Dossier / Art contemporain – Monné Bou : la résilience du « sorcier de la technique du jet »

Le natif d’Anyama, l’octogénaire Monné Bou, a traversé les époques. 50 ans après sa première exposition (1973), l’artiste est toujours là et fait encore l’actualité. Avec une longévité admirable à l’instar de celle de ses confrères Samir Zarour et Samir Jacques Stenka, quoiquaffaibli par la maladie, il continue de produire dans son atelier à Attiékoi, dans le département d’Adiaké, à 92.6 km d’Abidjan, au sud de la Côte d’Ivoire, où il s’est retiré au cours des années 2000 pour cause de maladie.

Dans ce dossier, pour mieux appréhender l’homme et comprendre son approche des arts plastiques dans leur dimension globale, nous faisons une immersion dans son univers. En revenant notamment sur son parcours, en mettant en avant son écriture picturale, sa technique, qu’il a lui-même baptisé « la technique du jet », en rappelant la célébration en mars dernier à Abidjan, précisément au Musée des civilisations de Côte d’Ivoire, de ses 50 ans de carrière. Et, enfin, en faisant parler les acteurs de l’écosystème de l’art contemporain (peintres, critiques d’art, journalistes…) qui se prononcent sur l’artiste, son œuvre et sa place dans l’histoire de l’art contemporain en Côte d’Ivoire.

 

Peintre gestuel dont les premières œuvres datent de 1973, Monné Bou n’est pas de ces artistes travaillant avec des matériaux récupérés, assujettis aux esthétiques du collage, engagés dans les ornières de l’art dit contemporain. Fidèle au chevalet, il trouve un grand plaisir à préparer ses liants selon des méthodes bien à lui. Cela lui permet d’avoir des peintures fluides, choisies avec une attention de cuisinière, qu’il projette sur la toile installée à une certaine distance. Ses qualités de dessinateur font le reste.

Monné Bou met souvent en lumière la peinture de genre. Les amateurs d’art, eux, voient en lui le peintre de la femme et de l’enfant; à juste raison. En effet, les personnages dominants de cet artiste vrai sont la femme et l’enfant universels. Il les traite dans des postures délicates, sensuelles, qui interpellent le regard, montrent son sens aigu de l’anatomie et de la composition. Il y a dans son écriture plastique une densité où, curieusement, les zones de repos ont autant de force que les zones animées. Avec doigté, il convoque la femme et l’enfant pour un rituel de vie, loin du père.

L’ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique – sous le président Laurent Gbagbo, Séry Zacharie Bailly, disait notamment : « Monné Bou est le peintre de l’ascension sans le père ». Une telle assertion a tout son sens. Lui qui n’a pas toujours profité du cocon paternel, cette ascension est à lire comme la sombre métaphore de sa vie. Face à sa touche sui generis, tous les acteurs culturels, notamment ses confrères plasticiens, les critiques d’art et les journalistes culturels qui s’intéressent aux arts visuels, sont tous d’avis, unanimes que Monné Bou est l’un des plus grands – à côté de James Kadio Houra – peintres de Côte d’Ivoire. Sinon le plus grand plasticien que le pays n’ait jamais connu. Le public d’amateurs, face à l’immensité de son talent et son écriture singulière, n’a d’autre choix que l’allégeance.

Monné Bou a participé à diverses expositions nationales et internationales. Ses œuvres figurent dans de nombreuses collections publiques comme privées. Le président Henri Konan Bédié a, par exemple, offert, en 1994, une de ses toiles, celle-là intitulée « Toilette », au chef de l’Etat français Jacques Chirac, un irréductible passionné d’art. Qui, en grand collectionneur et mécène fier d’avoir une pièce de Monné Bou dans son immense collection, écrivait : « Cette remarquable œuvre picturale m’a permis d’apprécier toute la finesse, la sensibilité et la maîtrise de Monsieur Monné Bou, qui a sa place parmi les artistes contemporains les plus renommés ». « C’est le président Bédié qui lui a offert ça en cadeau. C’est vrai que ça peut faire plaisir, mais moi, ça me fait honte que ce soit l’étranger qui nous respecte, qui soit sensible à notre travail, quand nos décideurs eux nous méprisent royalement », regrette le concerné.

Comment le définir…

Pour la petite histoire, il faut relever que Monné Bou, né à Anyama un 1er janvier dans les années 40, a toujours été jeté dans l’art et ses prises de position sur le monde, ses écarts. Doué tant en décoration qu’en guitare, il est le camarade de promotion de Paul Dagri, Djédjé Amondji qu’il rencontre, en 1967, aux Beaux-Arts, alors situés au Plateau. Après son diplôme obtenu à Abidjan, il va s’envoler pour la France en vue de poursuivre sa formation à l’Ecole d’art et d’architecture de Luminy, à Marseille. De retour au pays, il professe les lignes, les courbes, les couleurs au Collège moderne du Plateau (1975-1986), puis à l’Ecole des Beaux-Arts (1986-1996). Encadré par Samir Zarour, il se libère de ce maître, s’en affranchissant, « tout comme mon petit Wanoumi Aziema, s’est affranchi de moi. C’est le cours normal de la vie », justifie Monné Bou.

Dans le temps seul plasticien ivoirien à avoir fait le tour du monde, Monné Bou s’est notamment rendu aux Etats-Unis, où il a été interviewé par la très prestigieuse chaîne de télévision d’information CNN. Le seul Ivoirien à l’avoir été. Mais aussi le seul Ivoirien à s’être fait subtiliser un tableau, le fameux « Dos nu ». « Ce n’est pas la première fois. Je me suis fait voler à l’étranger », précise l’artiste.

De Monné Bou, le directeur général de la galerie Houkami Guyzagn, le galeriste Thierry Dia, dit qu’il est un homme généreux, patient et en parfaite harmonie avec son environnement et la nature. En plus d’aimer la nature, il est pour la justice et est très paternaliste, révèle-t-il. « Un homme juste, travailleur et un grand professionnel de l’art. Monné Bou est un artiste majeur de l’histoire de l’art contemporain en Côte d’Ivoire ».

Thierry Dia persiste en retenant de Monné Bou : « Il est en contact avec la nature. Il aime la propreté. Cela se ressent sur ses tableaux. C’est un homme de paix. Il aime les choses simples. Il a pratiquement aujourd’hui 83 ans. Il a un vécu impressionnant. C’est un bâtisseur et un humaniste. C’est, en fait, un vrai artiste. Il n’est pas dans les calculs. Il a la main sur le cœur. C’est un monsieur tolérant, affable. Il s’est retiré à Adiaké dans les années 2000 où il respire l’air pur. Sa famille s’occupe de lui. Notamment ses filles. C’est un homme, un père comblé très proche des siens. C’est une fierté pour moi d’avoir à côtoyer un tel homme ».

Sa place dans l’histoire des arts plastiques en Côte d’Ivoire

A en croire Thierry Dia, qui a eu l’opportunité d’organiser les 30 ans de carrière de Monné Bou à Abidjan, « dans la Côte d’Ivoire moderne, Monné Bou est un pilier important. C’est un artiste talentueux. Si on était dans une société sérieuse et qu’on comptabilisait les ventes des pièces de nos artistes, je vous assure que Monné Bou et James Houra auraient compté parmi les artistes les mieux vendus du pays. On ne peut pas parler de Monné Bou sans parler de James Houra. Parce que c’étaient des compères. Et jusqu’à présent, ce sont les artistes les plus connus du pays et qui ont le plus vendu. Et cela se voit quand on retrouve plusieurs des œuvres de Monné Bou dans des lieux publics. Notamment au salon d’honneur de l’aéroport international Félix Houphouet-Boigny d’Abidjan-Port-Bouët où l’on retrouve certaines grandes œuvres de Monné Bou. Tout de même, à mon sens, leur talent n’a pas été suffisamment aussi bien reconnu. Même si on considère qu’ils ont été décorés, ils ont eu tous les honneurs et qu’ils bénéficient d’une bonne réputation en Côte d’Ivoire, j’estime qu’ils méritent bien plus que ça. Vu que ce sont les plus grands plasticiens de Côte d’Ivoire. Par ailleurs, Monné Bou mérite d’être connu de tous les Ivoiriens. Il est connu au niveau international. Il a un carnet d’adresses pas possible. Un carnet d’adresses des plus impressionnants. On s’en rend compte avec le nombre de collectionneurs qui effectuent le déplacement quand on prend le pari d’organiser une exposition de cette légende vivante de l’art contemporain en Côte d’Ivoire. Alors, pour moi, James Houra et lui restent et demeurent les artistes ivoiriens les plus connus et qui ont le plus vendu en Côte d’Ivoire ».

