Un technocrate de l’administration territoriale qui se lance dans l’arène politique avec l’ambition de proposer une « gouvernance nouvelle » à la Côte d’Ivoire. Dans un message publié sur sa page Facebook, Vincent Toh Bi Irié, ancien préfet d’Abidjan, a officialisé ce qui n’était jusqu’alors que des rumeurs et des spéculations dans certains cercles, notamment de la société civile ivoirienne. A savoir, sa candidature à l’élection présidentielle d’octobre 2025.
« Mes chers Ivoiriens et compatriotes, je viens par ce message porter à votre connaissance pour dire que je suis candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2025 », a déclaré sans ambages celui qui fut, pendant quelques années, le visage de l’autorité administrative à Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Pour les observateurs politiques avertis, cette annonce était prévisible après sa démission surprenante de son poste de préfet, en août 2020, deux mois avant la présidentielle d’octobre 2020, à une période où il jouissait pourtant d’une popularité croissante auprès des Abidjanais.
Une décision prévisible depuis 2020
Le profil de Vincent Toh Bi Irié détonne dans le paysage politique ivoirien. Contrairement à la plupart des personnalités qui se lancent dans la course à la magistrature suprême, il n’est pas issu des partis politiques traditionnels, ni des « grandes dynasties » qui dominent la scène politique nationale depuis des décennies.
Avant d’être nommé à la tête de la préfecture d’Abidjan en 2018, il avait officié comme directeur de cabinet de feu Hamed Bakayoko, alors ministre de l’Intérieur. Son parcours professionnel l’a également conduit à collaborer avec des organisations internationales spécialisées dans les processus électoraux, notamment l’Electoral Institute for Sustainable Democracy in Africa (EISA), basé en Afrique du Sud, où il a acquis une expertise dans les questions de gouvernance démocratique et électorale. Depuis son départ de la préfecture, il a créé une organisation dénommée « Aube nouvelle » et s’est imposé comme un analyste des questions sécuritaires dans la sous-région ouest-africaine ainsi que des processus électoraux sur le continent africain.
Un profil inhabituel dans le microcosme politique ivoirien
Dans sa déclaration de candidature, l’ancien préfet a esquissé les grandes lignes de son projet politique articulé autour de trois axes fondamentaux. « Ma candidature répond à trois critères. Premièrement apporter une perspective nouvelle et nouveau mode de gestion à tous les compartiments de notre vie nationale et internationale en réponse aux défis nationaux et internationaux, et aux problèmes de la jeunesse. Deuxièmement, il faut une gouvernance nouvelle de nos institutions, et que la vie politique touche à tous les citoyens. Et, troisièmement, mettre fin au cycle de la violence politique », a-t-il précisé.
Ces orientations semblent cibler particulièrement la jeunesse ivoirienne, souvent marginalisée dans le débat politique national malgré son poids démographique considérable. Sa volonté affichée de rompre avec les cycles de violence politique fait également écho aux traumatismes encore vifs des crises post-électorales qui ont meurtri le pays, spécifiquement en 2010-2011.
Pendant sa charge de préfet d’Abidjan (2018-2020), Vincent Toh Bi Irié s’était distingué par son style de communication direct et sa présence active sur le terrain. Rompant avec l’image traditionnelle du haut fonctionnaire retranché derrière les murs de son administration, il avait multiplié les interventions publiques et utilisé habilement les réseaux sociaux pour communiquer directement avec les Abidjanais.
De son « mandat » de préfet d’Abidjan
Sa gestion des premières phases de la pandémie de la Covid-19 et son implication personnelle dans diverses crises urbaines lui avaient valu une popularité certaine auprès des habitants de la capitale économique. Une popularité qui s’était parfois accompagnée de frictions avec sa hiérarchie, avions-nous appris. L’ancien préfet n’hésitant pas à exprimer des positions tranchées sur des sujets sensibles.
« Vincent Toh Bi n’avait jamais eu la langue dans sa poche », confirme un de ses proches collaborateurs de l’époque, qui souhaite garder l’anonymat. « Même lorsqu’il occupait des fonctions qui exigent traditionnellement une certaine réserve, il a toujours su dire ce qu’il pensait. Cette franchise est à la fois sa force et parfois sa faiblesse. » Plusieurs observateurs politiques établissent un parallèle entre la candidature de Vincent Toh Bi Irié et celle du Colonel-major des douanes Gnamien Konan, ancien directeur général des douanes ivoiriennes, qui s’était lancé dans la course présidentielle en 2010.
« Il y a des similarités évidentes entre les deux parcours », explique Justin Konan, un politologue. « Dans les deux cas, nous avons des hauts fonctionnaires respectés qui décident de quitter l’administration pour se lancer dans l’arène politique. Mais le contexte a considérablement changé depuis 2010. » Gnamien Konan avait obtenu un très modeste score lors de l’élection présidentielle de 2010, avant de rejoindre le gouvernement du président de la République, Alassane Ouattara comme ministre. Il reste à voir si Vincent Toh Bi Irié parviendra à transformer sa notoriété en véritable force politique.
