L’ancien chef de l’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo, président du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), a procédé, le lundi 23 octobre 2023, à des changements profonds au niveau de la direction de son parti politique. Les plus significatifs sont le président exécutif et le secrétaire général du PPA-CI, Hubert Oulaye et Damana Adia Pickass, qui ont été écartés au profit de nouveaux dirigeants. A deux ans de l’élection présidentielle de 2025 à laquelle sa participation continue d’être hypothétique, Laurent Gbagbo sort ses cartes. Décryptage.
Même si les nouvelles nominations qu’il a faites, le lundi 23 octobre 2023, au sein de la direction de son parti, sont survenues plus d’un mois après la débâcle du PPA-CI aux élections régionales et municipales du 2 septembre 2023, il est peu probable que Laurent Gbagbo, soutiennent des sources crédibles, ait lié tous ces chamboulements à ces échéances électorales. D’autant que, précise un cadre du PPA-CI, « le président Gbagbo savait que le parti ne sortirait pas vainqueur de ces élections municipales et régionales ». D’ailleurs, il l’a reconnu, en des termes voilés, lors d’une rencontre avec les cadres de son parti, le samedi 30 septembre 2023, au Dream Espace à Abidjan-Cocody, en affirmant que son camp politique a eu tort de boycotter les élections locales après la crise post-électorale de 2010-2011. Un boycott qui a été préjudiciable au camp Gbagbo l’éloignant davantage des populations à qui le Front populaire ivoirien (FPI) pro-Gbagbo d’alors, parti originel de l’ancien chef d’Etat, avait demandé de ne pas s’inscrire sur la liste électorale. En guise de non-reconnaissance du régime du nouveau président de la République, Alassane
Ouattara. Une option politique qui a été inopérante.
Englué dans une crise de leadership opposant Laurent Gbagbo à Pascal Affi N’Guessan, président du FPI, et alimentée depuis sa cellule de la Cour pénale internationale (CPI) par M. Gbagbo, de 2012 à sa libération en 2019, le FPI sorti fortement fragilisé de la crise post-électorale s’est fait hara-kiri à travers cette crise de leadership. Les militants et les sympathisants de ce parti qui s’étaient déjà sentis abandonnés durant les dix années de gouvernance de Gbagbo à la tête de la Côte d’Ivoire – une gouvernance qui a plus promu les valeurs de droite et d’extrême-droite que les valeurs de gauche – se sont éloignés progressivement de leur formation politique. Le FPI a ainsi perdu l’Ouest, le Centre-Ouest et le pays Akyé (Sud-Est) qui apparaissaient jusque-là comme ses bastions imprenables. A l’instar du FPI, le PPA-CI, le nouveau parti de Gbagbo, n’a pas connu un sort différent. Ebranlé par la crise de leadership entre les Gbagbo ou rien (GOR) et les Affi ou rien (AOR) qui s’est soldée par l’implosion du FPI et la naissance au forceps du PPA-CI, le camp Gbagbo s’est profondément érodé à cause d’une autre crise, celle liée au divorce fracassant et humiliant entre Laurent Gbagbo et Simone Ehivet Gbagbo. En divorçant de celle qui fut sa compagne de lutte politique, de plusieurs décennies, Laurent Gbagbo s’est aliéné de fait le soutien de nombreux militants, sympathisants et admirateurs ainsi qu’une partie de la population ivoirienne. La débâcle électorale de son nouveau parti, le PPA-CI, constitue donc la résultante de toutes ces crises et ces errements.
Deux camps s’affrontent au PPA-CI
A deux années de l’élection présidentielle de 2025 qui marquera incontestablement la fin d’une ère, celle des « héritiers » et successeurs d’Houphouët-Boigny, Laurent Gbagbo qui ne semble pas résolument engagé à prendre part au scrutin (la mort brusque, le 1er août 2023, du président du PDCI-RDA, Henri Konan Bédié, son potentiel allié, en a rajouté à son indétermination), affirment certains de ses proches, a décidé de mettre tous les éventuels candidats à la candidature du PPA-CI à l’élection présidentielle d’octobre 2025 sur « le même pied d’égalité ». Théoriquement s’entend. D’où les décisions prises par Laurent Gbagbo au niveau de la direction de son parti. Il a écarté l’ancien ministre Hubert Oulaye et Damana Adia Pickass respectivement président exécutif et secrétaire général du PPA-CI. A leurs places, Gbagbo a nommé l’ancien ministre Sébastien Dano Djédjé et Jean- Gervais Tchéidé.
Evidemment ce n’est pas parce que Hubert Oulaye a perdu les régionales dans le Cavally, qu’il a été remplacé par Dano Djédjé qui a lui aussi été battu aux régionales dans le Goh. Selon nos sources, ce sont les ambitions présidentielles de Hubert Oulaye pour 2025 qui ont été déterminantes. Quant à Damana Adia Pickass, avons-nous appris, son travail jugé peu dynamique relativement au cas Gbagbo non-éligible aurait causé son remplacement.
Deux camps s’affrontent déjà au PPA-CI dans la perspective de 2025, si Laurent Gbagbo demeure inéligible. Il s’agit d’une part, ceux qu’on pourrait appeler « les historiques » c’est-à-dire les anciens cadres et militants du FPI restés fidèles à Gbagbo et qui estiment que si leur leader naturel, Laurent Gbagbo, ne peut pas être candidat, la succession devrait de droit revenir à l’un d’entre eux. Deux candidats sont en lice au niveau des « historiques », Hubert Oulaye et Ahoua Don Mello.
D’autre part, on a ceux qu’on pourrait qualifier de « rénovateurs ». Ce sont les nouveaux pro-Gbagbo. Qui ont rejoint le camp Gbagbo durant la gouvernance de l’ex-chef de l’Etat à la tête du pays. Majoritairement proches de la nouvelle compagne de Laurent Gbagbo, Nadiani Bamba, ils ont pour chefs de file
Issa Malick Coulibaly, ancien directeur de campagne de Gbagbo à la présidentielle de 2010, et Stéphane kipré, ex-gendre de Gbagbo. Président du parti politique, MFA, qu’il a dissous dans le PPA-CI, Stéphane Kipré, constitue, selon des sources crédibles, le champion des « rénovateurs » pour la succession de Gbagbo en 2025. Une guerre larvée au bassin large pointe comme un iceberg au PPA-CI.
Des primaires pour trancher
Pour ne pas être accusé d’un quelconque parti pris – même si certaines sources estiment que le choix de Nadiani Bamba serait le sien – Laurent Gbagbo a fait ce qu’il sait faire le mieux : Laisser les protagonistes se battre. Pour cela, il a nommé des cadres du PPA-CI censés être « neutres » à la tête du parti. Ce sont Sébastien Dano Djédjé et Jean-Gervais Tchéidé. A eux, en temps opportun, d’organiser les élections primaires au sein du parti pour choisir le candidat du PPA-CI à l’élection présidentielle d’octobre 2025 en cas de non-candidature de Laurent Gbagbo. Pour sa part, Gbagbo restera loin pour observer la bataille sans broncher comme il l’avait fait durant les guerres fratricides de leadership entre les défunts Paul Antoine Bohoun Bouabré et Désiré Tagro ou feu Boga Doudou et Moîse Lida Kouassi.
Un dossier réalisé par
Didier Depry
Pour joindre Didier Depry, vos messages au didierdepri@yahoo.fr
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