Le critique d’art Mimi Errol, lui, soutient que « la place de Monné Bou est prépondérante, parce qu’il a en quelque sorte révolutionné l’approche de la peinture en Côte d’Ivoire. Monné Bou est jeune dans la hiérarchie des artistes de Côte d’Ivoire après les Michel Kodjo, Christian Lattier. C’est sa précocité qui fait qu’on a l’impression que c’est un ancien. Mais, avant lui, il y avait des anciens. Monné Bou, au début des années 70, était encore étudiant aux Beaux-Arts. Il a une allure et une corpulence qui lui donnent un certain âge, mais il est de la même génération que peut-être même les Youssouf Barth, les Djiré Mahé ».

Dans la même veine, le journaliste Cheickna D. Salif du site web fratmat.info affirme que « Monné Bou est considéré comme l’un des pionniers de la peinture contemporaine en Côte d’Ivoire. Avec des artistes comme James Houra, il représente une génération fondatrice qui a façonné le paysage artistique du pays. Sa capacité à harmoniser les couleurs a non seulement marqué son style, mais a aussi influencé de nombreux artistes émergents. En tant qu’enseignant, il a contribué à la formation de plusieurs artistes, ce qui renforce son rôle dans l’histoire des arts plastiques en Côte d’Ivoire ». Pendant que son confrère Amadou Sanou relève que « Monné Bou est un peintre majeur dans l’histoire des arts plastiques ivoiriens. Il fait office de maître. Non pas pour sa longévité, mais pour son impact positif dans le milieu. L’artiste enregistre plus d’une vingtaine d’expositions personnelles et continue de travailler, malgré sa maladie, dans son atelier d’Adiaké. D’aucuns l’appellent le peintre sorcier à cause de sa technique de jet originale et ses contorsions remarquables. Pour la critique, c’est un artiste qui a exploré différents chemins, avant de s’affranchir et se redéfinir à travers le jet à l’aide du pinceau. De lui, Jacques Chirac, ancien président français, dira qu’il « a sa place parmi les artistes contemporains les plus renommés.  Ce qui montre aussi la force de son travail à l’international ».

Son écriture qu’il a lui-même nommée la « technique du jet » est unique

Chacune de ses toiles est conçue avec la même technique : la peinture par jet. Monné Bou, qui a lui-même nommé cette technique la « technique du jet » par opposition à la vieille « technique d’application », qui consiste à appliquer directement les valeurs à la toile par un contact physique du pinceau, ne fait pas d’esquisse de dessin avant de peindre : il se tient à distance et éclabousse la toile. Chaque projection forme des pointillés, qui constituent tantôt des formes d’enfants, tantôt un paysage. Toutefois, Monné Bou tient à préciser : « Je n’improvise pas. Je mets mon image dans la tête d’abord. Je réfléchis bien. Je réfléchis même à toute la composition. Les personnages, comment je vais les placer, les éléments de composition, comment je vais tout placer. Et je commence à travailler. Et ça vient juste comme je l’ai conçu dans la tête initialement ».

Le voir, avec son éternel sourire et sa bonne humeur, à l’œuvre est un moment d’introspection, de voyage interne, de mystère. Surnommé « le sorcier de la peinture » ivoirienne, il fait du figuratif à travers une technique abstraite et complexe. Monné Bou émerveille et c’est peu dire. Le plasticien illumine, domine l’art contemporain ivoirien avec ses œuvres. Ces dernières captivent, inspirent et éduquent.

L’artiste a expérimenté cette technique pour la première fois lorsqu’il étudiait aux Beaux-Arts à Marseille, en France : « Je faisais ça avec l’encre de Chine. Quand les esprits sont mauvais, on mélange le kaolin et puis on asperge. Pour chasser les mauvais esprits ». Le critique d’art Koffi Koffi indique que « sa technique de peinture est extraordinaire. Elle vaut, à elle seule, du spectacle. C’est la peinture par jet. Cet artiste-plasticien hors pair, qui jette la peinture sur la toile sans la toucher, est inégalable dans cette technique. Les jets commencent par donner des milliers et des milliers de pointillés. Le même jet lui permet d’avoir des traits. En plus de cela, il a l’écriture directe. C’est un graphisme particulier qui n’existe nulle part au monde ». Aussi poursuit-il dans un article dans « Scrib Magazine » : « Nombre de critiques ont fait du fils de Bécédi-Brignan le disciple de l’Américain Jackson Pollock. Pollock, du pop’art, dispose sa toile horizontalement, puis y asperge l’huile. C’est le painting action, une technique qui se fie au hasard pour obtenir des toiles abstraites. Or, chez Monné Bou, la toile est plutôt verticalement pendue au mur et la peinture lancée en jets conscients, calculés et réfléchis, selon un modèle en mémoire. Monné Bou est aussi figuratif et plus de 95% de ses toiles représentent l’Homme régulièrement dans sa création. « Le vrai tireur d’élite, c’est moi ! ». Même si la trépidation des points et l’enchevêtrement des lignes restent l’identité graphique de Monné, il n’en demeure pas moins que son écriture a exploré et s’est enrichie d’autres voies qui, combinées, ont fini de faire de lui le génie plastique qu’il est et demeurera ».

Quant au Pr. Yacouba Konaté, philosophe et critique d’art, à la faveur de l’exposition individuelle baptisée « Hommage à Monné Bou », du 21 novembre au 20 décembre 2019, que sa galerie, La Rotonde des arts contemporains sis à Abidjan-Plateau, a abritée, il écrira dans le catalogue de cet évènement : « Le style de Monné Bou, c’est bien entendu le jet, cet exercice d’énergie, de vigueur, de justesse qui fait de sa peinture une performance à la fois physique, intellectuelle et esthétique. Physique, la technique du geste l’est, parce qu’elle frappe la cible à distance comme un tireur à l’arc. Intellectuel, le geste de Monné Bou l’est en ce qu’il est le fragment d’une idée à circonscrire à la face du tableau qu’il vient frapper. Esthétique : Monné Bou est un maître de la couleur qu’il sait mettre en musique. De son propre aveu, l’artiste est venu à cette forme de culture par sa volonté de rupture avec l’académiste et par une exigence d’innovation. Pour autant, il n’a pas choisi les voies tranquilles et confortables sans risque ni audace. Il a plutôt choisi la voie des acrobates, celle des funambules qui, sur un fil dressé, prennent le risque de se rater. Il a choisi le chemin de l’épreuve et du défi. Ce chemin passe par la concentration qui aligne le corps et l’esprit, et qui fait du geste pictural un jaillissement de taches ». Et de poursuivre : « Monné Bou ne laisse pas ses taches jetées au hasard des agencements aléatoires comme l’ont fait certains peintres abstraits, notamment les expressionnistes. Il prend sur lui de les recadrer pour faire surgir la luminosité des traits et des lignes qui arrivent comme une main amie qui vient vous sortir du brouillard de la nuit ».

Dans la chute de sa réflexion, l’ancien directeur général du Marché des arts du spectacle d’Abidjan (MASA) lâche enfin : « On peut dire : Monné Bou ! C’est technique. C’est vrai que tout l’art n’est pas dans la technique et toute technique n’est pas artistique. Mais, lorsque la technique se met au service de l’idée, de l’émotion, du beau; lorsque la technique est vivante, jamais assurée, mais toujours ouverte sur le travail et la recherche; lorsque la technique intègre le risque de l’échec et épouse la symphonie des lignes mélodiques de la couleur, elle exprime quelque chose de fondamentalement humain qui a à voir avec le sublime : cette apparition troublante, effrayante même qui nous ravit tout en nous renvoyant à notre éternelle fragilité. Il y va de ce mélange subtil du risque et de l’assurance dans l’oeuvre de Monné Bou, le peintre de l’Homme et de la nature qui cultive un sens du graphisme éblouissant ».

