Exclusif / Dissolution de son parti politique, Assimi Goita et la Transition au Mali, Alassane Ouattara, Mohamed Bazoum… Depuis l’exil, le président du PSDA dit ses vérités

Traqué par le régime de transition au Mali dirigé par le colonel Assimi Goita, le président du parti social-démocrate africain (PSDA), Ismaël Sacko, ancien Conseiller spécial de feu le président élu Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) puis de l’éphémère président de la Transition, Bah N’Daw, a quitté son pays pour s’exiler dans un autre, en Afrique.

Depuis le mardi 21 mars 2023, sa formation politique fait l’objet d’une interdiction décidée par les autorités maliennes. Dans cette interview exclusive, M. Ismaël Sacko réagit à cette décision et dénonce la gestion de la transition par le régime issu de deux coups d’Etat. Le Mali, son pays, fait face à une dictature, est-il convaincu.   

Le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation du Mali via la direction générale du contentieux de l’Etat a envoyé, le 21 mars 2023, au siège de votre formation politique, une assignation aux fins de dissolution  de votre parti, le PSDA. Comment avez-vous accueilli cette décision et que avez-vous des raisons de la dissolution de votre parti ?

Ismaël Sacko : Nous avons effectivement reçu une assignation de la part de la direction générale du contentieux de l’Etat pour nous présenter , hier, mercredi 22 mars 2023, au tribunal de Grande  Instance  de la commune 2 de Bamako. Les militants du parti et notre avocat Me Dana Coulibaly s’y sont rendus. Il s’agissait pour nous de demander le renvoi parce que le temps ne nous permet pas de préparer les éléments nécessaires, les éléments de langage, pour apporter la réponse, la contradiction, aux accusations du ministère de l’Administration territoriale contre le PSDA et son président.

Nous avons accueilli cette nouvelle avec beaucoup de consternation et de regret mais sans aucune surprise. Notre pays, le Mali, a opté pour un mode de gouvernance démocratique, le choix du peuple pour accéder à la plus haute fonction de l’Etat notamment la présidence de la République de notre pays. Il y a eu un coup d’Etat ensuite un autre coup d’Etat donc deux fois la Constitution de notre pays a été violée. C’est un crime imprescriptible dont les auteurs  savent qu’ils sont soumis à des poursuites peu importe le temps.

Suite au coup d’Etat, il y a eu le chef de la Transition qui a aussi opté pour la démocratie. Il y a une loi électorale qui a été révisée en 2021 et revue de nouveau récemment par le même ministère de l’Administration territoriale.  La charte des partis politique a été également révisée. Dans toutes les versions de la charte des partis politique, on note à l’article 19, qu’on ne peut pas poursuivre un dirigeant de parti politique pour ses opinions ou ses activités politiques dans le cadre de son mandat.

Donc cette assignation, pour nous, c’est le signe d’un aveu d’impuissance d’un gouvernement essoufflé qui voit son règne arrivé à son crépuscule. Avec beaucoup de difficultés, ce gouvernement se démêle donc. C’est un gouvernement qui tâtonne, un gouvernement sans vision, qui se cherche dans un labyrinthe. C’est un gouvernement qui est perdu.

C’est la raison pour laquelle ce gouvernement incompétent, incapable, illégal et illégitime s’attaque aux plus faibles. Parce qu’il aurait pu s’attaquer aux terroristes qui font du mal à la population. Un gouvernement qui a vu, depuis son arrivée, l’insécurité se métastaser du Nord au Centre en passant par le Sud  où des régions qui n’avaient jamais été attaquées le sont maintenant.

On se souvient que les groupes armés ont menacé le gouvernement du Mali.  Pourquoi ne prennent-ils pas des sanctions contre eux ? Pourtant ces mêmes groupes armés sont membres du gouvernement, membres du Conseil national de transition (CNT). Ils s’attaquent aux plus faibles puisque nous ne sommes pas armés, nous n’avons que notre verbe, notre plume, pour critiquer et dénoncer mais aussi faire des propositions constructives. Telle a été la démarche du PSDA.

Nous avons toujours accompagné dans le bon sens mais quand ce n’est pas bon, depuis sous feu le président Ibrahim Boubakar Kéita dont j’étais le Conseiller et membre du Cabinet, je donnais toujours mon avis contraire à celui du président.

Et quand ce n’était pas compris, en tant que chef de parti politique, dans les médias, je prenais des positions  qui n’allaient dans le sens de ma hiérarchie. Tout cela est visible sur ma page Facebook  de 2017 à nos jours. C’est cela la démocratie et la liberté d’expression dans le respect des lois. Jusqu’à preuve du contraire, je n’ai pas été à l’encontre des lois et de la charte des partis politiques ou de la Constitution de 1992 qui est toujours en vigueur.

