Une lutte sans merci de positionnement et d’influence sévit au sein du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), la nouvelle formation politique créée en 2021 par l’ancien chef de l’Etat, Laurent Gbagbo. Les anciens compagnons de lutte de Gbagbo sont en conflit avec son nouvel entourage qui est perçu comme fermé et exclusif. Et la déclaration de Gbagbo sur le rajeunissement du parti suscite également des controverses. Certains militants vont jusqu’à penser que pour certaines décisions, soit il perd pied, soit il est manipulé voire utilisé en couverture par son nouvel entourage pour écarter l’ancienne garde.
Une grave crise fait actuellement rage au Parti des Peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) qui est principalement liée à un conflit de positionnement et à des tensions entre l’ancienne garde (les anciens camarades et compagnons de lutte de Gbagbo) et le nouvel entourage de Laurent Gbagbo. Un haut cadre dudit parti, ex-compagnon de lutte de l’ancien président ivoirien, s’est confié longuement à nous, sous le couvert de l’anonymat, sur la vie tumultueuse de cette formation politique de l’opposition ivoirienne.
Laurent Gbagbo, affirme-t-il, a été absent sans être vraiment parti de la scène politique nationale. Pendant les dix années durant lesquelles il a été loin de ses camarades politiques, dont une partie était en exil et la majorité restée dans « la fournaise de l’après-guerre », il n’était pas permis, à la large majorité des cadres et militants politiques, de le rejoindre là où il était. C’était l’époque de « Gbagbo a dit ». En effet, seuls quelques privilégiés qui avaient accès à lui rapportaient le message censé être le sien. Était-ce vraiment son message ? La question reste posée.
Mais toujours est-il que cette longue période lui a permis de se construire un nouvel entourage, de nouveaux proches, loin de ses anciens camarades de lutte qui se retrouvaient également en situation de détention ou en exil dans la sous-région ouest africaine. En conséquence, quand Laurent Gbagbo rentre enfin en Côte d’Ivoire, le 17 juin 2021, il rentre avec ce nouvel entourage. C’est ce nouvel entourage, de l’avis de notre interlocuteur, qui veut s’imposer comme seul entourage de Gbagbo. « Le malheur pour les cadres, militantes et militants du PPA-CI, c’est que ce nouvel entourage n’est pas politique, il n’a aucun encrage politique au plan local. Parmi les animateurs de cet entourage, rares sont ceux qui revendiquent un leadership local, régional, départemental, voire même villageois », précise ce haut cadre du PPA-CI, compagnon de lutte de Gbagbo.
Gbagbo se bâti un nouvel entourage, exit ses anciens compagnons
Les membres de cet entourage n’ont pour seul objectif que de rester le plus longtemps possible proches du président Laurent Gbagbo, même si le prix à payer est d’écraser le capital politique du mentor du PPA-CI, estime notre interlocuteur. Et ses anciens camarades de lutte que Gbagbo peut voir désormais plus fréquemment deviennent, dès lors, des personnes à « abattre » pour ce nouvel entourage. « Nous, qui avons tout donné depuis 1990 à suivre la vision de Gbagbo, à épouser cette vision, à l’accompagner dans ses missions de village en village, de meeting à meeting et qui avons tout laissé pour être derrière lui, ne pouvons pas regarder que tout ce capital politique, acquis de haute lutte, soit piétiné aussi légèrement pour des petits intérêts personnels, pour qu’il disparaisse à la fin », prévient notre interlocuteur courroucé.
