Afrique / Cameroun, Bénin, Guinée-Bissau : Les enjeux de la tournée des trois voyages de Macron

Emmanuel Macron entame sa tournée africaine par le Cameroun ce lundi 25 juillet. Le président français se rendra ensuite au Bénin puis en Guinée-Bissau jeudi 28, sa dernière étape. C’est la première tournée africaine du chef de l’État français depuis sa réélection. Quels sont les enjeux de ce déplacement ? Comment interpréter le choix de ces pays ? Le journaliste Antoine Glaser, ancien directeur de la publication « La lettre du continent » et observateur avisé des relations franco-africaines livre son analyse à la radio française RFI.

 

RFI : Cameroun, Bénin, Guinée-Bissau, que pensez-vous de ces choix ?

Antoine Glaser : C’est une sorte de retour un peu dans le pré carré français. Aller dans des pays que le président avait un peu boudé au cours de son premier mandat. On parlait d’un début de deuxième mandat dans des pays comme l’Angola, l’Afrique du Sud etc., mais on voit qu’il y a une urgence. La France est en train de perdre des positions dans des pays, en particulier d’Afrique centrale, et on voit qu’il y a une sorte de réinvestissement, au Cameroun notamment qui est un pays stratégique, par rapport à la Centrafrique où la France a perdu toutes ses positions, par rapport au Tchad enclavé qui a absolument besoin du Cameroun… On sent que c’est un voyage à mon avis géopolitique, géostratégique, au-delà même des relations bilatérales d’État à État.

Pourquoi maintenant, est-ce que ce n’est pas un petit peu tard finalement ?

Je pense qu’il y avait vraiment urgence. Le Cameroun avait au mois d’avril signé un accord de coopération militaire et de défense avec la Russie. On a bien vu que le Cameroun qui a toujours eu des relations compliquées avec Paris quasiment depuis l’accession de Paul Biya au pouvoir, dont la sécurité personnelle est assurée par des Israéliens, dans la zone anglophone, vous avez beaucoup -on en parle peu- de SAS [Special Air Service] britanniques. On a l’impression que la France n’a pas vu cette Afrique centrale se mondialiser.

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Le Cameroun et la Russie ont signé un nouvel accord de défense en avril. Est-ce qu’aller à Yaoundé, c’est la France qui rappelle sa présence et qui tente d’enrayer la progression russe ?

Absolument, la France qui veut absolument enrayer la présence de la Russie en particulier en Afrique centrale. Au-delà de ça, Emmanuel Macron a pris conscience que sa politique africaine disant « il faut sortir du pré carré, il faut aller dans les pays anglophones » a ses limites. Pendant qu’Emmanuel Macron sera à Yaoundé, vous avez le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov qui sera à Brazzaville, et on voit bien que le Gabon voisin est rentré au Commonwealth. Je pense qu’il y a un réengagement français dans le pré carré.

Paul Biya a presque 90 ans, au pouvoir depuis presque 40 ans. Pensez-vous que la perspective d’une succession à la tête du pays inquiète Paris ?

Bien sûr, mais en même temps au niveau de la realpolitik, Emmanuel Macron a mis de l’eau dans son vin. On voit bien qu’il se prononce de moins en moins sur les autocrates africains. Je pense qu’il va être très prudent sur ces affaires-là. Il ne faut pas se leurrer, il arrive profil bas au Cameroun, parce qu’au cours de son premier mandat, il a pris à rebrousse-poil tous ces chefs d’État de l’Afrique centrale. Je crains même en tant que citoyen français, que ce soit beaucoup plus la prime à la stabilité que la prime à la démocratie dans tous ces pays.

La France a restitué en novembre 26 œuvres des trésors royaux d’Abomey pillées au XIXe siècle. Le Bénin pourrait-il profiter de la visite pour réclamer la restitution d’autres œuvres ?

C’est une affaire vraiment franco-française, à partir du moment où Emmanuel Macron n’arrive pas à passer une loi-cadre qui concerne l’ensemble des restitutions des œuvres. Pour chaque œuvre, il faut passer une nouvelle loi. C’est vrai que ça reste extrêmement compliqué, et bien évidemment, je pense que le président béninois va en profiter pour appuyer là où ça fait mal, en disant : « Bon, c’est vous qui choisissez les œuvres, vous rendez un sabre au Sénégal, vous nous rendez quelques œuvres comme ça au Bénin… » Mais il faut quand même adopter une loi-cadre. On voit que des pays en particulier la Belgique ou même l’Allemagne sont en train d’aller beaucoup plus loin que la France.

La Guinée-Bissau pour terminer cette tournée, c’est une première visite pour Emmanuel Macron.

C’est parce que maintenant le président de la Guinée-Bissau est le président de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest et que la France ne veut plus apparaître en première ligne. Quand elle intervient et quand elle fait part de ses désirs, elle passe par la Cédéao. Elle n’est pas obligée, mais maintenant la nouvelle stratégie, c’est de ne plus être en première ligne. Quand on a un certain nombre d’observations à faire, ça passe à travers des organisations régionales africaines et ce n’est plus le grand chef blanc qui depuis l’Élysée dit « voilà, il faut faire ci, il faut faire ça », y compris dans les anciennes colonies françaises.

NB : La titraille est de « Le Monde Actuel »

 

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