Pour l’avoir longtemps côtoyé, Thierry Dia avance que sa technique est tout simplement formidable. « De la technique du jet, Monné Bou a fait sienne une écriture particulière et exceptionnelle. Car cette technique me fait penser à une éruption volcanique qui détruit tout sur son passage pour, en réalité, (re)construire des images formidables à voir et à comprendre avec beaucoup de significations et de sagesse », lâche-t-il. Et d’apprendre : « Beaucoup de gens ne croient pas en son succès retentissant. Ceux qui ont essayé de le dénigrer ont même avancé qu’il tentait d’imiter Jackson Pollock, parce que ce dernier aussi employait la même technique. Mais la différence entre ces deux artistes, c’est que Jackson Pollock était un abstraitiste. Il faisait de l’abstrait pendant que Monné Bou réalise des formes avec son jet. Monné Bou a lui-même fabriqué ses instruments de travail qui lui permettent de diffuser l’encre et la peinture facilement sur sa toile. C’est une technique rodée. Si vous avez un tableau de Monné Bou qui date, par exemple, de 1980, vous constaterez que, jusqu’aujourd’hui, votre toile n‘a pas pris de rides. Parce que la peinture utilisée pour mettre en œuvre sa technique est formidable. Il n’y a pas d’épaisseur dans la peinture, il n’y a pas de craqure de la peinture, c’est allégé. C’est un jet qui touche la toile. Mais c’est exceptionnel. A tel point que – et c’est une anecdote –, lorsqu’on diffusait à la télévision sa technique de jet, le grand professeur Niangoran Bouah, dubitatif, s’est personnellement rendu à Adiaké pour voir par lui-même cette prouesse technique au cours d’une performance de l’artiste. Et, depuis ce jour-là, il a encouragé Monné Bou à enseigner sa technique à l’université. Et c’est comme ça que l’artiste a commencé à enseigner au département des arts de l’Université de Cocody ». Comme l’atteste son Certificat de prise de service, en date du 4 novembre 1996, à la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines et au titre de professeur certifié.

Quand on demande au directeur de la galerie Houkami Guyzagn s’il pense, comme beaucoup d’observateurs, qu’il y a un brin de mysticisme dans la technique du maître Bonné Bou, il est catégorique. Il retient que c’est de l’affabulation pure et simple que de le penser. « En Afrique, on a tendance à voir du mystère, du mysticisme partout. Non, il n’y a aucun mystère autour de sa technique. Monné Bou est un grand monsieur qui a beaucoup travaillé. Il n’y a pas de sorcellerie dans ce qu’il fait. Qui connaît Monné Bou sait que c’est un homme généreux. La preuve, il explique sa technique. C’est parce que c’est difficile et c’est compliqué qu’il n’y a pas une foultitude de jeunes peintres qui ont décidé de suivre ses traces. Sachez que Monné Bou est allé chercher et trouver ses instruments. Quelqu’un qui veut faire du jet ici en Côte d’Ivoire, s’il ne s’approche pas de Monné Bou, il n’arrivera jamais à le faire. Parce que ce sont des instruments que lui-même a fabriqués. Et, juste après, il y a la technique dont il faut aussi tenir compte. Il faut, par exemple, savoir et pouvoir tenir sur ses pieds. Il n’y a aucun mysticisme là-dedans. Je pense que c’est simplement l’aboutissement d’un travail acharné. C’est un travail abouti. Monné Bou est tout simplement un génie. Il faut le lui reconnaître et reconnaître, par ailleurs, qu’il fait un travail formidable ».

Aujourd’hui, sur les traces du Maître, le jeune peintre plasticien Zo Papi, qui a appris aux côtés de « grand-père » Monné Bou, ajoute au jet, de l’impression, fait à la main. « C’est à travers mon grand-père, a confié Zo Papi, que j’ai connu le jet. Depuis tout petit, il me donnait des pinceaux et m’entraînait, m’apprenait comment lancer à une certaine distance (la peinture) et comment il faut travailler et se tenir devant une toile. Comme bagage, il m’a beaucoup appris. Je remercie Dieu de m’avoir donné un grand-père qui est Monné Bou ».

Toutefois, Christelle Mangoua, commissaire de l’exposition marquant ses 50 ans de carrière, elle, s’est fait une autre vérité sur la technique de Monné Bou. « Après un demi-siècle à contempler la beauté des œuvres de Monné Bou, nous en sommes toujours à nous questionner sur l’intelligence de sa technique, sur ce mystère qui se cache derrière la technique du jet. Comment obtient-il l’image désirée en restant à distance de sa toile ? Comment transmet-il son intention à la peinture qui jaillit sur la toile ? Quels liens existe-t-il entre l’artiste et sa peinture ? Tel est le questionnement qui envahit les amoureux de la peinture de Monné Bou. Peut-être existe-il une forme de conversation entre l’artiste et sa peinture; un geste guidé par la voix de la peinture, par l’énergie que dégage l’œuvre; une forme de spiritualité. Nous pouvons présumer qu’il existe une véritable relation spirituelle entre Monné Bou et sa peinture. Cette relation est empreinte d’un mystère semblable à celui qui existe dans les rituels et cultes traditionnels africains. Ainsi, Monné Bou pourrait être défini comme un être spirituel s’inspirant ou imitant les rites cultuels à travers sa peinture. En aspergeant la toile de la peinture, Monné Bou reproduit un geste profondément ancré dans les rites cultuels des peuples akan, auxquels il appartient », estime-t-elle. Avant de faire remarquer que la technique du jet se veut un acte pur et vierge. « Chaque lancée est à la fois un acte créateur et créatif. Elle est empreinte de mystère suscitant une connexion émotionnelle et intemporelle avec ceux qui la contemplent », estime-t-elle.

Christelle Mangoua défend sa position, allant jusqu’à estimer même que le jet de Monné Bou est bien plus profond qu’on pourrait le penser. « Tout comme les Komians – institution traditionnelle composée essentiellement de femmes, garants des valeurs traditionnelles dans la société akan –, à qui est réservé le monopole du « jet », Monné Bou se hisse au niveau de la création », argumente-t-elle.

Fasciné par la technique de Monné Bou comme bon nombre de ses confrères journalistes, Amadou Sanou ne manque pas de faire savoir que « voir Monné Bou peindre est un délice. On est traversé par plusieurs sentiments : la curiosité, l’hébétement et l’émerveillement. Lorsqu’il place sa toile « vierge », s’en éloigne de 50 cm à 1 m, et que les points fins viennent la toucher, on se demande qu’est-ce qu’il peut bien faire. Et quand on le voit se tortiller comme un contorsionniste, avancer vers la toile, scruter un détail, se retourner et continuer ses lancées, on est pessimiste. Et, de façon magique, on commence à apercevoir des formes, des corps, des êtres (humains ou la nature). Et là, c’est le questionnement : comment de la peinture projetée peut-elle créer de telles formes ? C’est tout là Monné Bou. Et certaines personnes ont vite fait de lui attribuer des pouvoirs surnaturels. D’où l’appellation « le sorcier ». Cette technique se démarque de la technique traditionnelle du jet, car c’est tout un rituel, une chorégraphie, un évasement ».