Tout en insistant sur le fait que cet entourage de Gbagbo reste fermé à l’anciens compagnons de lutte de Gbagbo , notre interlocuteur rappelle fort à propos que quand on a entendu le président du PPA-CI « justifier la nomination du camarade professeur Hubert Oulaye au poste de président exécutif du PPA-CI, comme étant la reconnaissance par le président Gbagbo au peuple Wê voire la récompense pour ses parents Wê qui ont payé de leur vie leur proximité avec sa vision politique et que seulement deux années après, il le dégomme aujourd’hui aussi facilement, sans aucune explication, sans un autre discours de réorientation. Cela répond à quelle logique ? Le peuple Wê n’est-il plus celui qui a le plus souffert de la guerre post-électorale pour son attachement au président Laurent Gbagbo ? »
Par ailleurs, précise-t-il : « Vous entendez ces dernier temps le président Gbagbo déclarer qu’il veut rajeunir le parti. Mais n’est-ce pas le président Laurent Gbagbo lui-même qui disait que la politique n’a pas d’âge ? Eh bien ! Le président Laurent Gbagbo que nous connaissons tous est un homme fidèle à ses amitiés, un homme fidèle à ses idéaux, un homme fidèle à ses principes, un homme fidèle à sa parole, à ses discours, le président Laurent Gbagbo ne change pas au gré du vent ou des intérêts du moment. C’est pourquoi beaucoup de militantes et militants pensent que ce sont des gens qui lui font faire et dire des choses. Ce sont là des clichés pour écarter l’ancienne garde. Et les militants ont certainement raison à leur niveau de conclure à de la manipulation, mais moi personnellement, je dis plutôt que le président Laurent Gbagbo, parce qu’il ne sort pas beaucoup, qu’il rencontre très peu de monde et qu’il ne voit pas souvent ses compagnons politiques, est lourdement abusé par son nouvel entourage, qui lui fait ainsi gravement piétiner son énorme acquis politique national », tranche-t-il.
« Ils cherchent à débrancher Gbagbo du peuple »
« Voyons, cher monsieur le journaliste, concevez-vous un seul instant que le président Laurent Gbagbo puisse passer une semaine à dix jours en Côte d’Ivoire, sans rencontrer ni parler avec des personnalités comme les ministres Oulaye Hubert, Lida Kouassi, Léon Emmanuel Monnet, Amani N’Guessan Michel, Lia Bi Douayoua, Assoa Adou, Ettien Amoakon, les ambassadeurs Koné Aboubakar, Koudou Kessié, l’Honorable Wayou Claude, les camarades vice-présidents Laurent Akoun, Gnahoulé Oupoh, Tiacoh Thomas etc. pour ne citer que ceux-là, qui ne demandent qu’à échanger avec leur mentor et camarade de lutte pour relancer véritablement le combat politique sur le terrain ? », s’interroge-t-il. « Et remarquez ceci, monsieur le Journaliste : chacune de ses personnalités représente au moins une région sur l’échiquier politique national. Mais, je suis au regret de vous informer que les visites de ses personnalités chez le président Laurent Gbagbo sont très rares et font aujourd’hui l’objet de négociations de longue date et sont sujettes à des reports renouvelés ».
Les initiatives, aujourd’hui, autour de l’ancien chef d’Etat ivoirien semblent donc être faites, selon notre interlocuteur, pour l’éteindre politiquement. « En tout cas, les gens qui sont autour de Gbagbo, soit le sachant, soit innocemment ou bien sont-ils en mission, contribuent à son extinction politique. Ils cherchent à le débrancher politiquement », révèle-t-il.
En effet, explique-t-il, sur les cinq armes qui existent en politique, Laurent Gbagbo n’en a seulement qu’une seule qui est le peuple : il est adoubé par le peuple, qui adhère massivement à son idéal politique, à son programme de gouvernement, à son leadership politique. Les quatre autres armes généralement utilisées en politique que sont la presse, la diplomatie, l’argent et les armes, ne sont pas son fort et lui échappent totalement donc. « Il est de ce fait clair que si Gbagbo ne voit pas le peuple et que le peuple ne le voit pas, si Laurent Gbagbo n’est plus en contact avec son peuple, s’il est totalement débranché du peuple, alors il est éteint totalement politiquement », insiste-t-il. C’est ce qui explique, selon notre interlocuteur, « les annonces fantaisistes qui inondent assez souvent les réseaux sociaux à son sujet ».
Notre interlocuteur étaye ses propos par des faits. Il indique, par exemple, que le PPA-CI est le seul groupement politique en Côte d’Ivoire où le port du masque est encore en usage dès lors que quelques rares militants arrivent à rentrer en contact avec leur président, alors que la covid-19 n’existe plus depuis 2022. « Ainsi les bains de foule que le président Gbagbo adore tant, lui sont dorénavant interdits et les populations sont obligatoirement tenues de rester très loin de lui lors de ses rares apparitions publiques. C’est vrai que c’est bien pour la santé du président Gbagbo mais, c’est limitant, c’est bloquant, c’est excluant », rage-t-il.
