Président du PDCI-RDA et candidat dudit parti politique à l’élection présidentielle, Félix Houphouët-Boigny et Henri Konan Bédié ont porté cette double casquette depuis l’indépendance de la Côte d’Ivoire en 1960 jusqu’en 2020, dernière candidature de Bédié à la présidentielle avant son décès, le 1er août 2023. Aujourd’hui, à l’occasion du congrès extraordinaire électif du vieux parti qui se tiendra, le 16 décembre 2023, cette tradition non-écrite est contestée et divise le parti. Au centre de cette situation, le cas Tidjane Thiam, membre du Bureau politique du PDCI-RDA, qui nourrit l’ambition d’être à la fois président et candidat du parti. Au grand dam de ses adversaires internes.
Même s’il n’était pas au plus fort de sa santé physique, Henri Konan Bédié est mort brusquement, le 1er août 2023, à la surprise générale des militants du PDCI-RDA et de la classe politique ivoirienne. Un président intérimaire, en la personne du professeur Philippe Cowppli-Bony, a été désigné, au regard des textes du parti qui portent leur choix sur le doyen d’âge des vice-présidents en pareilles circonstances. Il a été chargé d’organiser le congrès extraordinaire du 16 novembre 2023 qui choisira le nouveau président du PDCI-RDA. A un mois de cette échéance électorale importante, le vieux parti est tiraillé par une crise. Les uns veulent un président du PDCI-RDA qui soit également candidat du parti à l’élection présidentielle comme ce fut le cas pour Félix Houphouët-Boigny et Henri Konan Bédié. Les partisans de cette thèse qui sont aussi les soutiens indéfectibles de Tidjane Thiam estiment que leur champion est « l’homme providentiel » dont bénéficie le parti pour amorcer avec beaucoup d’optimisme, la nouvelle ère qui s’ouvre. D’autant que, disent-ils, Tidjane Thiam pourrait permettre à la fois au PDCI-RDA de reconquérir, en 2025, le pouvoir qu’il a perdu en décembre 1999 par un coup d’Etat militaire, et retrouver sa vitalité sur tous les plans y compris financier. Les autres, opposés à cette vision, pensent que les responsabilités de président du PDCI-RDA et de candidat du parti à l’élection présidentielle de 2025 devraient échoir à deux personnalités distinctes. Pour eux, si Tidjane Thiam est « le candidat idéal pour la présidentielle de 2025 », il ne doit pas être « le président du parti. Un autre cadre doit assumer cette responsabilité ».
Deux visions s’opposent donc avant le congrès extraordinaire du PDCI-RDA. Pour un cadre du PDCI-RDA, membre du Bureau politique, avec lequel nous avons échangé afin de mieux comprendre les non-dits de cette guerre à fleurets mouchetés qui sévit au sein du vieux parti, il s’agit, selon lui, d’une « complot » contre Tidjane Thiam. Et notre source d’affirmer, sous le couvert de l’anonymat : « Il y a un problème Tidjane Thiam en trois points. Primo, il est le cheval inattendu de la bataille de succession. Personne ne l’avait prévu ou vu venir. Pour tous les décideurs du parti, il était plutôt le candidat à la convention de 2025 pour l’investiture du parti pour la présidentielle de 2025. Personne ne l’a programmé comme candidat, et comme cheval gagnant en plus, au congrès extraordinaire électif. Deuxio, venu comme un cheveu sur la soupe, avec toute la ferveur populaire et militante autour de lui, il a douché voire fait reculer bien de candidatures comme celles d’Emile Constant Bombet, Niamien N’Goran, Allah Kouadio Rémi et autres. Tertio, la seule issue, c’est d’éliminer sa candidature en jouant sur le 3e point des critères d’éligibilité c’est à dire totaliser dix années de présence au Bureau politique ».
Dans un communiqué publié récemment sur les réseaux sociaux, des militants du PDCI-RDA opposés à une double casquette de Tidjane Thiam l’écartent de la course à la présidence du parti à l’instar de l’ancien maire de la commune du Plateau (Abidjan) et vice-président du PDCI-RDA, Akossi Bendjo. « Les candidatures de Noel Akossi Bendjo et de Tidjane Thiam ne devraient pas être retenues conformément aux conditions d’éligibilité pour la présidence du parti et ce au grand dam de leurs partisans qui multiplient les sorties et déclarations pour convaincre du contraire. Le candidat à la présidence du parti doit jouir de ses droits civils et politiques, or le maire Noel Akossi Bendjo est depuis 2019 sous le coup d’une condamnation de 20 ans de prison et 5 ans de privation de ses droits pour détournement de fonds publics, faux et usage de faux et blanchiment de capitaux. Il ne figure d’ailleurs pas sur la liste électorale. Le candidat à la présidence du parti doit justifier de dix années d’appartenance au Bureau politique du PDCI-RDA, alors que le ministre Tidjane Thiam a été membre du Bureau politique de 1996 à 1999 puis de nouveau membre depuis mai 2023 », mentionne le communiqué.
