Il se nomme Nandi Bi Tchian Charles. Il est Colonel des Forces armées ivoiriennes (FACI) en service à la Direction des ressources humaines (RH) au GMMG des armées et auteur d’un récent ouvrage sur les crises ivoiriennes de 1999 à 2011. Depuis bientôt neuf (9) mois, le Colonel Charles Nandi Bi est incarcéré à la Maison d’arrêt militaire d’Abidjan (MAMA) après avoir purgé une peine d’arrêt de rigueur de 50 jours. Lors de son arrestation, selon son Avocat, Maître Eric Saki, il lui a été reproché d’avoir écrit un livre sur l’armée sans l’autorisation de la hiérarchie militaire ivoirienne. D’où l’arrêt de rigueur de 50 jours dont il avait écopée.
Puis les chefs d’accusation ont été reconsidérés et il a été inculpé pour « outrage à l’armée, outrage envers les autorités publiques, outrage envers un supérieur, révélation de secret professionnel, atteinte à la défense nationale, dénonciation calomnieuse, violation de consignes notamment de l’obligation de réserve et de discrétion ». Suite à cette inculpation, il a été placé sous mandat de dépôt. Pour obtenir la libération de son client, l’Avocat s’active comme il peut auprès des autorités compétentes.
Edité en France par les éditions Edilivre, l’ouvrage de 462 pages intitulé «Officier dans la crise ivoirienne : Témoignage », à propos duquel nous avions produit un article, il y a quelques mois, après avoir reçu un exemplaire de la part de l’éditeur, constitue une grande première dans l’univers de la « Grande muette » ivoirienne c’est-à-dire des Forces armées de Côte d’Ivoire (FACI). C’est la première fois qu’un officier supérieur écrit un livre qui dévoile sans fioritures le visage de l’armée, les difficultés des hommes en terme d’équipements basiques, le climat qui prévaut entre les officiers, les sous-officiers et les soldats, la crise de confiance qui règne entre eux, l’instrumentalisation politique dont est victime notre armée ainsi que l’attitude des militaires face aux différentes crises sociopolitiques qui ont affecté la Côte d’ivoire durant ces trente dernières années.
Dans un style simple, dynamique et fort descriptif qui s’apparente à celui du reportage journalistique, le Colonel Charles Nandi Bi qui vogue entre le livre autobiographique et l’essai sur l’armée ivoirienne prend le lecteur par la main pour lui faire découvrir la vie à l’Ecole des Forces armées (EFA) de Bouaké, celle au 3ème Bataillon d’infanterie puis au nouveau camp d’Akouédo, à l’Etat-major des armées ainsi que l’état d’âme des militaires et leurs différentes réactions durant les crises politico-militaires de 1999, 2022, 2010-2011.
Pourquoi le Colonel Charles Nandi Bi a-t-il écrit un tel livre qui suscitera immanquablement des sentiments divergents (satisfaction, grincements de dents et colère) au sein de l’armée ? A cette question, l’auteur répond en ces termes aux pages 5,6 et 7 : « La première raison est que je veux, sur la base de mon expérience personnelle, donner au lecteur un aperçu de l’univers moral et matériel dans lequel le militaire ivoirien exerce son difficile métier et évolue d’une façon générale (…) La deuxième raison qui commande l’écriture de cet livre est justement de rendre compte de la façon dont j’ai fait face à la grave crise militaro-politique de 2002-2011. Mais il s’agit ici moins d’une tentative pour évacuer le traumatisme de ces années difficiles que de décrire comment le jeune officier que j’étais a, loin des grands centres de décision, ressenti ces douloureux événements et exécuté sur le terrain les missions qui lui ont été confiées (…)
La troisième raison, et non la moindre, est ma conviction que le temps est venu de briser la lourde chape de plomb qui pèse sur l’armée ivoirienne dans le domaine de la littérature militaire. N’est-il pas curieux en effet de constater que plus de cinquante ans après la création de notre armée, son répertoire bibliographique reste si désespérément vide ?
A ma connaissance, aucun militaire ivoirien n’a à ce jour jamais publié le moindre livre traitant des questions de défense nationale ou de tout autre sujet se rapportant à notre institution. Cela est regrettable en soi, car dans le même temps, dans des pays comme le Ghana ou le Nigeria, les publications de militaires foisonnent».
L’armée ivoirienne, selon le Colonel Nandi Bi, a traversé les différentes crises sociopolitiques sans faire sa mue, sans se réformer et changer. Bien au contraire, elle est devenue dangereuse pour la cohésion sociale. Instrumentalisée et tribaliste, l’armée ivoirienne n’apparaît plus, aux yeux de l’officier supérieur, comme le carrefour de tous les Ivoiriens, au-delà de leurs origines ethniques et religieuses. D’autant que, selon lui, la politique ne devrait pas avoir droit de citer dans l’armée. Malheureusement, constate-t-il,
« depuis le coup d’Etat de 1999, les différents présidents qui se sont succédé à la tête de l’Etat ont chacun à son tour essayé de bâtir une armée sur mesure, entièrement dévouée à sa personne et utilisée non pas pour défendre la nation, mais lui permettre de conserver le pouvoir. Pour se faire, ils ont tous procédé de la même manière : sélectionner et promouvoir des officiers à des postes à responsabilité non sur la base du mérite et de la compétence, mais par népotisme ou tribalisme, puis recruter dans le même temps un personnel additionnel dans leur vivier ethnique et électoral.
L’objectif poursuivi sous forme de fantasme a toujours été d’affaiblir une armée régulière peu sûre en raison de sa population hétéroclite puis de bâtir à ses côtés une force parallèle concurrente et homogène ethniquement, gage de loyauté. Le général Robert Guéi avait initié le processus avec ses zinzins baéfouè. Il sera imité par son successeur avec les différentes milices patriotiques qui ont essaimé le pays. On aurait pu croire que les fins peu glorieuses qu’ont connues le général Guéi et monsieur Gbagbo allaient suffire à dissuader d’éventuels imitateurs. Hélas non ! Leurs exemples tragiques ne semblent guère émouvoir le régime actuel (celui d’Alassane Ouattara, ndlr) qui répète exactement la même politique militaire que ses prédécesseurs. La volonté de constituer une armée la plus éloignée possible du modèle républicain est ainsi manifeste en chacun de ses actes, depuis la création de nouvelles unités et le maintien de supplétifs dozos, chasseurs traditionnels à présent armés de kalachnikovs, jusqu’à la désignation des différents chefs. Comme toujours, c’est le tribalisme qui reste le principal vecteur de cette politique militaire » (PP.445 et 446).
Par Didier Depry
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