La guerre en les anciens FPI-GOR et les nouveaux partis dissous au sein du PPA-CI
Le cadre pro-Gbagbo raconte aussi que n’eût été l’insistance de ses anciens camarades, le président Laurent Gbagbo ne se serait jamais rendu à la fête de la Renaissance pourtant organisée, en mars 2023, à son honneur à Yopougon. On se souvient qu’il y avait fait une brève apparition et en était reparti aussitôt malgré une foule enthousiaste de partisans qui le réclamaient et qui n’avaient pas fini de défiler devant lui, comme il est de coutume dans cette formation politique. Selon notre interlocuteur, « il n’aurait pas été prévu que Gbagbo soit là. Son nouvel entourage l’avait plutôt programmé, pour le lendemain à Treichville où il devait recevoir la jeunesse au palais de la culture ».
Il donne également l’exemple de ce que depuis son retour au pays, quand bien même il est allé à Daoukro, Duékoué et Guiglo, dans la région de la Mé, à Yopougon, Treichville et à Lakota, en dehors des gens qui sont venus le voir par deux fois à Mama, son village natal, Laurent Gbagbo n’a pas encore effectué une véritable sortie publique d’envergure. « Gbagbo n’est même pas encore allé à Abengourou, aux funérailles de Sansan Kouao ni à Aboisso chez Bléoué Aka, ses soutiens inconditionnels dans la lutte pour la démocratie en Côte d’Ivoire », regrette notre interlocuteur. Et notre interlocuteur d’indiquer que le fait que ce nouvel entourage de Gbagbo justifie, chaque fois, toutes ses absences de la scène politique nationale par la fatigue ou la maladie n’est pas une bonne propagande pour ce dernier, parce que dire d’un homme politique qu’il est fatigué ou qu’il est malade le détruit politiquement.
Et puis, selon lui, les nouvelles personnes autour de Laurent Gbagbo humilient régulièrement les militantes et militants du PPA-CI et se comportent comme si Gbagbo est déjà au pouvoir. « Il est vrai c’est un homme d’Etat, un ancien président de la République, mais actuellement, la réalité est qu’il est redevenu un opposant, qu’il a réengagé le combat pour reprendre le pouvoir d’Etat et relancer sa gouvernance selon la vision qu’il a pour le pays. Il doit donc remobiliser véritablement le peuple, il doit donc ratisser plus large. A titre d’exemple, si au Brésil, Lula a repris le pouvoir après la prison, c’est bien parce qu’il s’est remis dans l’estime du peuple brésilien en reprenant véritablement contact avec ce peuple », soutient notre interlocuteur.
La grave lutte de positionnement à laquelle l’on assiste actuellement au PPA-CI tire son origine et remonte à la création du parti politique dont le congrès constitutif a enregistré, en plus des anciens membres du FPI de la tendance Gbagbo ou rien (GOR) qui représentent 98% des militants du PPA-CI, l’arrivée de quelques petits partis politiques dont l’UNG de Stéphane Kipré. Ceux-ci représenteraient 2% de l’effectif total du nouveau parti. Estimant avoir suffisamment donné à Laurent Gbagbo en cassant leurs différentes organisations politiques pour venir mettre sur pied ce nouvel appareil politique qu’est le PPA-CI, ils refusent non seulement d’être les derniers de la classe mais ils décident d’assujettir les 98% des militants du PPA-CI, qui sont les anciens membres du FPI-GOR.
« C’est cela la logique qui détruit le PPA-CI. Et le président Laurent Gbagbo semble être pris au piège des gages qu’il aurait peut-être donnés aux petites formations politiques qu’il a appelées à se fondre au sein du PPA-CI. Le jour où le président Gbagbo l’aura compris et qu’il aura régler le problème, le parti va s’envoler ; et ce jour n’est plus loin», espère l’ancien compagnon de lutte de Laurent Gbagbo. Pour qui la récente crise au Comité de contrôle du PPA-CI n’est que le prolongement de la crise de positionnement qui a cours au niveau des organes de direction dudit parti.
Robert Krassault
ciurbaine@yahoo.fr
Légende photo : L’ancien chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, président du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) lors d’une rencontre avec la direction de sa formation politique.
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