Hommage / Feu Kouyo Zohoury Faustin, ancien international ivoirien : « Perdre un derby Asec-Africa était un deuil »

Pendant 20 ans, Zohoury Faustin a fait étalage de son intelligence de jeu et de ses qualités techniques sur les stades de Côte d’Ivoire et d’Afrique. A son domicile de Yopougon, au milieu de ses proches, il lève le voile sur ses souvenirs, ses convictions et sa nouvelle vie.

En 1970, dans la ville de San Pedro, un jeune homme originaire du village de Ziplignan, dans la région de Gagnoa, apprend le dessin en bâtiment avec la petite entreprise de son frère aîné Krizo Nicolas. Doté d’un talent inouï et d’une technique insolite lorsqu’il se trouve sur un terrain de football, il est admis dans l’équipe de l’ARSO FC qui joue la ligue des entreprises et des établissements commerciaux.

 

Un villageois qui découvre Abidjan

Au fil du temps, les qualités de Zohoury s’affirment, s’imposent. Séduits, Achi Adouan Gilbert, président des supporters de l’Asec, et l’architecte feu Aubin Lazare, décident de le faire venir à Abidjan. Ils lui achètent un billet d’avion Air Ivoire. « Moi, un villageois, je suis venu par avion. Je ne connaissais pas notre capitale. J’ai découvert Abidjan grâce au football », dit-il. Une fois à Abidjan, il continue de travailler à l’ARSO, à l’époque situé en face de l’hôtel Sobroko, en attendant de s’ouvrir une porte dans le championnat national.

En 1973, il est recruté par l’Asec du président Lanzeni Namogo Poto Coulibaly. Le terrain d’entrainement de l’équipe se trouvait à l’école nationale de gendarmerie. « Mon premier jour d’entrainement a été une épreuve. J’étais pris à la fois d’émerveillement et de stupéfaction parce que je me trouvais en face de mes idoles, des grands noms du football ivoirien. Akran Jean Baptiste, Pokou Laurent, Zan Séri, Abdoulaye Ouattara dit Combino, Lué Bouazo Valentin. Je me demandais à quelle place j’allais me mettre. Pourrais-je jouer ? » Cependant, il se bat de toutes ses forces pour se frayer un chemin. Il est adopté par ses coéquipiers, les dirigeants et la plupart des supporters.

A l’Asec, il se retrouve devant ses idoles…

En 1974, il est sélectionné pour participer à la coupe ivoiro-libérienne au Libéria avec l’équipe nationale junior. Il s’y retrouve, entre autres, avec Miézan Pascal, Zahoui Madou Laurent et Gomet Alexis. En 1977, il est à Tunis pour la première coupe du monde des juniors. L’aventure s’arrête net dès le 1er tour. En 1979, c’est la coupe ivoiro-gabonaise au Gabon. Au cours de ce tournoi, ses ambitions seront très vite dissipées par les réalités du terrain. Il ne gagne pas la compétition. Dans la même année, Zohoury Faustin participe aux éliminatoires de la coupe d’Afrique des nations de Lagos, au Nigéria. Qualifiés, la préparation des joueurs s’effectue au Soudan puis en Argentine. Il est présent au Nigéria avec la sélection mais ses coéquipiers et lui n’iront pas au 2e tour.

Au retour de la CAN, il est champion de Côte d’Ivoire avec l’ASEC et termine co-meilleur buteur de la saison avec Gbizié Léon (22 buts). Ils seront fêtés à l’Hôtel Ivoire par la FIF dirigée, en ce moment-là, par Amani N’Guessan. En septembre 1981, au cours d’un match ASEC-AS Kaloum, il se blesse et sera absent des stades durant plusieurs mois.

Entré à la police en janvier 1983, il intègre ensuite l’équipe de l’AS Police. Sa carrière de footballeur prend fin après la saison 1989-1990 avec l’AS Police. Il prend sa retraite de police en 2009 avec le grade d’adjudant-chef à la brigade mondaine de la préfecture de police d’Abidjan. Ses plus beaux souvenirs sont ses titres de champion de Côte d’Ivoire et meilleur buteur en 1980, sa participation à l’unique CAN de sa carrière en 1980 à Lagos, au Nigéria.

 

Soupçonné en 1981 de vouloir à l’Africa

Il évoque cependant ses pires souvenirs avec beaucoup d’amertume. « En septembre 1981, j’ai été soupçonné par l’Asec de vouloir signer à l’Africa parce que Simplice Zinsou, président de l’Africa, voulait m’aider à assurer les soins médicaux relatifs à ma blessure contractée face à l’AS Kaloum. Les dirigeants de l’Asec sont entrés en conflit avec moi, et m’ont demandé de me soigner tout seul. C’est surtout Bamba Siaka, à l’époque agent de banque, qui dirigeait cette ruade contre moi. Il y a aussi mon incarcération par les dirigeants de l’AS Police en 1988. Ils me reprochaient d’avoir répondu à la sollicitation de l’Asec pour un match de coupe d’Afrique contre AS Douanes de Dakar. J’ai été libéré après 2 semaines de détention sur l’intervention Georges Ouégnin. « Ce sont des faits tristes, inoubliables », se souvient-il.

