Crise en Ukraine : Boutcha comme Yopougon ?

Le massacre de Boutcha  renvoie à de nombreux morts découverts  dans la localité de Boutcha pendant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, entre les 27 février et 31 mars 2022. Des meurtres de masse, des exécutions sommaires, des viols et des actes de torture contre les civils ukrainiens ont été recensés. Les Etats-Unis et l’Europe ainsi que le chef de l’Etat ukrainien accusent l’armée russe d’être l’auteur de ces tueries. La 64e brigade de fusiliers motorisés commandée par le lieutenant-colonel Azatbek Omourbekov, est identifiée comme positionnée à Boutcha pendant l’occupation russe.

Les photographies de cadavres de civils dans les rues de Boutcha suscitent une vive réaction internationale. Le 7 avril, l’Assemblée générale des Nations unies a suspendu la Russie de son siège au Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Le 8 avril, la présidente de la Commission européenneUrsula von der Leyen, s’est déplacée sur les lieux du massacre de Boutcha pour y exprimer la solidarité de l’Union européenne. Les Russes démentent être impliqués et soutiennent que ces meurtres de civils se sont déroulés après le départ de leurs troupes, le 31 mars 2022. En effet, après le départ des troupes russes, plusieurs centaines de civils morts ont été retrouvées dans les rues de la ville de Boutcha dans la région de Kiev. L’Ukraine et une partie des Occidentaux accusent la Russie d’avoir commis des crimes de guerre, voire un génocide, à l’encontre de la population. Bien que la Russie démente cette information, l’ONU et l’Union européenne sont déterminées à mener une enquête approfondie sur ces possibles exactions commises par l’armée russe.

 

Alors que Boutcha était occupée depuis le 27 février et inaccessible pendant près d’un mois, les journalistes pénètrent dans la commune. Rapidement, un journaliste de l’AFP rapporte ce qu’il voit dans les rues : une vingtaine de personnes portant des vêtements de civils, certains avec les yeux ouverts face au ciel gris, d’autres le visage contre le goudron, jonchent les rues de la ville située au nord-ouest de Kiev. D’autres sont retrouvés dans des cours d’immeubles ou des cages d’escalier, comme le montrent les images envoyées par les photographes aux agences Sipa et AFP. Ces civils sont-ils victimes collatérales de bombardements russes ? Cette version immédiatement écartée par le maire de la ville Anatoly Fedorouk. «Toutes ces personnes ont été abattues, tuées, d’une balle à l’arrière de la tête », soutient-il, ajoutant que les victimes sont «des hommes et des femmes de tous âges ». Certains cadavres ont les mains liées dans le dos. Parmi les victimes se trouve le photographe et documentariste ukrainien chevronné, Maks Levine, dont on était sans nouvelles depuis trois semaines. Selon les autorités ukrainiennes, il a été victime de tirs de soldats russes.

Alors que le chancelier  allemand Olaf Scholz  dénonçait des « crimes commis par l’armée russe » et appelait à ce que « les auteurs de ces crimes et leurs commanditaires » rendent des comptes, l’armée russe a immédiatement démenti avoir tué des civils à Boutcha. Le ministère russe de la Défense a assuré que «pendant la période au cours de laquelle cette localité était sous le contrôle des forces armées russes, pas un seul de ses habitants n’a souffert d’actions violentes ». Le ministère affirme que les images de cadavres dans les rues de la ville étaient « une nouvelle production du régime de Kiev pour les médias occidentaux ».

Et pour appuyer cette accusation, la Russie a demandé  une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU pour statuer sur les « provocations haineuses » commises selon elle par l’Ukraine  à Boutcha.  Selon Moscou, les images de Boutcha, cette petite ville au nord de Kiev où la découverte de cadavres en pleine rue a suscité l’indignation du monde entier, constituent une « mise en scène bien orchestrée ». Il s’agit d’une « falsification monstrueuse », a clamé le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, en indiquant que la Russie allait « défendre énergiquement » sa propre version des faits. Pour les autorités russes, ces « provocations » n’auraient pour objectif que de perturber les négociations de paix, de renforcer les sanctions contre la Russie et d’intensifier le conflit. La situation à Boutcha vise « à trouver un prétexte pour torpiller les négociations », a ainsi affirmé le chef de la diplomatie, Sergueï Lavrov.

Le porte-parole du ministère de la Défense, Igor Konachenkov, a dénoncé un montage des Ukrainiens appelé selon lui à se répéter. « Des membres du 72e centre ukrainien des opérations psychologiques ont tourné, le soir du 4 avril, une nouvelle mise en scène filmée de civils prétendument tués par des actions violentes de l’armée russe dans le village de Mochtchoun, à 23 km au nord-ouest de Kiev », a affirmé Igor Konachenkov. D’après lui, « des événements similaires sont en train d’être organisés par les services spéciaux ukrainiens à Soumy, Konotop et dans d’autres villes »« Pas un seul résident de Boutcha n’a souffert d’actions violentes pendant la période où la localité était sous le contrôle des forces armées russes », insiste le ministère de la Défense.

