Réconciliation nationale, esprit de clans, cas Gbagbo et Blé Goudé – Le FPI interpelle son partenaire le RHDP

Le deuxième congrès ordinaire du parti politique présidé par Charles Blé Goudé, le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (COJEP), s’est ouvert, le vendredi 24 novembre 2023, dans un complexe hôtelier à Abidjan-Yopougon. Figurant parmi les partis politiques invités, le Front populaire ivoirien (FPI), à travers, son président Pascal Affi N’Guessan, s’est prononcé sur la situation sociopolitique en Côte d’ivoire depuis 2010-2011. Dans son discours que nous vous proposons ci-dessous, l’ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo n’a pas été tendre avec le bilan de 13 ans de gouvernance du président Alassane Ouattara, au plan politique. « En vérité, la réconciliation nationale a été bâclée (…). La Côte d’Ivoire vit dans l’hypocrisie d’une trompeuse apparence de réconciliation », a soutenu le président  du FPI, parti politique partenaire du RHDP, parti au pouvoir.

 

Chers camarades militants et sympathisants du COJEP,

Cher Charles Blé Goudé, 

Je voudrais tout d’abord vous dire ma joie d’être à vos côtés et vous remercier pour votre invitation à votre deuxième congrès ordinaire. Je suis venu apporter  le salut fraternel du Front Populaire Ivoirien au Congrès Panafricain pour la Justice et l’Egalité des Peuples. Ce congrès, le COJEP l’a placé sous le double signe de la réflexion et des retrouvailles : réflexion sur le rôle et la place du COJEP face aux mutations politiques, économiques et sociales nationales et sous-régionales ; retrouvailles avec votre président Charles Blé Goudé. Comme vous, nous avons vécu son retour avec beaucoup d’émotion, il y a tout juste un an. C’est la même émotion qui m’étreint ce jour qui marque une étape particulière du combat du COJEP et du parcours politique de Charles Blé Goudé.

Je suis d’autant plus heureux de partager ce moment avec vous que depuis son retour, Charles Blé Goudé, votre président, inscrit tous ses actes, toutes ses paroles dans le nécessaire processus de réconciliation nationale.  Et vous connaissez tous l’attachement du FPI, mon attachement personnel aussi, à la paix en Côte d’Ivoire et par conséquent à la réconciliation sincère de tous ses enfants.

Le processus de réconciliation nationale a fait des progrès, mais nous aurions tort de croire qu’il est achevé. Sinon :

Pourquoi tous les compatriotes (civils et militaires) arrêtés dans le cadre des crises que le pays a connues, ne sont-ils pas libérés après avoir passé plus de 10 années en prison ?

– Pourquoi la persistance de la méfiance et de l’esprit de belligérance entre nos compatriotes prêts à déterrer la machette de guerre interethnique au moindre incident, comme il a été donné de le constater avant-hier à Gnagbodougnoa ?

– Pourquoi l’esprit de clans continue-t-il d’orienter l’action publique, d’envahir les institutions de la République, de gangréner notre démocratie ?

– Pourquoi les Ivoiriennes et les Ivoiriens ne sont-ils pas arrivés à partager la même lecture des douloureux événements du passé et à en tirer les mêmes conclusions et enseignements ?

En vérité, la réconciliation nationale a été bâclée. Les plaies psychiques, psychologiques et morales ne sont pas toutes cicatrisées. La Côte d’Ivoire vit dans l’hypocrisie d’une trompeuse apparence de réconciliation. Certes, depuis 13 ans, les choses ont bougé et les avancées sont réelles en matière d’apaisement de notre climat politique. Aujourd’hui, le président Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont rentrés en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, le statut de réfugié politique ne s’applique plus aux citoyens de notre pays.

Aujourd’hui, aucun parti politique ne boycotte plus les élections, nationales ou locales. Mais nous aurions tort de croire que l’absence de conflit est la garantie d’une paix définitive. Nous aurions tort d’oublier que tant qu’il reste une braise, le feu peut repartir. Certains discours et postures politiques nous interpellent. La tentation existe, chez certains de nos compatriotes, à nouveau, d’allumer le feu. Les avancées ne doivent pas masquer qu’aucun processus de réconciliation ne peut s’ancrer dans la durée sans que la justice transitionnelle ne vienne panser les plaies des victimes. C’est pourquoi les Ivoiriens avaient salué en juillet 2011, la création de la Commission, Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR).

Or, aucun des 4 principes de la justice transitionnelle n’a été respecté : la vérité, la justice, les réparations, les garanties de non-répétition.