Les étoiles pleines les yeux quand on disserte à propos de l’oeuvre de Monné Bou, le critique d’art Mimi Errol ne tarit jamais d’éloges à l’endroit de cette icône de la peinture dont il a un profond respect pour le travail. Pour lui, avec sa technique, Monné Bou défie tout le monde sur la base des Beaux-Arts dont le dessin est la quintessence. « On pourrait dire que c’est juste le dessin, que c’est le truc basique, mais, en même temps, la couleur y est. Et, en plus, il est plus proche un peu même de l’art africain où la danse est associée à la transe des danseurs. On retrouve tout ça dedans. Le spectaculaire, la mise en mouvement de son corps. C’est-à-dire qu’il met son corps en jeu. C’est tout un ensemble, un travail d’esprit, un travail physique et un travail visuel. Donc il arrive à réunir tout ça. Et quoi qu’on dise, il peut amener des gens qui ne connaissent pas les arts plastiques à aimer l’art en général par sa technique spectaculaire, mais aussi par son éthique de travail. Donc j’estime que, de ce fait là, c’est quelqu’un qui compte aujourd’hui et qui va compter demain dans le monde de l’art en Côte d’Ivoire », est-il persuadé. Et, dans la même veine, il explique : « Mais ce qui est sûr, c’est que c’est un artiste qui a su se faire un chemin avec une technique inédite. Bien que cette technique-là soit connue, avec les dripping, les happening américains, je pense qu’il y a quand même une certaine virtuosité dans son travail. Parce que la plupart des gens qui font le dripping sont presque abstraits. Donc ce sont des lignes, des traces. Mais, il arrive à faire de la figuration avec son jet. C’est sa spécificité. Ça montre qu’il est un véritable dessinateur, le dessin étant à la base des arts plastiques. Monné Bou est un virtuose de la peinture. De ce point de vue, je pense qu’il est unique en son genre. Il est un véritable performeur qui met en scène tout son être. Parce qu’avec la gestuelle, sa technique, l’esprit, sa volonté de pouvoir représenter quelque chose, l’on retrouve en lui un vrai artiste, un artiste complet. Sa technique s’approche de certaines techniques connues, mais je pense que son côté spectaculaire va prédominer longtemps. Il va très longtemps encore défier les autres peintres sur la propreté de son dessin. Le dessin, comme je l’ai déjà relevé, étant à la base des arts plastiques. Je pense que beaucoup de gens se cachent derrière l’abstraction pour masquer leur faiblesse, leur carence, le fait qu’ils ne soient pas de bons dessinateurs. De ce fait-là, Monné Bou est un artiste accompli qui est parti avec le b.a. ba des arts plastiques. C’est-à-dire le dessin, la ligne, les couleurs. Il allie tout cela du point de vue technique et, du point de vue virtuose, il est spectaculaire. Et je pense que si on présente des tableaux d’artistes aguerris qu’on considère talentueux et qu’on met en face un tableau de Monné Bou en action en train de réaliser son œuvre, beaucoup d’hommes vont pencher pour ce côté spectaculaire, le côté virtuose de son travail par rapport à la constitution d’un tableau. Même si ces personnes ne comprennent pas la signification du jet qu’il va faire, et ce qu’il va produire, il aura la faveur d’un public, parce que c’est interactif avec le public, avec lui-même, avec l’énergie qu’il dégage. C’est tout un spectacle ».

Le journaliste culturel Jean-Antoine Doudou du journal « Le Patriote » fait remarquer qu’il y a dans l’écriture plastique de Monné Bou une densité où, curieusement, les zones de repos ont autant de force que les zones animées. « Avec sa technique qui lui est particulière : « le jet », il émerveille par les figures qui transparaissent au bout des gouttes. Et ces figures interpellent le regard, montrent le sens aigu de l’anatomie et de la composition de l’artiste ».  

Son confrère du site web fratmat.info, Cheickna D. Salif, estime que la technique du jet de Monné Bou est effectivement fascinante. « En s’inspirant de l’expressionnisme abstrait de Jackson Pollock, il réussit à établir un dialogue entre abstraction et figuration. Son choix de travailler sur un châssis, contrairement à Pollock, permet une plus grande maîtrise du geste et des formes, intégrant ainsi des éléments narratifs dans ses œuvres. Cette approche atypique soulève des questions sur l’intention artistique et la manière dont le mouvement peut être capturé sur la toile, offrant une expérience unique au spectateur », justifie-t-il l’approche de Monné Bou.

En décembre 1997, l’actuel directeur des Arts plastiques et visuels au ministère de la Culture et de la Francophonie, le journaliste et critique d’art Henri N’Koumo, écrivait dans « Ivoire Soir » parlant de Monné Bou et sa technique : « Magie des signes et des taches pour dire la finesse du dessin et la force de la peinture, mais surtout la grande peinture du plasticien. Magie des couleurs : Monné Bou n’a pas d’égal dans ce domaine, car il sait écouter leur musique et lire leur mouvement dans la luminosité de son expression. Grand coloriste, il a les mots qu’il faut pour tous ceux qui veulent le suivre au pays des couleurs, surtout pour ses élèves. « Je dis toujours à mes élèves : ne mettez jamais les couleurs les unes contre les autres. Le faire, c’est créer une vibration qui fait que les éléments se repoussent. Il faut plutôt placer les couleurs les unes à côté des autres. Dès cet instant, il y a musicalité, harmonie, équilibre et donc beau ».

La journaliste Agnès Kraidy, en janvier 1992, écrivait aussi dans « Ivoire Soir » : « Le souci majeur du peintre : atteindre un équilibre. Pour y arriver, il quitte les chemins battus de l’art plastique pour une nouvelle approche : il fait d’abord une quête de couleurs sur toile pour aboutir à l’obtention d’une toile de fond colorée et gaie avant de créer les formes. Cette invention lui permet d’atteindre, au niveau des couleurs, une perfection au niveau des lignes et des jets. Des couleurs pour créer le monde dans une vision idéelle d’un peintre qui veut voir l’Homme baigner dans la gaieté. Ces lignes fines qui montrent que derrière l’Homme se cache un très bon dessinateur ».

La galeriste Emilienne Anikpo, promotrice du festival « Art et Nature » ou Katadji (dans les années 2010), dit dans « Scrib Magazine » à propos de la technique de Monné Bou : « Je n’aime pas les choses qui sont trop lisses, les dessins trop bien faits. Or le fait de jeter ne peut pas être aussi lisse que les traits qu’il dessine. Et ça, ça donne quelque chose de particulier, de beau, de merveilleux, qui fait réfléchir. On se dit que, vraiment, pour arriver à ce niveau de qualité, il faut être extrêmement exigeant avec soi-même. Maintenant, je le sais parce que je suis avec lui, je le vois travailler, je le vois réfléchir, interagir, on échange énormément. C’est quelqu’un d’extrêmement exigeant avec lui-même. Et cette exigence qu’il a vis-à-vis de lui-même est reflétée dans son travail ».

Professeur d’art aux Beaux-Arts d’Abidjan, le plasticien Pascal Konan est honnête quand il évoque Monné Bou. Il fait ainsi savoir qu’un bon professeur et maître est celui pour qui le principe de l’autorité ne se résume pas à un stylo rouge, mais dans sa capacité à transmettre de loin ou de près le savoir et assurer de fait la continuité de la créativité en favorisant la formation de disciples dont il fait partie. « Bien que n’ayant pas eu ce privilège d’être compté parmi les jeunes qui l’aient côtoyé, il demeure un maître pour moi tant son travail rigoureux et esquif a inspiré mon écriture depuis 2009. A partir de sa démarche artistique et impactante, l’artiste force l’admiration, d’une part, parce que la pratique de son art s’inscrit dans la durée par sa résilience et non dans un quart d’heure de gloire. Et, d’autre part, par sa belle facture picturale qui se décrit par une gestuelle maîtrisée de jets dans un mouvement fugace, intuitif et précis qui donnent forme à son imagination », témoigne-t-il.