De Yopougon à Boutcha

Une enquête indépendante s’impose sur les tueries de Boutcha. Une enquête qui serait indépendante aussi bien des occidentaux que des russes. Une enquête menée par l’ONU et non par les Etats-Unis ni l’Union européenne qui ont un parti pris sans équivoque et flagrant dans le conflit en Ukraine. La Russie est-elle à la base des centaines de morts découverts à Boutcha ? Ce présumé massacre serait-il une mise en scène de l’Ukraine avec le soutien de l’Occident pour accabler la Russie et la mettre au ban de la communauté internationale ? Seule une enquête véritablement indépendante pourra répondre en toute vérité à ces questions.  D’autant que des interrogations s’imposent dont l’une nous parait importante quand on a en mémoire ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire en octobre 2000 avec l’affaire du charnier de Yopougon. Pourquoi est-ce l’AFP seule qui a découvert ces morts à Boutcha ? Pourquoi les autres médias dont ceux de Russie qui sont portant sur place en Ukraine n’ont pas découvert également ces tueries ?

Boutcha serait-il Yopougon ? On ne saurait le dire puisque le charnier de Yopougon n’a connu aucune enquête indépendante. Jusqu’à ce jour, les zones d’ombre sur le charnier de Yopougon demeurent. Au plan politique, le charnier de Yopougon présenté comme un massacre perpétré contre les partisans de l’opposant d’alors Alassane Ouattara par l’armée ivoirienne favirable au nouveau président élu Laurent Gbagbo a considérablement entaché au plan international et national l’élection du candidat Laurent Gbagbo. Dans un rapport commun, la Fédération internationale des ligues des droits et de l’homme (FIDH) et Reporters sans frontières s’interrogent sur les lenteurs de l’enquête sur le charnier découvert le 27 octobre 2000 dans un quartier populaire d’Abidjan. Mais ils confirment la responsabilité de membres de la gendarmerie dans une affaire macabre, qui comporte néanmoins beaucoup de zones d’ombre.

Que s’est-il réellement passé jeudi 26 octobre 2000 à Abobo? Ce jour-là, le chaos règne dans ce vaste quartier populaire de la capitale économique ivoirienne. Depuis la veille, des affrontements opposent des militants du RDR (Rassemblement des républicains) d’Alassane Ouattara à des partisans du FPI (Front populaire ivoirien). Les supporters de l’ancien Premier ministre ivoirien, pour certains munis d’armes blanches ou de fusils, entendent protester contre le résultat de l’élection présidentielle qui a finalement porté au pouvoir Laurent Gbagbo, au terme d’une insurrection populaire et du ralliement de l’armée ivoirienne.

Les gendarmes envoyés sur place, qui seront accusés plus tard d’avoir pris parti pour le camp du Front populaire ivoirien, font face à une situation d’insurrection, selon des témoignages recueillis par la FIDH et RSF au cours d’une mission à Abidjan du 13 au 19 décembre dernier. Dans ce contexte, décrit par l’actuel commandant du camp commando d’Abobo, Be Kpan, comme une véritable «guérilla», l’un de ses jeunes lieutenants, Emmanuel Nyobo N’guessan est tué en début d’après-midi. «Il avait reçu deux balles dans le bassin. Il avait un £il crevé et un coup de machette ou de gourdin l’avait blessé à la tête», précise l’officier.  La responsabilité de la gendarmerie dans le massacre qui aura lieu quelques heures plus tard est établie, selon le rapport. «Le procureur de la République de Yopougon n’a aucun doute sur sa responsabilité», affirme  péremptoire Robert Ménard, secrétaire général de RSF, qui participait à la mission.

Pour le reste, bien des questions restent sans réponse, notamment quant à l’identité exacte des auteurs, de même que celle de la majorité des victimes dont à peine onze avaient été identifiées à la date du 18 décembre 2000. Autre inconnue : l’enchaînement des événements qui ont mené à l’entassement de cinquante-sept corps à l’orée de la forêt de Banco, non loin de la MACA de Yopougon. Les victimes ont-elles été tuées pour la plupart dans la caserne d’Abobo, comme l’affirment deux personnes présentées comme des rescapés du massacres? S’agissait-il de venger la mort du jeune lieutenant, d’un massacre planifié en haut lieu, comme on l’affirme au RDR, ou, au contraire, d’une manipulation du parti d’Alassane Ouattara? La FIDH et RSF privilégient la première thèse, même s’ils reconnaissent que des «éléments troublants» ne permettent pas d’écarter entièrement la troisième version.

 

Une contribution de

Albéric Soro

Citoyen ivoirien

 

 

 

 

 

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