En jetant un regard sur son parcours footballistique, il regrette de n’avoir pas gagné une coupe d’Afrique des nations ni une coupe d’Afrique des clubs champions avec l’Asec. Il aurait aimé avoir une carrière professionnelle mais à leur époque, le professionnalisme n’était pas une préoccupation. Ils aimaient le football, les couleurs du club. « Nous, on jouait par amour du foot. L’argent venait après », dit-il.

Il est sûr que son village Ziplignan qui a déjà produit de grands joueurs tels que Obrou André, Zahoui François, Wallé Julien, Billy Jean-Paul, Kabi Apollinaire, Okou Charles Roger, Beugré Boli, Zoro Marc, Afri Damazo, réussira un jour à donner à la Côte d’Ivoire quelqu’un de plus grand. « Ce sera un joueur de la trempe de Drogba et d’Eto’o. Il aura la carrière internationale que nous n’avons pas eue », est-il convaincu.

 

Libéré de prison grâce à Georges Ouégnin

Zohoury Kafal, son dernier fils, joue très bien au football mais aucune équipe n’accepte de le recruter. « Aucun dirigeant et aucun entraineur parmi tous ceux que j’ai approchés n’a voulu le prendre dans son équipe. Le plus surprenant, c’est qu’il ne tente même pas de le mettre à l’essai. Il faudrait que les enfants des anciens joueurs qui ont du talent puissent avoir une possibilité d’être testés. Ce serait une façon de reconnaitre les mérites de leurs parents et de leur rendre un hommage. Marseille l’a fait avec les fils d’Abedi Pélé, l’Asec avec le fils d’Akran Jean-Baptiste, Santos avec le fils de Pélé », souligne-t-il.

Selon lui, la FIF doit être dirigée par des anciens footballeurs, car ils sont mieux imprégnés des techniques de jeu, des enjeux du football. « Les anciens joueurs sont mieux avisés pour organiser le football, leur regard peut être plus juste dans le choix des entraineurs, des équipes nationales masculine et féminine. Aujourd’hui, c’est le combat mené au Cameroun par Antoine Bell et au Maroc par Badou Zaki. Il est important de laisser le football aux footballeurs ».

Il déplore aussi la prolifération des centres de formation. Ils constituent un désordre qui mène la Côte d’Ivoire à la dérive car ce n’est plus sur le critère du talent ou du génie que l’on recrute les enfants mais par le volume du portefeuille des parents. « C’est un laisser-aller auquel on doit mettre fin. Seuls les centres de formation rigoureux, honnêtes et ambitieux doivent être autorisés à fonctionner. Ceux fonctionnant avec un air d’espaces commerciaux doivent être fermés. »

 

Le championnat a perdu son intérêt

Son avis sur le championnat national actuel n’est pas encourageant. Selon lui, il a perdu tout intérêt. Les différentes équipes du pays ne comptent plus, dans leurs effectifs, des athlètes de génie capables d’attirer les foules ou de les enthousiasmer. « A notre temps, il y avait des doués. Des gens partaient au terrain pour certains d’entre nous, juste pour les voir évoluer balle au pied. Aujourd’hui, les matches Africa-Asec sont froids. Parfois, on ne sait même pas qu’ils sont en train de s’affronter. Les joueurs eux-mêmes, n’ont plus la rage de vaincre le rival. Par le passé, une défaite dans un derby est équivalente à un deuil. C’était trahir les supporters », se souvient-il.

Zohoury Faustin habite désormais Yopougon Kouté terminus 40 avec sa famille. Entouré de son épouse Bocongo Lamoussa Catherine, ses enfants et de ses petits-enfants, il vit tranquillement sa retraite. « J’ai eu cette maison en 1976 grâce aux dirigeants de l’Asec. Ce sont eux qui ont payé la caution au départ. Ensuite, ils ont soldé ». Il a 6 enfants, 4 garçons et 2 filles. Kouyo Pierre Arthur résidant en France avec sa sœur Kouyo Michelle. Kouyo Hans, Kouyo Fadé Grâce Déborah, Kouyo Serges Aristide l’ainé et Zohoury Kafal sont à Abidjan.

C’est Adjoukoua Gaston qui m’a donné ma femme

« Le football m’a donné beaucoup de choses et beaucoup de joie ». Il explique que c’est Adjoukoua Gaston qui lui a présenté une jeune fille en 1976 à Adjamé Saint Michel. Cette fille est son épouse actuelle. « C’est Adjoukoua qui m’a donné ma femme dont le père était un agent de la compagnie aérienne Air Afrique ».

Après près de 20 ans de concubinage, ils se sont mariés légalement en 1994. Il a gardé de bonnes relations avec ses parents du village et la grande famille. « Je suis toujours resté en contact avec mes parents ». Le natif de Ziplignan, auréolé de 90 sélections en équipe senior et junior de Côte d’Ivoire a gardé de très bons rapports avec le milieu du football mais particulièrement avec Gomet Alexis, Bawa Paul, Timité Vassouleymane et Gohi Marc qui demeurent ses plus proches amis.

« On se retrouve souvent pour parler de notre passé de footballeur. On se confie aussi nos soucis et nos joies. C’est important pour nous », dit-il.

Arthur Zébé

(Réalisé avant son décès le 11 septembre 2021)

 

 

 

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