Tiken Jah Fakoly, l’autre star ivoirienne du reggae, s’est confié à la radio française RFI. Il parle de sa carrière, de l’impact du covid-19 sur l’industrie musicale et de la politique en Afrique. Il se prononce sur la récente décision du président sénégalais Macky Sall de ne pas briguer un troisième mandat en 2024.
RFI : Avez-vous l’impression que la crise du Covid-19 qui a tant touché l’économie culturelle est définitivement derrière nous ?
Tiken Jah Fakoly : Oui, je crois que la crise est derrière nous, en tout cas en ce qui me concerne. Je peux le constater aussi chez mes collègues. Les concerts ont repris partout. Je sais qu’il y a plus de 200 festivals prévus en France. Nous, on a la chance d’être en quatrième position parmi les artistes qui tournent le plus. En tout cas, les choses ont repris, les choses ont repris complètement.
J’imagine, tout simplement, que ça fait du bien ?
Ah, oui. Et cela fait du bien parce que, pendant la pandémie, on ne pensait même pas que ça allait reprendre. On se posait des questions. Donc ça fait du bien aux fans aussi de nous retrouver sur le festival.
Grâce à ces concerts, vous faites vivre combien de personnes, combien de familles ?
Dans mon équipe, nous sommes au total 16 sur la route. Ça me permet donc de payer mes employés à Bamako, de payer aussi mes employés à Abidjan puisque j’ai Fakoly Productions à Abidjan, Fakoly Productions à Bamako, un studio d’enregistrement à Abidjan. La seule bibliothèque reggae d’Afrique et deux salles de répétition.
C’est vrai que ces entreprises nous rapportent un peu d’argent, mais pas assez pour payer tout le monde parce que notre objectif, c’est d’encourager la nouvelle génération. Donc, on ne peut pas leur faire payer plein pot, on ne gagne pas assez d’argent. Les concerts que je fais en Europe me permettent de payer tous ces employés.
Vous chantez à l’étranger depuis presque 30 ans maintenant. Est-il néanmoins toujours aussi difficile pour les jeunes musiciens africains d’obtenir les visas, d’obtenir les papiers pour venir travailler, comme vous le faites, à l’étranger ?
Tout est difficile aujourd’hui pour les nouvelles générations. Il y a le visa, mais ça, c’est aussi parce que certains de nos collègues ont exagéré et ont essayé de blaguer avec ceux qui donnent les visas. La tâche est donc très difficile pour la génération d’aujourd’hui. Aujourd’hui, pour signer avec un label en Europe, il faut être original, il faut sortir de l’ordinaire. Il faut venir avec un son nouveau. Quelque chose qui puisse attirer tout de suite l’attention des gens et c’est ce qui peut faire qu’aujourd’hui, on puisse s’imposer.
Avez-vous l’impression que le public en Europe se rende bien compte de la situation politique, sécuritaire en Afrique de l’Ouest ? Je pense au Mali, au Burkina Faso…
Pas complètement. Mais grâce à des gens comme nous. Je ne suis pas le seul, il y a d’autres artistes qui en parlent dans les chansons. Les problèmes de sécurité dans le Sahel, les médias en parlent en France. Mais les gens ne voient pas jusqu’où on est, ne voient pas la gravité de la situation. Il y a des pays qui sont carrément menacés aujourd’hui. Les gens savent, mais ils ne savent pas jusqu’où on est en difficulté.
Et vous avez néanmoins dit récemment que vous gardez beaucoup d’espoir, car tous les pays du monde sont passés par des difficultés…
Bien sûr. Moi, je me réfère très souvent à l’histoire. Quand je regarde l’histoire de la France, quand je regarde aussi l’histoire des États-Unis, je sais qu’il y a eu beaucoup de choses pour qu’ils en arrivent là, (des présidents assassinés, des coups d’État en France…) Je pense que l’Afrique est dans un processus normal. Je n’ai pas peur. J’ai espoir parce que je pense qu’on va sortir de tout cela et qu’on sera un continent stable un jour, parce que les autres sont passés aussi par tout cela. Donc je garde espoir. Le plus important, c’est de ne pas s’asseoir pour dire « ça va aller, dieu est grand, dieu va nous aider ». Et j’ai toujours dit aux Africains que Dieu est très occupé, parce qu’il doit s’occuper des Asiatiques, il doit s’occuper des Américains, il doit s’occuper des Russes. Si nous, on s’assoit pour dire « ça va aller », il va s’occuper de ceux qui bougent. Moi, j’ai l’espoir et c’est pourquoi on se bat pour réveiller les Africains et leur dire : personne ne viendra changer ce continent à notre place, si on veut, on peut y arriver.
Un mot sur le Sénégal où, à un moment, on vous a empêché de jouer. Récemment, le président du Sénégal, Macky Sall, a annoncé qu’il ne serait pas candidat pour un troisième mandat. Comment appréciez-vous cette décision ?
Je salue cette décision. Effectivement, je pense comme les autres. Il y a eu déjà des morts et c’est vraiment dommage. Ces chefs d’État sont pris en otage par leur entourage qui se dit : « Si le président s’en va, je perds mon poste. » Donc, il faut être courageux pour annoncer cela. J’ai même appris que François Hollande en France, à l’époque, n’a pas prévenu tous ses collaborateurs. Si tu t’amuses à faire un troisième mandat là-bas, cela risque de se passer très mal. Donc, c’est une décision que je salue même si elle vient un peu tard. Mais il faut quand même saluer cette décision, ça fait moins de morts.
Vous n’aimez pas trop rentrer dans le secret : en parallèle de tous ces concerts, vous êtes dès que possible en studio pour enregistrer votre douzième album. Que va-t-il y avoir dans le disque ?
J’ai toujours rêvé, j’ai toujours voulu enregistrer un album acoustique, c’est-à-dire avec moins d’instruments, dans un autre style. Donc, voilà, c’est ce qu’on est en train de faire aujourd’hui. Et je voudrais préciser que ce sont des anciens titres que nous revisitons comme Plus rien ne m’étonne, Tonton d’America, Délivrance, Justice, Les Martyrs… Pour ceux qui connaissent mon répertoire, ce sont des titres que vous allez retrouver en acoustique. On a déjà commencé et je peux vous assurer que ça sonne très bien. C’est revenir aux racines, c’est ça.
NB : La titraille et le chapeau sont de « Le Monde Actuel »
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