Football/Didier Otokoré, ancien sociétaire de l’AJ Auxerre : « Guy Roux ne voulait pas que je joue pour les Eléphants »

Didier Otokoré est l’un des premiers footballeurs professionnels ivoiriens à évoluer dans la Ligue 1 française. Comme une étoile très tôt au firmament. 

L’arrivée au foot ?

Je suis arrivé au football par passion. A notre temps, c’était les ‘‘comités’’ (les tournois de quartier). Parfois, on partait jouer dans différents quartiers comme ‘‘mercenaires’’. C’est comme ça que j’ai découvert les grands joueurs de ce pays : Abdoulaye Traoré, Gadji Céli, Magui Serge Alain, en 1983.

Votre Club ?

J’ai fait toutes mes classes au Stade d’Abidjan. En 1985, j’ai été surclassé en sénior étant cadet.

Le départ pour la France ?

C’était le pari d’un dirigeant du Stade d’Abidjan, Bossin Landry. Ayant observé mes qualités, il m’a dit : « Didier je t’envoie jouer à Auxerre, en France. Si tu échoues, j’assume, mais si tu réussis, j’en serai fier ». C’est ainsi qu’il a pris en charge tous les frais de voyage.

Auxerre ?

J’ai fait 2 mois en division d’honneur. Je me suis retrouvé un mois en réserves, et 6 mois en équipe première. En une année, j’ai gravi tous les échelons pour atteindre le sommet. Je suis arrivé en France avec mes qualités et certaines aptitudes. Après, la carrière ne s’est pas déroulée comme je l’avais espérée mais c’était quand même enrichissant.

Une carrière pas comme vous l’espériez ?

Il y a eu des frictions entre mon entraîneur Guy Roux et l’équipe nationale de Côte d’Ivoire. Il ne voulait pas que je joue pour les Eléphants. C’est la FIFA qui a tranché en ordonnant à Auxerre de me mettre à la disposition de la sélection ivoirienne. Il faut dire que j’étais comme l’espoir d’Auxerre. J’étais conscient de mes qualités mais je pense que dans mes rapports avec mes dirigeants, j’ai aussi manqué de patience.

 

Vos rapports avec Guy Roux ?

Très tendus. Guy Roux avait beaucoup trop d’estime pour moi. Moi également j’avais autant d’affection pour lui. C’est une histoire de « je t’aime moi, non plus ». Vous savez, quand vous êtes trop attachés l’un à l’autre, personne n’est tolérant et cela détruit vos rapports. Je suis parti d’Auxerre, je suis revenu. J’ai été prêté à Guingamp en Ligue 2. Après, je suis allé à l’AS Cannes et à Sochaux.

L’équipe nationale ?

J’ai fait la CAN 1988 sans grand succès. C’est en 1992 que ce fut le triomphe. Pour moi, c’est une étape inoubliable. Avant de venir en sélection, j’ai posé une condition : « Je viens pour jouer. Si c’est pour faire banquette, c’est non ! » J’ai été écouté.

Les anciens coéquipiers de la sélection ?

J’ai gardé de bons rapports avec tout le monde. La CAN 1992 a mis au monde une famille d’internationaux qui restent toujours ensemble et unis. Le temps passe mais rien ne change dans nos relations.

La maison offerte par le Président Houphouët-Boigny en 1992 ?

Elle est là.

Vous l’habitez ?

Non.

Pourquoi ?

Je ne suis pas obligé de l’habiter. J’ai le droit d’en faire ce que je veux, n’est-ce pas ?

Certains ont vendu la leur ?

Ici, en Côte d’Ivoire, les gens ont des problèmes avec les maisons. Ils pensent que vendre sa maison est un signe de pauvreté. C’est faux, et c’est une erreur. En Europe, obtenir une maison est un souci secondaire. Là-bas, on cherche à gagner d’abord de l’argent, à s’assurer un avenir meilleur. C’est vers l’âge de 50 ans ou 60 ans que l’on se cherche une maison. Ici, dès qu’on te voit vendre ta maison, on se met à parler, à faire des suppositions interminables. C’est triste car la maison n’est pas une fin en soi.

Comment vit Otokoré aujourd’hui ?

Ça va, je me sens bien.

La situation sociale ?

Je travaille, je suis consultant à Canal+.

Et avant CANAL+ ?

Je suis conseiller du président de l’Association des Footballeurs Ivoiriens (AFI), Cyrille Domoraud. Mais avant cela, j’ai été directeur sportif et entraineur du Stade d’Abidjan et du Denguélé d’Odienné. C’est moi qui ai fait monter le Séwé Sports de San-Pedro en Ligue 1 en 2009. C’est avec moi que Traoré Lacina et Serey Dié se sont révélés à la Côte d’Ivoire.

Le football ivoirien ?