Bouclant la boucle, feu l’ancien ministre Séry Zacharie Bailly, dans sa production dans le n°34 du 25 décembre 1991 du journal « Notre Temps », écrira sur l’œuvre de Monné : « L’événement de notre temps, c’est aussi l’exposition du peintre Monné Bou. C’est un maître. La prudence aurait voulu que je l’écoute bien, avant de parler, Mais nous savons tous aujourd’hui que la liberté est un grand risque. De la part de cet artiste, je ne risque rien d’autre qu’un sourire attendri ou un discret haussement d’épaules devant une ignorance plutôt largement partagée. Je parle donc sans crainte et en toute sympathie. (…) Par essence, le technicien du jet est un homme du mouvement. La peinture va à l’assaut de la toile, l’envahit dans un tourbillon qui ne saurait passer inaperçu. Quelle est alors la nature de ce mouvement ? Sauf erreur d’appréciation, il me paraît extérieur et bien gentil. Il se produit autour de l’objet et l’enveloppe, ou tout simplement accompagne son propre mouvement. Ce n’est pas un remous, encore moins un tremblement de terre ! Rien de décisif. Rien ne semble sur le point de chavirer. J’ai senti un léger tourbillon, pas d’ouragan, loin s’en faut ».

La transmission, l’héritage laissé aux jeunes générations

Monné Bou continue de peindre dans son atelier à Adiaké. Les œuvres de cet ancien professeur d’université dialoguent aussi avec les toiles d’autres artistes, auxquels il a pu transmettre ses connaissances. « A la célébration de ses 50 ans, des œuvres de nombreux jeunes peintres ont été accrochées à côtés des siennes. Ce qui montre son ouverture à la jeune génération. Aussi, on l’a dit, c’est un maître. Il a encadré de nombreux artistes qui se sont affranchis de lui, comme lui-même s’est affranchi de son maître Samir Zarour pour trouver sa propre voie. Sa technique fait tache d’huile dans les écoles d’art en Côte d’Ivoire et rares sont les étudiants de ces écoles qui ne reconnaissent pas son écriture », affirme Amadou Sanou.

Le journaliste Cheickna D. Salif est convaincu que « son héritage est effectivement immense. Monné Bou a non seulement innové avec sa technique, mais il a aussi cultivé un esprit de transmission. De nombreux jeunes artistes se disent influencés par son approche, même s’ils reconnaissent la difficulté d’imiter son style unique. Son impact sur les jeunes générations se manifeste à travers leur désir de se lancer dans la peinture et d’explorer de nouvelles formes d’expression. Cette dynamique montre que son œuvre continue de vivre et d’inspirer, et sa persévérance est un modèle à suivre pour ceux qui aspirent à faire carrière dans l’art ».

Le journaliste Jean-Antoine Doudou, lui, estime que son impact sur les plus jeunes est tangible. « Même si tous les artistes qu’il a encadrés ou qui se reconnaissent en son écriture scripturale n’utilisent pas exactement sa technique de « jet », un artiste comme Amani Aka Ange dit Amakan a une expression proche de Monné Bou et il ne s’embarrasse d’aucune fioriture pour témoigner la force de son admiration envers Monné Bou dans l’utilisation des couleurs et de la matière. L’artiste a, dans la transmission du savoir, formé, inspiré et impacté plusieurs jeunes créateurs du point de vue de l’écriture picturale », retient-il.

Quant à Mimi Errol, il est péremptoire sur la question : « Déjà, il est primordial de rappeler que Monné Bou représente un peu son peuple, le peuple attié. Donc, en le prenant dans l’expression globale de l’art en Côte d’Ivoire, il va compter par sa longévité et sa persistance sur la scène, mais aussi sa générosité, parce que c’est quelqu’un d’ouvert. Ça va durer, ça va perdurer. Je suis certain que son œuvre va survivre et Monné Bou sera perçu comme un peintre singulier dans l’expression artistique de Côte d’Ivoire. Et je suis persuadé que ses œuvres seront nombreuses dans les collections privées et que les gens vont conserver ses collections parce qu’il a réussi à se faire respecter, à avoir une technique particulière et à avoir un narratif à partir de ses travaux. Je crois que l’amour vient comme ça en se donnant un peu une ouverture par rapport à l’autre et de le connaître, de pouvoir connaître son cheminement, sa réflexion et tout. Et je suis convaincu que ça aide à la durabilité. Et comme sa technique est vraiment très aboutie, Monné Bou va survivre à la mode ou le désir de se servir d’une technique, une expression pour pouvoir durer dans le temps. Son travail est valable ».

En outre, le critique d’art atteste que « Monné Bou est un pédagogue dans l’âme. Quand on revient sur son parcours, on découvre que c’est quelqu’un qui n’a jamais fermé son atelier à qui que ce soit. Je prends pour exemple le peintre Salomon (Hermann Anges Fabrice Irié, son nom à l’état civil) qui est resté longtemps auprès de lui. Je pense à Zo Papi, un jeune peintre qu’il a adopté et à qui il donne continuellement des directions, des directives dans son travail. Et du fait de son ouverture, je puis dire que la peinture compte beaucoup de manière sociale chez Monné Bou. Il vit la peinture, il vit avec, il vit pour la peinture. Et sa disponibilité a fait de lui un artiste plein. Vous me direz sans doute que c’est un Attié. Les Attié, on ne le remarque pas très souvent, ont cet enthousiasme-là de la culture, de l’expression artistique, que ce soit en musique, que ce soit en mise en scène, etc. Je puis donc affirmer qu’il a tout pris, puisé dans l’héritage du peuple attié dont il est un digne fils, un digne ambassadeur. Le peuple attié est un peuple enjoué. Et Monné Bou l’est. Du haut de ses 80 ans, il a des réflexions de jeune. Il croit encore à l’avenir, il a un esprit jeune, il est ouvert. Ça fait que ça compte beaucoup. La durabilité, la profondeur du travail avec le temps, ça reste ».

Enfin, Thierry Dia ne mâche pas ses mots quand il s’agit de parler de transmission et d’héritage chez Monné Bou : « Monné Bou reste une référence aux Beaux-Arts. Il reste une référence dans le domaine des arts plastiques. Même au niveau des collectionneurs, tout le monde sait qui est Monné Bou. Monné Bou est un très grand artiste. Malheureusement, très peu d’artistes se sont inspirés de sa technique. Peut-être parce qu’il se raconte qu’il y a un brin de mystère, de mysticisme là-dedans. Mais il a un petit-fils (Ndlr ; Zo Papi) qui essaie de faire comme lui, de suivre ses traces. Il faut savoir que Monné Bou a 3 écritures. Il a le jet et la ligne continue, et il a un autre côté avec des symboles géométriques. Mais c’est le jet qui a le plus retenu l’attention des uns et des autres. C’est aussi le jet qui a la plus grande particularité. Le jeune plasticien Salomon, lui, s’est intéressé à la ligne continue. Très peu de jeunes ont pu suivre sa technique du jet, parce que vraiment c’est impressionnant ce qu’il fait. Ne pas toucher une toile, jeter de la peinture là-dessus et avoir des formes, ça sort de l’ordinaire. Ce petit-fils, qui vit avec lui à Adiaké, a fait les Beaux-Arts. Ce dernier essaie de suivre les traces de son célèbre grand-père. Ce qu’il fait est aussi impressionnant. Quand tu vois ses créations, si on ne te dit pas que ce n’est pas du Monné Bou, tu penseras avoir affaire aux œuvres du maître. Mais il ne peut pas, avec la finesse, reproduire textuellement le travail de son oncle avec les formes. Parce que Monné Bou te fait des formes incroyables. Tout le monde est dubitatif devant le résultat de ses performances, surtout quand on voit qu’il n’a à aucun moment touché la toile. Sinon c’est un bel et gros héritage qu’il laisse dans les archives. C’est un grand symbole. Et comme je l’ai dit, on ne peut pas parler de Monné Bou sans parler de son alter ego James Houra. Les deux ont rayonné comme pas possible dans le secteur qui est le leur. Et on ne peut que se référer à ces deux personnages. C’est comme on ne pouvait, à la belle époque, parler de l’Africa sans parler de l’Asec. Quand tu parlais de l’Asec, tu parlais aussi et automatiquement de l’éternel rival, l’Africa. Ce sont deux dinosaures qui se valent par leur taille, par leur influence. Monné Bou, au final, est un grand homme ».

