Le régime en place en Côte d’Ivoire doit transcender la peur de perdre le pouvoir dans un scrutin transparent, soutient Parfait Kouacou, PhD, professeur dans une Université américaine et Vice-Président de l’Institut de Recherche de la Diaspora Ivoirienne. Il tire ici, pour son pays d’origine, les leçons à retenir de l’élection présidentielle américaine de novembre 2024 remportée par Donald Trump face à Kamala Harris, vice-présidente du chef de l’Etat sortant Joe Biden.
Introduction
L’élection présidentielle américaine de 2024, marquée par le retour inattendu de Donald Trump à la Maison Blanche, offre une opportunité d’examiner les mécanismes d’une des démocraties les plus anciennes du monde. Cette analyse revêt une importance particulière pour la Côte d’Ivoire, alors qu’elle s’apprête à organiser ses élections présidentielles en 2025. Les dysfonctionnements persistants de la Commission Électorale Indépendante (CEI) soulignent la nécessité de profondes réformes. Si l’expérience américaine en matière de processus électoraux peut servir de source d’inspiration, son adaptation doit tenir compte des réalités socio-politiques locales. Cette réflexion vise à évaluer les enseignements des élections américaines de 2024 pour la Côte d’Ivoire, en identifiant les pratiques et mécanismes de contrôle susceptibles de renforcer la crédibilité de la CEI en préparation de 2025.
État des lieux de la CEI ivoirienne
La CEI ivoirienne évolue dans un contexte marqué par des défis structurels importants. Bien que son budget, alimenté par l’État et des partenaires internationaux, s’élevait à environ 70 milliards de francs CFA en 2020, l’institution peine à garantir la transparence nécessaire à la publication des résultats électoraux. Les crises post-électorales de 2020, marquées par des accusations de fraude et de manipulation politique, ont mis en lumière les faiblesses persistantes du système.
La composition actuelle de la CEI, définie par la loi n°2019-708 du 5 août 2019, comprend quinze membres, dont sept représentants des partis politiques. Cette structure, censée assurer un équilibre entre les diverses forces politiques, fait régulièrement l’objet de critiques. L’opposition dénonce un déséquilibre dans la représentation et remet en question la neutralité de l’institution, notamment en raison de la proximité présumée de certains membres avec le pouvoir exécutif. Malgré la réforme de 2019, les inquiétudes des acteurs politiques et de la société civile persistent. Le défi reste de renforcer la confiance en l’institution et d’améliorer ses capacités pour garantir des élections crédibles et apaisées.
Vers une réforme institutionnelle adaptée
L’analyse du système électoral américain, caractérisé par sa décentralisation et la robustesse de ses institutions, offre des pistes pour réformer la CEI ivoirienne. La capacité des institutions électorales américaines à résister aux pressions politiques, illustrée par le rôle de Brad Raffensperger, Secrétaire d’État de Géorgie, souligne l’importance d’une architecture institutionnelle solide. Raffensperger, en refusant de « trouver » des voix supplémentaires malgré les pressions directes de Donald Trump, a démontré l’importance de l’intégrité institutionnelle. En Côte d’Ivoire, le renforcement de l’indépendance de la CEI est essentiel pour résister aux ingérences politiques.
Pour améliorer son indépendance, la CEI doit réformer ses structures et procédures. Aux États-Unis, la nomination des responsables électoraux repose souvent sur un processus bipartite ou non partisan. En Côte d’Ivoire, une révision du mode de nomination des membres de la CEI pourrait s’inspirer de l’exemple ghanéen, où la Commission électorale est dirigée par une personnalité neutre, un ancien haut fonctionnaire judiciaire. La nomination à la CEI de figures respectées et impartiales, issue de la société civile de préférence, pourrait ramener la confiance en l’institution.
La modernisation technologique est également cruciale. Le Help America Vote Act (HAVA) de 2002, qui a alloué des fonds pour moderniser les systèmes électoraux aux États-Unis, souligne l’importance d’investir dans l’infrastructure électorale. En Afrique, le modèle sénégalais de publication des résultats en temps réel constitue une innovation adaptée au contexte ivoirien. En vue des élections de 2025, la CEI devrait envisager l’adoption de ce modèle pour renforcer la transparence.
Le processus d’inscription des électeurs mérite également une réflexion approfondie. Certains États américains ont adopté l’inscription automatique ou le jour même du scrutin pour encourager la participation. En Côte d’Ivoire, sur une population de 30 millions d’habitants, environ huit millions d’électeurs sont inscrits. Prétendre que l’absence d’inscription traduit un manque d’intérêt pour la politique est irresponsable. L’allongement de la période d’enrôlement et la simplification des procédures administratives favoriseraient une participation plus inclusive.
Enfin, la révision du cadre légal de la CEI est cruciale. Bien que l’institution dispose d’une autonomie financière et administrative, l’opposition continue de réclamer des changements plus profonds. Les efforts devraient se concentrer sur le renforcement de l’indépendance perçue de la CEI, par une représentation équilibrée de toutes les parties prenantes et la nomination de personnalités consensuelles.
La clarification des mécanismes de résolution des litiges électoraux reste un enjeu fondamental. Cela implique l’amélioration des procédures de médiation et l’accélération du traitement des contentieux. Une transparence accrue dans la gestion des listes électorales est indispensable pour renforcer la confiance dans le processus. Ces ajustements, élaborés en concertation avec tous les acteurs politiques et la société civile, sont essentiels pour garantir une élection présidentielle crédible en 2025. Les partenaires internationaux de la Côte d’Ivoire ne doivent pas attendre que le pire se produise avant d’imposer des sanctions qui n’affectent que le peuple.
Conclusion
L’élection américaine de 2024, caractérisée par la victoire d’un candidat n’étant pas aux affaires et confronté à des démêlés judiciaires mais porté par un soutien populaire majoritaire, démontre l’importance fondamentale d’institutions électorales robustes et indépendantes. Pour la Côte d’Ivoire, les réformes proposées, ancrées dans les réalités locales tout en s’inspirant des meilleures pratiques internationales, tracent la voie vers des élections plus crédibles en 2025. Le succès de ces réformes repose sur la volonté politique et l’engagement coordonné de tous les acteurs. Le régime en place doit transcender la peur de perdre le pouvoir dans un scrutin transparent. Il doit s’engager résolument dans une réforme servant l’intérêt supérieur de la Côte d’Ivoire, conscient qu’en démocratie, si telle est la volonté populaire souveraine, son mandat peut être renouvelé.
Parfait Kouacou, PhD
Professeur et Vice-Président de l’Institut de Recherche de la Diaspora Ivoirienne
Philadelphie, États-Unis d’Amérique
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