– La vérité sur les événements qui ont déchiré notre Nation n’a jamais été énoncée. C’était pour temps la première mission de la CDVR : «rechercher la vérité et situer les responsabilités sur les évènements socio-politiques nationaux passés et récents… entendre les victimes, obtenir la reconnaissance des faits par les auteurs des violations incriminées et le pardon consécutif ». Les travaux de la CDVR n’ont pas été médiatisés, les responsabilités restent à être situées, très peu d’Ivoiriens ont entendu les victimes, les auteurs de violations incriminées sont à l’heure actuelle inconnus et le rapport de la CDVR n’a jamais été rendu public. Rechercher la vérité n’est pas retourné le couteau dans la plaie, réveiller les vieux démons. La vérité n’est pas un facteur de division. Elle est d’abord honorer ceux qui ont été massacrés, comprendre et partager la douleur des parents des victimes. « Il y a des choses qu’on ne peut voir comme il faut, qu’avec des yeux qui ont pleurés ». La vérité est une condition indispensable et préalable du pardon et de la réconciliation. C’est par la vérité que l’on guérira notre pays.

– La justice rendue a été celle des vainqueurs, forcément partiale, biaisée et incomplète, dans un contexte de chasse aux sorcières.

– Les victimes n’ont pas toutes été identifiées et les réparations demeurent discriminatoires.

– Faute de réformes institutionnelles à la mesure des maux qui ont été à l’origine de la crise (tribalisme, foncier, droit des minorités, démocratie, bonne gouvernance), une répétition n’est malheureusement pas impossible. C’est bien d’ailleurs parce que nous nous sommes durement affrontés sur l’interprétation de notre constitution, que nous avons connu une nouvelle crise en 2020.

C’est bien parce que notre réconciliation n’est pas achevée, qu’un nouveau dialogue politique a été nécessaire. C’est bien pour jouer pleinement son rôle d’aiguillon de la réconciliation, que le 2 mai dernier, le Front Populaire Ivoirien a signé un accord de partenariat avec le parti au pouvoir qui a pour unique objet la réconciliation nationale, la cohésion sociale et la démocratie.

Notre signature constitue un engagement à la réconciliation. Elle nous autorise, elle nous oblige même, à tenir un discours de vérité à notre partenaire.

– Au nom de la réconciliation, tous les militaires emprisonnés depuis 2012 doivent être libérés et la question des prisonniers de guerre doit être définitivement résolue.

– Au nom de la réconciliation, toutes les souffrances, toutes les victimes doivent enfin être reconnues et indemnisées.

– Au nom de la réconciliation, toute la vérité doit être dite sur les origines et les responsabilités de nos crises.

Au FPI, nous nous réjouissons comme vous de la présence de Charles Blé Goudé parmi les siens. Mais nous savons que notre réconciliation ne sera pas achevée tant que le président Laurent Gbagbo, tant que Charles Blé Goudé, n’auront pas retrouvé la plénitude de leurs droits civiques et politiques.  La justice internationale les a innocentés des crimes les plus graves qui existent en droit ;  ils ont l’un et l’autre passé une décennie de leur vie d’homme en prison. Dans ce contexte, quel serait le sens de maintenir à leur encontre une condamnation de 20 années, pendant que l’on parle de tourner la page du passé ?

Au nom de la réconciliation, le président Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé doivent redevenir des citoyens ivoiriens à part entière. Au FPI, nous observons avec une grande attention les pérégrinations de Guillaume Soro auprès des juntes militaires de la sous-région. Il annonce son retour en Côte d’Ivoire. Les Ivoiriens l’attendent ; car en tant que chef de l’ex-rébellion armée qui a endeuillé le pays, Guillaume Soro doit rendre des comptes à la Nation ivoirienne au nom de la réconciliation nationale.

Rendre des comptes, ce n’est pas demander pardon sur les réseaux sociaux ou dans des médias internationaux. C’est faire acte de repentance pour tout le mal causé à notre pays, c’est le faire lors d’une cérémonie solennelle. Lors du dernier remaniement, le président de la République n’a pas jugé utile de conserver un ministère dédié à la réconciliation nationale, considérant certainement que la question ne se posait plus.

Notre appréciation sur la réalité de la réconciliation, vous l’avez bien compris, est différente. A ce titre, nous allons proposer au RHDP l’organisation d’un séminaire national pour dresser le bilan de la réconciliation, identifier ses limites, confronter nos analyses et nos propositions d’approfondissement. Dans un partenariat, l’une des parties ne peut décider de tourner une page sans que l’autre l’ait lue. C’est la Nation tout entière qui doit en réalité tourner la page du passé pour construire un avenir partagé.

Je vous remercie.

 Pascal Affi N’Guessan

 Président du Front Populaire Ivoirien

 

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