Il est, par ailleurs, aussi important de dire que sa démarche artistique a ainsi marqué de nombreux jeunes plasticiens, à l’image d’Isidore Koffi. Cet artiste s’est approprié la technique de Monné Bou, qu’il revisite à sa manière. Il se définit comme un « tachiste », référence à la technique du jet initiée par Monné Bou : « Le maître Monné Bou, dans la forme de l’œuvre, à une certaine distance, il y a une réalité que nous pouvons percevoir. Les amas de coloris, ce sont des points qui, à une certaine distance, vont construire une image, comme un mouvement. C’est pareil aussi dans mes créations, je tiens compte toujours de l’éloignement. Quand on est plus proche, on a l’impression d’être dans un chaos. Mais à une certaine distance de l’œuvre, on voit une scène de vie. Voilà, donc, c’est à travers tous ces éléments graphiques, à travers la tache, que j’ai retransmis cette vie ».

Le Musée des civilisations, théâtre de l’exposition-hommage à Monné Bou

La Côte d’Ivoire a célébré avec faste, du 7 au 21 mars 2024, au Musée des civilisations de Côte d’Ivoire sis à Abidjan-Plateau, les 50 ans de carrière de Monné Bou à travers une exposition-hommage qui est revenue sur son parcours, du début de sa prolifique carrière dans les années 70 à nos jours. Le vernissage de cette exposition baptisée à dessein : « Monné Bou : le mystère du jet, 50 ans après » s’est déroulé, dans la soirée du jeudi 7 mars dernier, en présence de la ministre de la Culture et de la Francophonie, Françoise Remarck, marraine de cette rencontre picturale.

Cette exposition-hommage incitait, nous fait savoir Christelle Mangoua, au questionnement sur le mystère qui entoure le geste de l’artiste. « Au fil des recherches, ce qui semblait être des réponses évidentes s’effondrent d’elles-mêmes. Il apparaît qu’une explication définitive quant à l’intelligence du jet de Monné Bou nous échappe. Peut-être que ce mystère n’est ni plus ni moins qu’un croisement de prédisposition naturelle d’influences culturelles et de hasard artistique : toujours est-il qu’il y a bien là matière à débats, car le mystère du jet demeure toujours », conclut la commissaire de l’exposition.

« 50 années de travail. 600 mois de réflexion et 216.000 jours de créativité : ce n’est pas rien », assure le collectionneur d’art Nahim Suti dans sa comptabilité- au moment de la célébration des 50 ans de carrière du maître du jet- de la longévité du Maître Monné Bou dont il acquis des toiles. Il affirme que « cette fidélité et cette constance sont un gage de valeur pour nous amoureux de l’art qui nous essayons à la collection. Merci Monné Bou, merci l’artiste qui nous donne raison d’avoir eu confiance en lui et d’avoir pris le « risque » d’investir dans ses oeuvres. Puisse cela inspirer la nouvelle génération ! ». Monné Bou est passé maître de la technique du jet. Tout amoureux de l’art se retrouve toujours, après un demi-siècle, à contempler la beauté de ses œuvres, à se questionner sur l’intelligence de sa technique, sur le mystère qui se cache derrière la technique du jet.

Dossier réalisé par Marcellin Boguy

Légende photo : Monné Bou, l’artiste résilient produit toujours.

 

Encadré 1

La célébration de ses 50 ans de carrière à Abidjan dans le détail

L’exposition « Monné Bou : le mystère du jet, 50 ans après » a mis en lumière le parcours universitaire de Monné Bou. À cela s’est ajoutée une rétrospective sur son travail. Christelle Mangoua, la commissaire de cette exposition, a ainsi montré deux autres techniques utilisées par cet artiste : « On s’est rendu compte qu’autour des années 1993, 1994, 1995, Monné Bou a changé un tout petit peu. Il a commencé à représenter les pagnes tissés. Plus on évoluait dans les années 2010 à 2020, on est allé un peu sur des lignes, en fait, c’est des dessins. Je pense qu’il les appelait l’écriture directe et c’est vraiment des dessins qu’il fait, mais très fins ».

Au cours de sa prise de parole à ce vernissage, Christelle Mangoua a tenu à situer les invités sur l’essence de cette exposition, d’en ressortir les objectifs, après en avoir situé le contexte. Elle a notamment révélé que l’objectif principal de cette exposition-hommage à Monné Bou était de mettre l’accent sur sa gestuelle, sa technique, mais aussi la qualité de son travail entamé depuis 1973 et qui lui a valu de nombreux lauriers et une kyrielle d’expositions en Côte d’Ivoire, mais aussi travers le monde. Et de préciser que cette rencontre picturale se déclinait en une sorte de tableaux : en premier lieu, avait-t-elle situé, l’artiste a été présenté à travers une exposition documentaire. En outre, une exposition rétrospective de 14 de ses œuvres (en fait les photos de celles-ci) recensées par décennie (dont 2 par décennie, mais 4 toiles concernant les années 90) a été mise en exergue. Enfin, avait-elle poursuivi, le visiteur a été amené à vivre une conversation entre Monné Bou et la jeune génération à travers leurs œuvres récentes. Notamment 16 du célébré réalisées en décembre 2023. Lesquelles ont été mises en vente au cours de cette déclinaison de l’exposition, avec celles d’Isidore Koffi, Gnohité (Prince Galla), Zo Papi, Salomon (qui se sont inspirés de sa technique : taches et jet) et Amakan et Roger Yapi (qui tiennent Monné Bou en modèle), partie prenante de « cette conversation ».

Miss Mangoua a indiqué qu’une vidéo passait en boucle et qui montrait Monné Bou en plein processus de création. En outre, le public avait la possibilité de visionner, en boucle aussi, l’album de toutes ses photos documentées depuis 1973, début de son immense carrière. Elle a notamment dit l’importance que revêtait le fait de faire une pause pour célébrer ce monument de l’art contemporain ivoirien. « Lui dire merci pour tout ce qu’il a produit pour l’art », avait-elle précisé. La commissaire de cette exposition n’a pas manqué de se réjouir du fait que Monné Bou a bien conservé ses archives. « Il a bien documenté ses œuvres. Comme s’il entrevoyait en le faisant cette exposition pour la postérité », a-t-elle affirmé.

Quant à la marraine de l’exposition, la ministre de la Culture et de la Francophonie, Françoise Remarck, elle a fait les éloges de ce maître de l’art contemporain. « La Côte d’Ivoire rayonne dans plusieurs disciplines. Des disciplines qui la font connaître un peu partout à travers le monde. Ce qui en fait notre fierté. Nous venons de remporter notre CAN. Grâce à Monné Bou, notre pays continue de rayonner. Et ce, depuis 1973, année de ses débuts. Christelle, merci de rendre hommage à un grand homme, à un grand artiste », s’est réjouie Françoise Remarck. L’artiste, lui, peu loquace, n’a fait que remercier le public, surtout la Première Dame, Dominique Ouattara, et la ministre de la Culture, pour leur soutien de tout ordre. Appui qui a permis que se tienne cette exposition-hommage.

M.B.

Encadré 2

Regards croisés de journalistes, galeristes, critiques d’art… sur « la fête » à Monné Bou

Les acteurs de l’écosystème des arts visuels ont fait cas de leur ressenti sur l’importance de célébrer les 50 ans de carrière de cette icône des arts plastiques en Côte d’Ivoire.

« C’est important pour un artiste que des gens hors de leur domaine, ici notamment des gens qui ne sont pas des peintres, qui sont hors du système, voient en lui une consécration. Car ne dure pas dans l’art qui veut. Il y a beaucoup de gens talentueux qui ont commencé et deux ans, trois ans, cinq ans, dix ans, mais qui, après, ont lâché les pinceaux. Donc il y avait vraiment un engagement avec la peinture qui est la durabilité même de son expression qui fait qu’à coup sûr, Monné Bou va compter dans l’histoire de l’art en Côte d’Ivoire non seulement par sa technique, mais par sa présence continue, sa longévité sur la scène. Et son travail personnel l’a aidé aussi à entrer dans des collections fameuses qui vont faire de lui quand même quelqu’un qui va compter à coup sûr dans l’histoire de l’art en Côte d’Ivoire », précise le critique d’art Mimi Errol.

