Exclusif / Jean-Louis Koula (cinéaste ivoirien) depuis les Etats-Unis :  « Pour rayonner, le cinéma ivoirien a besoin d’une ferme volonté politique »

Le long métrage à succès baptisé « Adjatio » sorti en 1980 est son œuvre. Le cinéaste Jean-Louis Koula est l’une des grandes figures du cinéma ivoirien. Installé aux Etats-Unis d’Amérique depuis 2011 pour des raisons à la fois professionnelles et familiales, il nous a accordé cette interview exclusive dans laquelle il parle de son projet cinématographique abandonné fondé sur le roman « Les frasques d’Ebinto » ainsi que son nouveau film en gestation « La fille au diamant ». Jean-Louis Koula porte également un regard critique sur le cinéma ivoirien et juge l’avenir de cet art dans en Côte d’Ivoire.

Vous êtes l’un des pionniers et une des grandes figures du cinéma ivoirien. Votre filmographie comporte plusieurs réalisations dont la plus emblématique est le long métrage «Adjatio » sorti en 1980. Cela fait 43 ans que vous n’avez plus réalisé de film d’une telle envergure. Comment peut-on expliquer cette situation ?

Jean-Louis Koula : Cela est lié à mon expérience sur la réalisation de mon premier film « Adjatio ». J’ai fait ce film avec presque pas de moyens financiers et cela a affecté la qualité du film. Il m’est arrivé de biffer certaines séquences par manque de moyens. Depuis, je me suis résolu à ne plus jamais m’engager dans un projet sans au préalable réunir tous les moyens nécessaires. Cela aussi n’est pas une mince affaire du fait qu’il n’existe réellement aucune structure de financement en tant que telle dans notre pays. Les banques refusent de financer tout ce qui est art. Malgré cet état de fait, j’ai réalisé des films documentaires et assisté d’autres collègues cinéastes.

Il y a quelques années, vous portiez un projet cinématographique original basé sur le roman « Les frasques d’Ebinto » de votre compatriote, l’écrivain Amadou Koné. En 2019, avons-nous appris, vous avez abandonné ce projet. Quelles en sont les raisons ?

On ne peut pas dire ça ainsi ! Je n’ai pas abandonné le projet. On me l’a enlevé. L’auteur Amadou Koné m’a demandé de lui retourner les droits du roman. Amadou Koné a estimé qu’après deux décennies, la réalisation du film n’avançait pas et il faisait l’objet de beaucoup de sollicitations de producteurs qui voulaient réaliser ce projet.

Vous bénéficiez pourtant d’un financement de l’Etat ivoirien à travers le ministère de la culture pour la réalisation du film « Les frasques d’Ebinto ». Avez-vous rencontré des difficultés relativement à ce financement ? A quelles autres contraintes deviez-vous faire face ?

Effectivement, le ministère de la culture a participé au financement du film à hauteur de 20% du budget global estimé à 620 millions de Fcfa. Ce qui n’est pas mal, je remercie les autorités pour ce geste. Ce qui s’est passé après est dû à une mauvaise lecture du contrat par les responsables du ministère de la culture. En effet, pour faire un film, on a besoin d’un plan de financement. Dans ce document, sont consignés les noms de tous les co-producteurs avec leurs apports et ce qu’ils financent.

La société américaine qui était partenaire a exigé, au départ, de ne pas sortir l’argent mais de financer la finition du film pour un montant évalué à 75% du devis global. Le ministère de la culture a participé pour 20%. Cette somme devait financer la régie, l’hébergement, la nourriture, le transport et le salaire des techniciens et comédiens ivoiriens. C’est à l’application des termes de ce contrat que le problème est apparu. Après le décaissement  de 40% du montant qui nous a permis la préparation du film, nous avons demandé la différence de 60% pour entrer dans  la phase de production.

On nous a demandé de produire les premières images avant tout décaissement alors que nous n’avions pas encore tourné. A partir de ce moment, les choses se sont compliquées. Toute l’équipe était à ma charge à l’hôtel. Des Français et des Burkinabé, j’ai rapatrié tout le monde en attendant de trouver une solution. La conséquence, les partenaires américains qui finançaient le plus gros du budget se sont retirés. Ils nous ont traités de manque de professionnalisme.

