en 2018 avec l’adoption du CGCTD, qui régit désormais les relations entre l’État et les collectivités locales.

Les nouveaux textes, notamment l’article 681 du CGCTD, stipulent que toutes les dispositions législatives ou réglementaires antérieures contraires sont abrogées. Ainsi, l’obligation de consultation préalable des collectivités territoriales pour les projets d’équipement n’existe plus sous la même forme.  Cependant, la collaboration demeure à travers les entités de l’État chargées de superviser les travaux. En effet, le maire a affirmé avoir été saisi par un ministère pour une enquête de commodo et incommodo.

Comment peut-il alors prétendre ne pas être consulté sur les projets prévus ?

 De plus, en refusant de répondre aux appels téléphoniques du ministre, gouverneur, il adopte une posture belliqueuse qui ne fait qu’amplifier les tensions. Pourquoi la loi de 2003 est-elle devenue inapplicable ?

  • Principe de libre administration (Article 136 de la Constitution)
  • La Constitution de 2016 garantit aux collectivités un droit de consultation, mais dans le cadre du CGCTD, et non via une loi de 2003.
  • Dispositions du CGCTD
  • Article 52 : L’État veille à la cohérence des politiques publiques et au respect des compétences des collectivités territoriales.
  • Article 60 : Les collectivités territoriales coopèrent avec l’État dans la mise en œuvre des projets locaux.

Aucune de ces dispositions ne reprend explicitement l’obligation de consultation préalable de la loi de 2003, ce qui confirme son abrogation implicite.

Un faux débat juridique à visée politique ?

 En contestant l’initiative du District avec un texte abrogé, en refusant de dialoguer avec Cissé Bacongo, Emmou Sylvestre donne l’impression politiser ou d’instrumentaliser une question de droit, mais aussi d’argent car la gestion du foncier au quartier Abattoir nourrit les appétits financiers de tous les protagonistes. Or, cette question n’a pas été créée par Cissé Bacongo : avant lui, au moins deux de ses prédécesseurs, Amondji Pierre et Robert Beugré Mambé, ont tenu la même position sur la propriété du quartier Abattoir de Port-Bouët. Selon eux , la zone appartient bel et bien au District.

Un argumentaire fragile basé sur une loi abrogée

 L’analyse montre que l’argumentation du maire de Port-Bouët repose sur un texte désormais inapplicable. Le CGCTD de 2018 a réorganisé l’ensemble des relations entre l’État et les collectivités, rendant la loi de 2003 caduque. De plus, opposer un décret à une loi est une infidélité au droit selon l’expression du maire lui-même, qui aurait dû éviter ce faux raisonnement, même si la loi qu’il conteste date de l’époque coloniale. Dans le système juridique ivoirien, certaines lois et décrets coloniaux continuent d’avoir des effets, tant qu’ils ne sont pas expressément abrogés ou remplacés. Un décret ne peut pas primer sur une loi.

Une instrumentalisation politique du droit

Loin d’être un simple débat juridique, cette polémique illustre une tentative d’instrumentalisation du droit à des fins politiques. À ce jour, la propriété du quartier Abattoir n’a jamais été véritablement ou définitivement établie par un titre foncier en faveur de la mairie, depuis 1980, malgré le décret de 1980. Ainsi, tant qu’aucun titre foncier n’est produit, cette polémique restera un combat politique sans fondement juridique solide.

Source : Afrikipresse.fr

Légende photo : Le ministre-gouverneur du District autonome d’Abidjan, Cissé Bacongo.

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