Le galeriste Thierry Dia, qui a pris part au vernissage de cette exposition et qui rappelle même, au passage, que c’est lui qui a organisé les 30 ans de carrière du peintre gestuel, en 2003, à la galerie « Sainte Cécile » de l’ex-ministre Odettte Kouamé à Abidjan-Cocody, regrette que la nouvelle génération ne connaisse pas Monné Bou. « Et c’est bien dommage. Ce sont les anciens qui savent la réputation dont jouit Monné Bou. Déjà dans les années 80, 90, parmi ceux qui avaient le pouvoir d’achat, beaucoup ont acheté Monné Bou. Malheureusement, ici, on n’a pas une transmission, une diffusion de nos icones, de nos grands artistes. Ça fait que quand il y a une génération qui monte, il n’y a pas de transmission à la génération qui suit. La chaîne de génération est alors rompue. Les jeunes qui arrivent aujourd’hui sont ainsi tout de suite perdus. Ils ne savent pas quelles sont ces légendes-là. Mais les gens d’avant savent que Monné Bou est un grand monsieur. La jeune Christelle Mangoua a fait tout pour réveiller quand même tout le travail abattu par Monné Bou au cours de sa carrière. La preuve, nous avons tous vu les superbes tableaux qu’il a exposés, avec des œuvres récentes réalisées pour la circonstance. Le vernissage a fort heureusement été rehaussé par la présence de Madame la ministre de la Culture. Monné Bou reste une légende vivante. Et je vous rappelle que, dans les éditions de NEI-CEDA 1970, quand on parle de l’histoire de la Côte d’Ivoire, de ceux qui ont bâti ce pays, Monné Bou figure en bonne place au niveau des arts plastiques », indique le directeur général de la galerie Houkami Guyzagn. Qui est heureux que Monné Bou résume en 50 ans une carrière bien remplie en tant qu’artiste-plasticien reconnu autant dans son pays, la Côte d’Ivoire, que dans le monde. « Maître du jet, il fait partie des dignes fils de la Côte d’Ivoire artistique et culturelle. Et comme un symbole, c’est au Musée des civilisations de Côte d’Ivoire que s’est tenue l’exposition-hommage en son honneur. Signe, pour moi, qu’il est temps que l’Etat de Côte d’Ivoire consacre un musée qui soit dédié à ces grandes figures de l’art contemporains », propose-t-il.

Quant au journaliste Jean-Antoine Doudou, il apprécie cet hommage à un grand homme, un grand artiste en ces termes : « Cette exposition-hommage qui s’est tenue du 7 au 21 mars dernier, sous le thème « Monné Bou : le mystère du jet, 50 ans après », a été une occasion rêvée, pour tous les puristes et les amoureux des arts visuels, de voir ou revoir Monné Bou. A travers l’expo-documentaire, l’on a découvert qui est Monné Bou, du point de vue de ses diplômes. Son parcours et les photos présentées étaient beaucoup expressifs en mettant l’accent sur l’homme et son trajectoire artistique. Une belle occasion qui a retrempé le public dans l’univers de cette icône des arts plastiques ».

Le journaliste Amadou Sanou ne dit pas autre chose, qui avance : « Selon des confidences, pour ses 50 ans de carrière, Monné Bou, bien que malade, a travaillé en tout et pour tout un mois pour sortir 16 toiles qui ont été exposées au Musée des civilisations de Côte d’Ivoire, un lieu emblématique et plein de sens. Ce qui montre qu’à 80 ans révolus et éprouvé par la maladie, la peinture constitue, pour lui, un calmant, une catharsis. Aussi, il est important de saluer l’intelligence de la commissaire générale de cette exposition (Christelle Mangoua) qui a su retracer la carrière de l’artiste, certes à travers l’évolution de son travail, mais aussi en documentant sa vie. On y découvre des documents inédits tels que les certificats de ses diplômes, les coupures de presse de ses premières expositions, des lettres d’invitation, des distinctions. En un mot, on redécouvre Monné Bou. Et, enfin, l’exposition était soutenue par des créations de la jeune génération de peintres, qui s’est soit inspirée de lui ou qui marche dans ses pas ».

Et le journaliste Cheickna D. Salif, lui, argumente : « Les 50 ans de carrière de Monné Bou célébrés à Abidjan représentent une reconnaissance de son parcours exceptionnel et de sa contribution inestimable à l’art ivoirien. Cet événement a permis de mettre en lumière non seulement son œuvre, mais aussi son rôle en tant qu’éducateur et mentor. Il a su inspirer plusieurs générations d’artistes à travers ses enseignements à l’Ufrica, où il a partagé son savoir-faire et sa passion pour l’art ».

A en croire Pascal Konan, « dans la série de reconnaissance qui ont afflué pendant cette célébration, cette reconnaissance individuelle corrobore la pensée de Daniel Pennac selon laquelle « un professeur n’inculque pas un savoir, il offre ce qu’il sait. Maître Monné Bou a tant offert e continue d’offrir. C’est donc à juste titre qu’il a été célébré à l’occasion de ses 50 années de carrière ».

M.B.

Encadré 3

Quelques paroles fortes de Monné Bou extraites de ses interviews

– « Je ne sais pas si l’artiste lui-même peut faire le point de sa technique. Il y a des spécialistes qui sont appelés à faire ce genre d’analyses : ce sont les historiens d’art, les critiques, les journalistes qui s’intéressent à l’art, les littéraires… qui peuvent le faire. Je dirai tout simplement que ma technique a pris naissance dans l’atelier de Jacques Buche à l’école d’art et d’architecture de Luminy à Marseille. J’étais parti de l’idée de l’éclaboussure : en éclaboussant une surface nue, il y a la tache qui s’exprime, et je me suis dit qu’on pouvait dominer la tache pour créer une forme. J’ai donc commencé ainsi mes recherches. Bien sûr, cela n’a pas été facile, mais, petit à petit, j’ai pu orienter correctement mes jets avec les différentes formes de pinceau que j’ai à ma disposition. Ainsi, un jour, j’ai placé des silhouettes, des personnages avec cette technique. Maintenant, j’essaie de faire une certaine épuration : je privilégie certaines lignes. J’essaie de les circonscrire, de les délimiter pour créer davantage de mouvement parce que je considère que l’Homme est un être mobile. (…) ».

– « Cette technique, je l’ai inventée après des années de recherche. Je suis le seul à l’avoir au monde ».

– « Je m’ennuyais pendant les cours de dessin. Alors j’ai acheté l’encre de Chine. Au lieu de prendre le pinceau et dessiner les modèles… les modèles vivants d’étudiantes qui ont besoin d’argent et qui viennent poser nu pour être reproduites. Donc je prends le pinceau, je mets dans l’encre de Chine. Je reste au loin et tac. Je lance sur le papier. Et puis les personnages sortent vraiment. Je dis : « Ah ! Ça aussi, c’est une idée hein ». Donc, à partir de là, je ne vais plus aux cours de dessin. Je dis que je suis calé : si je reste à distance pour faire des modèles, pourquoi aller aux cours de dessin ? Et le professeur a accepté. Ça, c’est en dessin. Maintenant, je l’ai pratiqué en peinture et puis ça a été explosif. Le professeur habite Paris et il vient une fois toutes les deux semaines. Quand il a vu mes travaux, il a demandé : « Mais comment tu as fait ça ? ». Je lui répondu : « Mais bon, comme je m’ennuie, j’ai essayé de faire quelque chose de différent, d’originale ». Il a rétorqué : « Ah ! Il faut aller plus loin. Mais je vais te faire écouter des disques et tu iras loin. Il est venu avec beaucoup de musique classique… Il m’a imposé cette musique et j’ai écouté. Au début, je n’aimais pas beaucoup. Et puis, plus tard, j’ai adopté la musique, parce que ça me permettait de travailler, de continuer à jeter ma peinture à un rythme désordonné. Le professeur était tellement content qu’il m’a invité à Paris avec une de mes amies à déjeuner chez lui à la maison. C’était en 1973. Quand on est revenu, il m’a confié la direction de l’atelier de peinture ».