Dans votre intervention sur la radio française RFI qui date de 2022, vous dénonciez l’attitude du gouvernement de Transition  dans l’affaire des 49 militaires ivoiriens qui étaient détenus au Mali. Pourquoi est-ce maintenant après la libération des 49 soldats ivoiriens et la baisse de la tension diplomatique entre Bamako et Abidjan que le gouvernement de Transition décide de s’attaquer à vous et votre parti ?

Mon intervention sur RFI datant de 2022 faisait  suite au passage du Premier ministre par intérim, le Colonel Abdoulaye Maiga, à la tribune de l’ONU. Il s’était attaqué le président Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire en le taxant de quelqu’un qui avait violé la Constitution de son pays en s’octroyant un 3e mandat et il avait traité le président du Niger Mohamed Bazoum d’étranger dans son propre pays. J’ai réagi en disant qu’il n’avait pas le droit de s’attaquer à un président  élu dans son pays.

Alassane Ouattara a été élu  mais eux, les dirigeants de la Transition, sont venus par les armes. Alassane Ouattara a brigué un 3e mandat  parce que le peuple ivoirien l’a accepté. Mais eux, ils ont fait deux coups d’Etat, ils ont violé deux fois la Constitution du Mali. Ensuite, ils ont violé leur propre charte de la Transition, tout ça pour se maintenir au pouvoir.

Ils ont donc fait pire que le 3e mandat. J’ai ensuite affirmé  que le Premier ministre par intérim n’avait pas à s’attaquer au président Bazoum en soutenant qu’il est un étranger. Le Niger est un pays voisin qui a de l’expérience en matière de lutte contre le terrorisme et notre pays a besoin de collaborer avec le Niger. Je leur ai tendu une perche en termes de proposition et de solution mais ils ont pris cela très mal.

Par rapport aux 49 militaires ivoiriens qui étaient détenus, j’ai dit que le dialogue était la solution idoine. Ils ont aussi accusé la France d’avoir largué des terroristes au Mali et qu’ils en auraient les preuves,  ils ont même demandé une réunion d’urgence à l’ONU, j’ai soutenu que cela faisait deux mois qu’ils affirmaient détenir des preuves, j’ai affirmé qu’ils avaient l’occasion pendant l’intervention à la tribune de l’ONU de brandir une seule preuve pour convaincre l’Assemblée générale des Nations Unies. Au lieu de cela, on a vu un Premier ministre par intérim qui est allé bomber son torse, invectiver les chefs d’Etat, le président en exercice de la CEDEAO et le Secrétaire général de l’ONU.

Voilà ce que le Premier ministre par intérim, le colonel Abdoulaye Maiga, a offert à la tribune de l’ONU. Il a rabaissé le Mali et raté l’occasion de convaincre les partenaires du Mali et l’Assemblée générale de l’ONU de soutenir notre pays dans la crise qu’il traverse qui est de plus en plus aggravée du fait de l’incompétence d’un gouvernement va-t-en-guerre, belliqueux et orgueilleux. J’ai fini par dire que le Premier ministre par intérim a un comportement de pleurnichard.

Dans la notification de l’assignation, on dit que j’ai manqué de respect au Premier ministre par intérim parce que j’ai dit qu’il est un pleurnichard.  Qu’ils aillent voir le sens de ce mot dans dictionnaire, pleurnichard n’est pas une insulte.

  Le fort de ce gouvernement illégal et illégitime, c’est de surfer sur la fibre patriotique ou nationaliste  des Maliens  sans offrir des perspectives, sans résultats. Telle est la réalité de notre pays. Et cela, ils refusent qu’on le dise. Quand tu le dis, on te brime, on te bastonne, on t’emprisonne. C’est ça le quotidien des Maliens.  Tout le monde a peur. Le peuple a faim, la vie est chère mais tu ne peux pas dénoncer cela pour ne pas être emprisonné ou tabassé.

Quand tu fais une proposition  qui les dérange, ils se liguent contre toi et te pourchassent. Ils ont tenté de m’arrêter plusieurs fois, heureusement qu’ils n’ont pas mis la main sur moi. J’ai quitté mon pays, le Mali, pour que ma famille soit en sécurité et que je puisse continuer le combat  pour lequel je me suis engagé. Je maintiens le cap, je reste légaliste, tout ce que je dis reste dans le cadre de la loi.

Vous étiez Conseiller spécial de feu Ibrahim Boubacar Kéita dit IBK,  l’ancien président élu du Mali renversé par la junte militaire au pouvoir. Votre ancienne proximité avec IBK  ne justifie-t-elle pas vos déboires avec l’actuel régime de Transition ?