Si le projet a trainé, c’est parce que j’ai eu beaucoup de problèmes à réunir le financement nécessaire. Pour la simple raison que ma vision et celle de l’auteur du roman divergeaient. Lui, il voyait la belle histoire d’amour décrite dans le roman alors que moi, je voyais au-delà de l’histoire. Je voyais le décor et l’environnement de l’époque. Ce qui va faire intervenir la reconstitution des décors des années 60, des costumes etc. Vous conviendrez avec moi que  les décors de Grand- Bassam et d’Abidjan ont changé. Qu’il est impossible de reconstituer les décors de l’époque. On peut donc faire appel à l’informatique. C’est, par exemple, ce qui a été utilisé pour le film « Titanic » de James Cameron. Or, la reconstitution des décors via l’informatique est très coûteuse. J’avais trouvé des studios au Japon et aux Etats-Unis capables de réaliser cela. Il fallait trouver l’argent, ce qui était compliqué.

Vous aviez pourtant fait le premier clap du film « Les frasques d’Ebinto » à Jacqueville, à quelques encablures d’Abidjan, et l’espoir semblait permis. A quelles conditions pouvez-vous consentir à revenir au projet « Les frasques d’Ebinto » ?

Oui, effectivement en réalisant le premier clap, nous étions convaincu qu’après nous allions entrer dans la phase de réalisation, jusqu’au jour où on a été confronté au problème financier. Il est important de dire que les 60% restant devait financer le salaire des comédiens, des techniciens, l’hébergement, la nourriture et toutes les dépenses de régie. A défaut de cela, il était difficile d’entrer dans la phase de réalisation. Les techniciens et comédiens exigeaient une avance sur leur cachet avant toute participation. Autant de conditions qui devront être remplies si d’aventure, nous devons revenir à ce projet.

Hormis le projet « Les frasques d’Ebinto » qui a fait long feu, vous avez également un autre projet cinématographique portant sur un film baptisé « La fille au diamant ». Où en êtes-vous avec ce projet ?

« Les frasques d’Ebinto » est un très bon projet mais force est de reconnaitre qu’il est aujourd’hui derrière moi. Je travaille sur un vieux projet « La fille au diamant » qui est un très vieux projet sur lequel j’ai travaillé avec mon ami et frère, le défunt journaliste   Diégou Bailly (paix à son âme). C’est ce projet qui a engendre le roman « La traversée du guerrier » de Diégou Bailly. Au départ, c’était un long métrage. Vu mes difficultés à réunir l’argent, Diégou Bailly m’avait demandé d’en faire un roman. Ce film parle des mystiques du pouvoir en Afrique, de la longévité au pouvoir, des coups d’Etat et de la démocratie. Le projet est très avancé. Il est prévu pour novembre 2024, si Dieu le veut. Il  va faire appel aux grands noms du cinéma ivoirien.

Vous résidez aux Etats- Unis d’Amérique depuis plusieurs années où vous enseignez le cinéma. Pourquoi aviez-vous décidé de vous expatrier ?

Je suis venu vivre aux Etats-Unis depuis le 26 avril 2011. D’abord à cause de la situation de crise qu’a connue notre pays. Ma conjointe n’étant pas ivoirienne, sa famille a demandé qu’elle vienne avec les enfants aux Etats-Unis. Ensuite, moi-même, j’envisageais depuis 2010 d’y venir pour travailler sur le roman « Les frasques d’Ebinto » avec l’auteur Amadou Koné qui enseignait ici aux Etats-Unis depuis de nombreuses années. Je prévoyais y venir pour traduire le scenario en anglais afin de trouver un producteur.

Quel regard portez-vous sur le cinéma ivoirien d’aujourd’hui qui est de moins en moins présent à de grands rendez-vous comme le FESPACO ? Que faut-il faire, selon vous, pour relancer résolument le cinéma en Côte d’Ivoire ?

Le cinéma ivoirien est l’un des meilleurs d’Afrique à cause de sa diversité. Il a produit des grands noms tels que Timité Bassory, Desiré Ecaré, Henry Duparc, Gnoan Mballa pour ne citer que les pionniers. Des jeunes leur ont succédé et ont glané beaucoup de lauriers. Malheureusement, notre cinéma est absent aux grands rendez- vous. Des rencontres cinématographiques telles que le Fespaco.

Cela n’est pas dû à la qualité de nos jeunes réalisateurs mais au manque de financement.

Ce cinéma ivoirien, pour éclore, a besoin d’une ferme volonté politique qui débouchera sur le vote de lois régissant le secteur et la création de structures solides de financement.

Car tous les films qui ont été lauréats aux dernières éditions du Fespaco ont bénéficié de gros financements de leurs pays. Les festivals aujourd’hui sont très professionnels et ne laissent pas la place à l’amateurisme.  Les films qui y sont sélectionnés sont des films de haute qualité technique. Si toutes ces conditions sont réunies, notre cinéma repartira et nous apportera encore des trophées.

Interview réalisée par

Didier Depry

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