– «… Il y a d’abord les taches, les couleurs et les fonds des toiles que j’étudie : je peux prendre tout un mois à étudier le fond d’une toile : il y a un certain langage de couleurs qui vient et c’est sur ce fond que viendra une composition qui sera des personnages, des animaux, etc. Il y a donc chaque fois une recherche, une évolution et dans les couleurs et dans les thèmes que je traite ».

– « Je ne dis pas que j’ai créé une technique qui me démarque : non ! Mais c’est une écriture. Chaque peintre doit pouvoir s’identifier à travers ce qu’il crée. C’est très important. Et puis, dans le jet, il y a une telle liberté qu’on peut dire que c’est une sorte d’aventure. Et c’est cela qui est important. Il ne peut donc y avoir de monotonie. Au contraire, cela crée la diversité comme le montre ma présente exposition ».

– « Comment rester à distance et circonscrire des images avec des éclaboussures ? C’est ce que les gens trouvent mystérieux. Moi, je ne le trouve plus ainsi, puisque je le fais avec une certaine facilité ».

– « C’est justement là le mystère de ma technique, car j’obtiens ce que je veux ».

– «  Les historiens d’art vous diront qu’il y a un grand peintre américain, Jackson Pollock, qui procédait par jet. Mais lui, il étendait sa toile à même le sol et versait des gouttes de peinture. Il ne représentait aucune forme ».

– «… Symboliquement, ces ensembles de fils d’araignée créent une sorte de lien. Tout le monde est lié. L’homme est lié à l’atmosphère, à l’environnement. Quand il est triste, la maison est triste. Je touche au plus profond de l’Homme ».

– « Christian Lattier, qui a eu le prix toutes disciplines en 1966 au Festival des arts nègres à Dakar, a été mon professeur de sculpture. C’est un sculpteur qui a une façon toute particulière de faire la sculpture en ficelles. Il m’a appris à faire le modelage. Il m’a appris à faire la sculpture sur bois, etc. Sa ficelle me plaît : je pouvais l’imiter, mais je pense que c’est tellement personnel pour lui. Non ! L’enseignement est à part, la découverte plastique est à part ».

– « Il y a un chemin que l’on veut se tracer dans une carrière. Mais, pour cela, il n’est pas question que l’on veuille se chercher tout le temps. Il faut des bases que l’on obtient en faisant des choses comme celles que j’ai faites sous la direction de notre cher Samir Zarour. A partir de la quatrième année des Beaux-Arts, il faut effectuer des recherches. J’ai fait au moins une quinzaine de tableaux dans lesquels je montrais un monde très structuré, très entrecoupé, un monde qui toucherait un peu au rythme des cubistes. Cela faisait partie de mes recherches. Mais j’ai trouvé que ce genre de compositions me figeait. J’ai vendu toutes ces toiles à vil prix pour m’acheter des livres, etc. Aujourd’hui, il m’en reste qu’une. Ces toiles ne procédaient pas de la liberté plastique que je désirais. J’étais obligé, par exemple, de faire des reflets à partir de matière comme la poudre de marbre, la colle forte : de la peinture très empâtée. Tout cela ne me permettait guère d’obtenir cette plasticité que je recherchais ».

– « Pour mes toiles, j’utilise uniquement de la peinture à huile, mais avec un pinceau spécial. Un tout petit pinceau, mais qui coûte très cher. Avec ce petit pinceau, je jette ma peinture sur la toile. Je peux faire une bouteille par exemple ou n’importe quoi d’autre en restant éloigné de la toile. Pour cela, j’ai besoin de beaucoup de concentration. Je ne parle pas d’une sorte de télépathie. Je me concentre et je vise. Je sais que ce que je vise va être fait et je vise la chose avec un geste précis. C’est tout. Le résultat dépend également de la fluidité, sinon de l’intensité de la peinture. Si celle-ci est bien compacte, elle donnera une ligne bien fine. Si, au contraire, elle est liquide, elle donnera une ligne bien plate. Et, entre ces deux extrêmes, existe une multitude de possibilités. Je ne peins jamais en me contentant d’ajouter des jets par-dessus ma peinture. Pour obtenir un pied de table par exemple, je multiplie les jets et j’utilise le même procédé pour les visages, etc. Je ne me contente pas de dessiner et de badigeonner sur le dessin : une telle pratique reviendrait à utiliser un langage faux ».

– « Je me souviens d’un jour où je suis allé au cirque à Marseille, et où j’ai vu des danseurs faire des mouvements extraordinaires sur une corde sans jamais paraître inquiets. C’est la même chose quand j’obtiens juste la tache que je veux au point prévu… Je réussis à dominer cette sorte d’exercice qui, pour moi, n’est plus difficile, car c’est devenu un peu mon écriture ».

– « Lorsque je fais un tableau, je n’aime pas esquisser le dessin d’abord avant de peindre ».

– «… Pour avoir plus d’animations, je jette la peinture dessus. (…) J’ai besoin d’un pinceau, puis je dilue ma peinture avec les diluants nécessaires, avant d’asperger ma toile comme les anciens aspergent les initiés du village avec le kaolin. C’est une sorte de bénédictions ».

– « L’artiste, lui, comme les gens disent, c’est un fou. Il crée à partir de ce qu’il voit. Il fouine partout. Il casse tout. Il compose tout. Il cherche son enracinement à lui d’abord avant l’enracinement collectif. Son enracinement est un équilibre recueilli dans son œuvre. Il faut qu’il se tranquillise et quand une œuvre n’est pas réussie, on n’est pas tranquille. On est en colère ».

– « Il n’y avait pas en Afrique l’art pour l’art. C’était du fonctionnel : on exploitait la puissance de l’au-delà. On était cosmique. Les Anciens ne faisaient pas de sculpture pour l’embellissement de leur salon. Si on mettait en relief tel ou tel aspect des choses par exemple dans une statuette, ce peut être les jambes, ce peut être les seins, le ventre, etc., cela avait une signification ».

– « Le Créateur est toujours seul. Dieu a été seul pour créer le monde, pour créer l’univers. Le Créateur a été toujours seul. C’est comme ça ».

– « La nature a toujours parlé à tout le monde. Ça dépend de la sensibilité de tout un chacun. Pourquoi je plante des choses qui sont en brousse dans ma cour ? Je le fais parce que je veux communiquer avec tout ça. J’aime les plantes, j’aime les fleurs. J’aime l’harmonie ».

Une sélection de M.B.

Encadré 4

Carnet de route :

Sur les traces de Monné Boué à Attiékoi

En prenant sur nous l’option de réaliser ce dossier, nous avions à cœur de rendre, bien évidemment, hommage à Monné Bou, mais également de donner, à nos lecteurs et au monde des arts, les nouvelles fraîches de l’artiste. Cela, en cohérence avec notre mission d’informer sur la vie des personnes qui font la vie sociale et culturelle de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique, même si elles ne sont plus sous les projecteurs. Pour des raisons diverses.

C’est ainsi que, le samedi 21 septembre dernier, mon frère et ami Thierry Dia et moi, nous nous sommes rendus à Adiaké. Dans l’optique d’avoir Monné Bou en interview pour donner, aux Ivoiriens, le détail sur son actualité. Mais, malheureusement, avec le poids de l’âge et la maladie faisant son effet, il nous a été impossible de réaliser cette entrevue. Arrivés à Adiaké aux environs de 13h, ce samedi-là, nous avons appris que l’icône de la peinture était endormie. Il faisait sa sieste depuis peu. Il n’était en aucun cas question de le réveiller. De perturber ce moment de repos… pour une interview.

Alors nous décidions d’attendre qu’il se réveille. Manque de pot pour nous, il était toujours dans les bras de Morphée jusqu’après 17h. Pour éviter de tomber dans les embouteillages et ne pouvant passer la nuit à Adiaké avec des engagements à Abidjan dans la soirée, c’est la mort dans l’âme que nous avons pris sur nous de regagner Abidjan. Mais nous n’abandonnons pas l’idée de réaliser cet entretien avec l’artiste. A cet effet, nous avons prévu, Thierry Dia et moi, de repartir à Adiaké en octobre.

M.B.

 

 

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