Je ne pense que ce soit parce que j’ai été Conseiller et membre du Cabinet d’Ibrahim Boubacar Kéita, ancien président du Mali, que la junte s’acharne sur moi. Lorsque le président feu Ibrahim Boubacar Kéita a été arrêté, mes collègues qui étaient à la présidence de la République avec moi peuvent en témoigner, j’ai pris mes affaires et je leur ai dit :

« nous avons échoué à aider le président à réussir sa mission. Nous avons passé le temps à nous battre entre nous pour des questions de positionnement au lieu de penser à travailler pour le Mali, un coup d’Etat est survenu et a balayé le président alors nous devons tous rentrer chez nous et laissez la place aux auteurs du coup d’Etat ».

C’est le secrétaire particulier du chef de cabinet du président de la Transition  Bah N’Daw qui m’a appelé  au téléphone  pour me dire  que le nouveau président, voulant travailler avec tout le monde, demande aux anciens conseillers à la présidence de la République de venir. C’est ainsi que je suis revenu au palais présidentiel. Le colonel Assimi Goita était vice-président chargé des questions sécuritaires. Lorsque le président Bah N’Daw a été arrêté, les auteurs du putsch sont allés chez moi pour m’arrêter également, j’étais absent. Le lendemain, ils ont affirmé avoir commis une erreur.

Ils m’en voulaient parce que j’avais une proximité avec l’ancien secrétaire général de Bah N’Daw qui me laissait traiter certains dossiers politiques sensibles. J’ai dit à ceux qui étaient venus chez moi pour m’arrêter que tout ce que j’ai fait et écrit sous IBK et Bah N’Daw  était consigné dans mon ordinateur au bureau à la présidence, qu’ils pouvaient simplement récupérer cet ordinateur. Ils recherchaient le secrétaire général de la présidence, je leur ai dit que j’ignorais où il était. Ils ont dit qu’ils n’ont rien contre moi.

J’ai donc continué de vivre au Mali. J’ai observé parce que le colonel Assimi Goita qui a prêté serment a soutenu qu’il respecterait les 18 mois de la Transition et qu’il organiserait les élections à la date indiquée. A partir de septembre 2021, nous avons compris que le président Assimi Goita ne voulait plus faire des élections mais voulait des assises pour légitimer la prolongation de la Transition, nous avons alerté.

Nous avons écrit, fait des notes et des productions adressés au présidentAssi Goita  afin qu’il n’aille pas dans ce sens afin d’éviter les sanctions de la CEDEAO. Le président  nous a reçus au palais présidentiel à Koulouba. Nous étions sept chefs de partis politiques. C’était à la fin novembre 2021. Je lui ai dit sans faux fuyants que s’il va dans sa direction, la CEDEAO sanctionnerait le Mali et ce n’est pas bon.

Et je voudrais que lui, en tant que haut gradé de l’armée qui a fait un double coup d’Etat, nous explique pourquoi que chaque semaine, chaque quinzaine, le Mali est attaqué, les gens meurent et qu’il demeure au pouvoir. Que des chefs de village soient obligés de faire allégeance aux terroristes pour qu’ils aient la paix dans leurs villages, comment explique-t-il cela ? Voilà les questions que je lui ai posées.  Et que les assises qu’il envisageait d’organiser pour décembre 2021, nous n’y participerons pas parce que nous ne voulons pas donner la caution à cette forfaiture. 

A partir de ce moment-là j’ai décidé de porter le blason de quelqu’un qui  va faire des propositions et dénoncer quand ce n’est pas bon. Et en janvier 2022, j’ai dit sur RFI (à l’époque, cette radio n’était pas interdite au Mali) qu’ils sont allés vers la prolongation de la Transition,  qu’ils ne veulent plus organiser les élections, les chefs d’Etat de la CEDEAO devaient donc renforcer les sanctions contre la junte militaire au Mali pour abus de pouvoir et prolongation de la Transition. Ils n’ont pas respecté leurs engagements pris devant les Maliens, ce n’est pas normal. Et la CEDEAO a sanctionné tout le monde. Ils ont affirmé partout, qu’il faut me brimer, m’arrêter.

Une seconde fois, je suis intervenu dans les médias maliens en tenant les mêmes propos. Ma vie était en danger. J’ai été alerté qu’ils m’ont inscrit sur une liste noire pour me faire arrêter, j’ai donc quitté le Mali par l’aéroport de Bamako sans qu’ils ne s’en rendent compte. Je suis actuellement  dans un pays en Afrique et je continue de mener le combat pour le rétablissement de la démocratie au Mali comme mode de gouvernance et non la dictature. A la dictature, j’oppose la démocratie.

Interview réalisée par Didier Depry    

Demain, la suite

        

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