Tchad / Nommé Premier ministre par  Mahamat Idriss Déby – Succès Masra entre le marteau et l’enclume

Succès Masra a été nommé Premier ministre du Tchad, le lundi 1er janvier 2024, par décret du président de la Transition. Celui qui était un des plus farouches adversaires du pouvoir va diriger le gouvernement chargé de mener le pays aux élections d’ici à la fin octobre 2024. Le leader du parti des Transformateurs n’a jamais fait mystère de son objectif d’y participer. Mais cette nomination cache des avantage et des inconvénients pour Succès Masra qui le mettent entre le marteau et l’enclume. Remadji Hoinathy, chercheur à l’ISS (International security studies) basé à Ndjamena en parle dans cette interview accordée à la radio française RFI.

 

RFI : Succès Masra à la primature, est-ce que ça vous surprend ?

Remadji Hoinathy : Je pense que plus tôt, dans l’année 2023 ou en 2022, cela aurait beaucoup surpris, mais depuis l’accord de Kinshasa, je pense que c’était une possibilité plus ou moins ouverte. La facilitation de Félix Tshisekedi a permis au minimum aux deux parties de recommencer à discuter – donc possibilité pour les Transformateurs de rentrer, avec un engagement de contribuer pacifiquement au débat politique. Et depuis ce retour, je pense qu’il y avait une certaine accalmie qui rendait possibles les discussions en vue éventuellement d’une nomination comme Premier ministre.

Pourquoi a-t-il accepté, selon vous ?

Lisant un peu le contexte politique, je me dis certainement que pour les Transformateurs, accéder à ce poste représenterait une possibilité pour eux de se préparer aux échéances à venir, en termes de prendre aussi place – comme les autres partis qui ont été dans la transition – au sein de la machine politique, au sein de l’administration publique, et entrer dans les rouages pour éventuellement se positionner pour les échéances à venir. La question reste simplement : auront-ils les coudées franches pour le faire ?

Ce que vous voulez dire, c’est que Succès Masra ne fait pas mystère de ses ambitions présidentielles et que pour lui, c’est un moyen de surveiller au plus près la mise en place du cadre des élections ?

Ce serait une des raisons principales qui expliquerait cette acceptation du poste de Premier ministre. Parce qu’au-delà du discours politique et officiel, je pense qu’il ne faudra pas oublier, justement, que c’est un parti avec un agenda politique clair.

Alors il va former un attelage avec le président de la transition, est-ce que ça ne pose pas question quand même ? Ils ont le même âge, la même ambition, est-ce que ça peut tenir ?

C’est une excellente question. Je pense que ça va tenir le temps que ça devra tenir. Ça va tenir le temps que les agendas ne s’opposent pas de manière trop frontale et je pense que justement, le premier examen de passage sera la liste du gouvernement qui va sortir. C’est à travers cette liste qu’on verra effectivement jusqu’où les Transformateurs ont eu les coudées franches en termes de modeler leur gouvernement : qu’il ne soit pas simplement un gouvernement, comme on l’a vu par le passé, totalement dominé par l’entourage du président de la transition ou bien de l’ancien parti au pouvoir.

Les adversaires de la transition disent que Succès Masra se retrouve au service de l’élection de Mahamat Idriss Déby, qu’il en devient le complice. Pensez-vous qu’il risque de se faire rouler dans la farine ?

C’est une éventualité qui est ouverte et je pense que cette position des adversaires de la transition n’est pas basée sur du vide, [mais] sur la lecture de la scène politique tchadienne au cours des années. Prenez tous les Premiers ministres qu’il y a eu dans ce pays, lisez leur parcours et lisez effectivement quelles capacités réelles ont-ils eu en tant que Premier ministre sur le gouvernement qu’ils ont dirigé et sur la conduite des affaires au quotidien. Je pense que c’est ça qui [amène] à penser la plupart des acteurs et l’opinion publique en général que s’allier avec un gouvernement que l’on a combattu ne laisse pas beaucoup de possibilités en tant qu’opposant pour maintenir son agenda d’opposant. Je pense que cette entrée au gouvernement représente un autre examen de passage pour les Transformateurs. Comment vont-ils convaincre l’opinion publique qu’ils vont dans ce gouvernement, non pas pour se faire avaler comme tous les autres Premiers ministres, qu’ils vont dans ce gouvernement avec une réelle capacité de faire bouger les choses, de les changer de l’intérieur, comme le politicien tchadien aime à le dire ? Cette entrée au gouvernement représente un tournant majeur, aussi bien pour la transition tchadienne que pour l’avenir des Transformateurs. Et les jours à venir nous en diront plus.

Pour Mahamat Idriss Déby, en revanche, c’est une très bonne opération en termes d’image ?

Oui, je pense qu’en termes d’image, c’est une très bonne opération, parce que ça vient, dans une certaine mesure, combler certaines critiques quant à l’incapacité des autorités de transition à tendre la main, à rester sur l’agenda de base de cette transition qui est l’inclusivité, la réconciliation. D’un point de vue communication et d’image politique, c’est un gain pour le président de la transition, aussi bien pour son propre camp que pour les partenaires à l’extérieur qui le regardent. En revanche, je pense que pour les partis d’opposition en dehors des Transformateurs, ça ne change pas grand-chose en termes d’image.

 

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