Et les auteurs anonymes du communiqué d’apostropher les partisans de Tidjane Thiam et de menacer de représailles la direction du PDCI-RDA contre toute validation des candidatures de Tidjane Thiam et d’Akossi Bendjo pour la présidence du parti en ces termes : « Quand bien même les partisans du ministre Tidjane Thiam veulent faire croire qu’il a été membre du Bureau politique sans discontinuer depuis 1996 ; les différentes listes des membres de ce Bureau politique signées par feu le président Henri Konan Bédié sont là pour en attester du contraire. Au regard de ces conditions, nous retenons que l’ancien maire du Plateau, Noel Akossi Bendjo et l’ancien ministre Tidjane Thiam sont inéligibles. C’est le lieu pour nous de rappeler à ces personnalités du parti qui tenteraient de faire valider ces candidatures pour servir leurs propres intérêts en prenant le contrôle de l’organisation du congrès et la commission des candidatures que les militants dans leur ensemble les tiendront pour responsables de toutes les conséquences qui en découleront et qu’ils assumeront ainsi de conduire le congrès sur le terrain judiciaire au risque de voir mettre le parti sous tutelle administrative ».
Un autre cadre du PDCI-RDA, membre du Bureau politique, a embouché la même trompette que les auteurs du communiqué cité ci-haut en soutenant que « depuis 2000, Tidjane Thiam n’a participé à aucune activité du parti. Il n’a pas payé régulièrement sa cotisation annuelle. Le parti aurait disparu s’il n’y avait pas eu des gens pour l’animer pendant 20 ans. Quelle présidence de PDCI-RDA allait-il briguer ? Le paiement des arriérés de cotisation aurait-il réveillé un PDCI-RDA mort ? L’article 55 dit que les membres du Bureau politique sont choisis au cours de chaque congrès. Donc après un congrès, un militant n’est pas reconduit, il est considéré sorti du Bureau politique. Tidjane Thiam n’était pas sur la liste du Bureau politique de 2002, après 11e congrès. Au lendemain du 12e congrès en 2013, il n’était sur la liste régulièrement actualisée jusqu’en 2023 ».
Et notre interlocuteur, ouvertement opposé à la candidature de Tidjane Thiam pour la succession d’Henri Konan Bédié à la tête du PDCI-RDA, d’ajouter sur un ton à la limite du bellicisme : « Un militant peut ne pas remplir les conditions de son parti mais peut remplir celles de la présidence de la République. Nous ne pouvons pas en tant que parti de l’opposition décrier un troisième mandat anticonstitutionnel du président Alassane Ouattara et dans le même temps, fouler aux pieds nos propres textes pour servir des intérêts mesquins. La démocratie qui est avant tout le respect des textes doit reposer sur des institutions fortes et non sur des hommes forts ou providentiels. La démocratie c’est d’abord le respect des lois auxquelles on a souscrit pour adhérer à une association ».
Comme on peut le constater, la tension fait rage au sein du plus vieux parti de Côte d’Ivoire. Des voix s’élèvent pour appeler au consensus, une pratique qui a cours au PDCI-RDA depuis la création de la formation politique en 1946. Les choses vont-elles se passer ainsi ? Pour l’instant, le climat n’est pas au consensus. « Le consensus est aussi l’une des expressions de la démocratie. Ainsi, les textes que certains mettent en avant à cor et à cri seraient saufs. La cohésion du parti aussi », lance, avec un brin de dépit, un député du PDCI-RDA, partisan de Tidjane Thiam.
Après le retrait volontaire de nombreuses autres figures importantes du PDCI-RDA de la course à la présidence du parti notamment celles Emile Constant Bombet, Niamien N’Goran, Allah Kouadio Rémi, Thierry Tanoh et Jean-Louis Billon, la bataille du 16 décembre prochain pourrait opposer le quatuor Maurice Kakou Guikahué, Noel Akossi Bendjo, Jean-Marc Yacé et Tidjane Thiam si la sagesse n’abandonne pas le PDCI-RDA et qu’il fait sienne la maxime de son fondateur feu Félix Houphouët-Boigny selon laquelle « la paix n’est pas un vain mot mais un comportement ». Le PDCI-RDA va-t-il imploser après Bédié pour donner vie à un nouveau parti politique comme ce fut le cas après Houphouët-Boigny avec le RDR ? L’après congrès extraordinaire électif nous situera.
Un dossier réalisé
par Didier Depry
Pour tout message à Didier Depry, écrivez au didierdepri@yahoo.fr
Laissez une réponse