La similitude entre Gnamien Konan et Vincent Toh Bi Irié
Si la popularité personnelle de Vincent Toh Bi Irié ne fait guère de doute, particulièrement à Abidjan, sa capacité à transformer cette notoriété en force électorale à l’échelle nationale reste à démontrer. Sans l’appui d’une machine politique, sans relais dans les différentes régions du pays, la route vers le palais présidentiel s’annonce semée d’embûches.
« La politique ivoirienne reste profondément structurée autour de partis établis et d’affiliations ethno-régionales », rappelle le politologue Sylvain N’Guessan. « Pour un candidat indépendant comme Toh Bi, le principal défi sera de construire une coalition suffisamment large pour peser face aux formations politiques traditionnelles. »
L’ancien préfet devra également préciser sa vision économique. Pour certains jeunes Ivoiriens, l’entrée en lice de Vincent Th Bi Irié pourrait représenter un souffle nouveau dans un paysage politique souvent perçu comme sclérosé et dominé par les mêmes figures depuis plusieurs décennies. « Il incarne une certaine modernité dans l’approche de la gouvernance », estime Aïcha Diabaté, présidente d’une association de jeunes entrepreneurs à Cocody (Abidjan). « Son aisance avec les outils numériques, sa connaissance des mécanismes internationaux et son discours axé sur l’innovation pourraient séduire une partie de l’électorat urbain et éduqué. »
Une vision économique à préciser
Reste à savoir si ce profil, qui tranche avec celui des politiciens traditionnels, saura convaincre au-delà des centres urbains, dans un pays où près de la moitié de la population vit en zone rurale. Depuis sa sortie de l’administration préfectorale, Vincent Toh Bi Irié s’est progressivement affirmé comme une voix indépendante sur la scène nationale. A la tête de son organisation « Aube nouvelle », il a multiplié les prises de position sur les grands enjeux sociétaux et politiques, cultivant une image d’expert au-dessus des clivages partisans.
Cette posture lui a permis de construire une crédibilité auprès d’observateurs internationaux et de certains segments de la société civile ivoirienne. Toutefois, dans un pays où les affiliations politiques restent fortement ancrées dans les identités collectives, cette indépendance pourrait aussi constituer une faiblesse. « En Côte d’Ivoire comme dans beaucoup de pays africains, l’électorat a tendance à se mobiliser autour de grandes figures politiques et de leurs partis », analyse Jean-Claude Koffi, sociologue spécialiste des comportements électoraux. « Un candidat sans ancrage partisan clairement identifié peut avoir du mal à mobiliser les électeurs, malgré la qualité de son programme. »
L’annonce de la candidature de l’ancien préfet a suscité des réactions diverses dans la classe politique ivoirienne. Si certains y voient l’émergence d’une alternative crédible face aux partis traditionnels, d’autres minimisent l’impact potentiel de cette nouvelle candidature.
La candidature de Toh Bi Irié diversement apprécié dans la sphère politique nationale
Du côté du parti au pouvoir, on observe pour l’instant une certaine retenue. « C’est le jeu démocratique normal », s’est contenté de commenter un cadre du RHDP. « Tous les Ivoiriens qui remplissent les conditions légales peuvent se porter candidats. Nous restons concentrés sur notre bilan et désignation prochaine de notre candidat à l’élection présidentielle », précise-t-il.
Dans l’opposition, les réactions sont plus contrastées. Certains militants de partis voient d’un bon œil l’arrivée d’une nouvelle figure susceptible de fragmenter davantage le paysage politique, tandis que d’autres s’inquiètent de la concurrence potentielle pour leur propre électorat. Avec cette annonce officielle, Vincent Toh Bi Irié entre désormais dans une nouvelle phase de sa vie, tout court. Les prochains mois seront cruciaux pour structurer sa campagne, affiner son programme et construire les alliances nécessaires. L’ancien préfet devra notamment réunir les parrainages requis par le code électoral ivoirien pour valider sa candidature, une étape qui constitue souvent un premier filtre significatif pour les candidats indépendants.
Les parrainages, un test important
Il lui faudra également préciser sa vision sur des questions d’actualité telles que la question foncière, la réconciliation nationale, la réforme de la Commission électorale indépendante (CEI) etc. A environ cinq mois de l’échéance présidentielle, la candidature de Vincent Toh Bi Irié constitue somme toute l’une des premières surprises de la pré-campagne. « La présidentielle de 2025 pourrait être plus ouverte que les précédentes », estime Gbahi Guisso, analyste politique indépendant. « Avec le vieillissement des principales figures historiques et l’émergence d’une nouvelle génération d’électeurs moins attachée aux clivages traditionnels, un candidat comme Toh Bi a peut-être une carte à jouer. »
L’ancien préfet devra toutefois rapidement démontrer sa capacité à mobiliser au-delà des discours comme celui de sa déclaration de candidature. « Mes chers compatriotes, je lance un appel solennel à toutes les Ivoiriennes et tous les Ivoiriens qui partagent cette vision d’une Côte d’Ivoire réconciliée, prospère et tournée vers l’avenir, à me rejoindre dans ce combat pour une gouvernance nouvelle », avait-il dit. Les mois à venir nous diront si cet appel aura été entendu.
Une analyse de
Robert Krassault
Légende photo : L’ancien préfet d’Abidjan, Vincent Toh Bi Irié, a annoncé récemment sa candidature de la présidentielle d’octobre 2025.


Laissez une réponse