Le niveau du football ivoirien a fortement baissé. Il n’y a plus de vedettes sur nos stades. Par le passé, il y avait au moins une vedette dans chaque club même dans ceux de l’intérieur du pays. Les supporters connaissaient tous les joueurs du championnat. Certains sont capables de faire le classement intégral d’une équipe avant son annonce officielle par l’encadrement technique. Aujourd’hui, ils ne savent même pas quels sont les joueurs de l’AFRICA Sports ou de l’ASEC MIMOSAS. Il arrive que ces deux équipes se rencontrent et des supporters ne le savent pas. Le derby a lieu et Abidjan est calme, la vie est normale. C’est incroyable. Nous vivons une autre époque. S’il n’y a plus de joueurs ‘‘génies’’ sur les terrains, ils vont y aller pourquoi ?

Le niveau baisse à cause seulement du manque de ‘‘génies’’ ?

Ce n’est pas tout. Il y a la mauvaise influence de certains centres de formation. La formation de masse, uniformisée. C’est ce qui est transporté dans les championnats tant en ligue 1 qu’en ligue 2. Toutes les équipes jouent de la même façon et ont pratiquement le même niveau. En réalité, tous les ingrédients sont réunis pour tuer l’engouement chez les supporters.

Il y a CANAL+ ?

CANAL+ contribue quelque peu aussi à vider les stades puisqu’elle fait passer des matches des championnats et des coupes européennes tout le temps. Cependant, cette chaine n’est pas entièrement fautive. S’il y a des joueurs au talent exceptionnel et capable d’enivrer les foules, CANAL+ ne peut pas empêcher les gens d’affluer au stade. En Europe, où CANAL+ est née, les stades sont remplis parce qu’il y a du talent dans les équipes.

Propositions ?

Il faut commencer par les centres de formation en leur disant qu’il faut laisser le talent des enfants s’exprimer. On ne peut pas faire les passes tout le temps. Ils sortent des centres de formation avec un jeu stéréotypé. Moi, quand je suis arrivé à Auxerre en 1985, mon entraineur m’a laissé faire mon jeu fait de dribles et de courses folles. Il m’a laissé faire pendant longtemps. C’est plus tard qu’il m’a dit ce qu’il fallait faire du ballon aux abords des 18 mètres (surface de réparation). Il m’a aussi appris à quel moment précis il faut faire la passe aux partenaires et comment les faire selon nos différents positionnements sur le terrain. Jamais, il ne m’a interdit d’effectuer mes dribles. Ici c’est le contraire. Pas de dribles, rien que des passes et n’importe comment.

Ensuite ?

Ensuite, il y’a le nombre insuffisant de clubs en ligue 1 ivoirienne. La Côte d’Ivoire est l’un des rares pays au monde où le championnat de ligue 1 se joue avec 14 clubs. C’est exceptionnel ! En principe, il faut 18 clubs ou un minimum de 16 clubs. Avec 14 clubs, le champion de ce pays peut-il être compétitif sur la scène internationale ?

Pour finir, il est important pour le football ivoirien que les centres de formation ou les écoles de football signent des contrats de partenariat avec les clubs. Dans ces conditions, ils vont constituer la réserve de ces clubs qui pour la plupart, n’en ont pas. Ainsi, ils donnent les joueurs aux clubs. Ces derniers une fois transférés, permettent à ces centres de gagner de l’argent en qualité de ‘‘Club formateur’’.

Des enfants ?

Six, deux filles et quatre garçons. Le premier a 25 ans et la dernière 8.

Une confidence ?

Lorsque je suis arrivé en France, j’ai vécu un véritable choc des cultures avec mes coéquipiers d’Auxerre. Je me croyais à Abidjan et je disais « bonjour », « bonsoir » à tout le monde à l’entraînement. Un jour, ils m’ont répondu : « Didier tu nous importunes avec tes multiples salutations. Ici, on salue une seule fois. Celui que tu vois le matin c’est « bonjour » et c’est terminé. Si vous vous revoyez le soir, pas de « bonsoir ». J’ai dit OK. Une fois, lors d’une visite du président François Mitterrand à Auxerre, j’ai dit à mes amis : « Vous dites qu’on salue une seule fois dans la journée, n’est-ce pas ? Je ne saluerai le président qu’une seule fois aujourd’hui, vous allez voir ! »

Quand le président est arrivé, on lui a tous serré la main le matin, le soir, en repartant, il est revenu serrer une nouvelle fois la main des joueurs pour dire au revoir. A mon tour je lui ai dit : « Président, on s’est déjà vu le matin donc ce soir pas de salutations ! » Il est resté devant moi, la main tendue. Je ne l’ai pas salué. Tout le monde était surpris. Le président a souri et il a continué son chemin. Lorsqu’il est revenu une autre fois, il a demandé à me voir.

Sans rancune ?

Non pas du tout. Au contraire, il a été marqué par cette différence de comportement qu’il a trouvé authentique. C’est le président Mitterrand avec pour premier ministre Jacques Chirac qui m’a octroyé la nationalité française par décret. Vous comprenez, j’ai été fait français par décret présidentiel. C’est une particularité.

Arthur Zébé

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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