Fermeture de la CPI en Côte d’Ivoire – Un test pour la Justice internationale, selon un professeur d’Université américaine

L’annonce le 19 septembre 2024 de la fermeture du bureau de la Cour pénale internationale (CPI) en Côte d’Ivoire va au-delà d’une simple décision administrative. Elle porte un coup potentiellement profond à l’idée de justice internationale. Plus de dix ans après la crise post-électorale de 2010-2011 qui a entraîné la mort de plus de 3 000 personnes, plusieurs acteurs n’ont pas encore répondu de leurs actes devant la justice, et cette fermeture soulève de graves questions sur l’héritage et la pertinence des interventions de la CPI en Afrique.

Dans son projet de budget pour 2025, la CPI prévoit de « supprimer sa présence physique à Abidjan au milieu de l’année 2025 ». Derrière ce langage technocratique pourrait se cacher une réalité préoccupante : la fin des enquêtes sur les crimes commis en Côte d’Ivoire depuis 2002. Une telle démarche risque d’abandonner les victimes, de laisser des enquêtes inachevées et de compromettre le processus de réconciliation nationale. Cette présence physique de la CPI à Abidjan symbolisait l’engagement international envers une justice impartiale et l’accompagnement du pays vers une paix durable. En mettant un terme à cette présence, la CPI donne l’impression de renoncer à cette responsabilité cruciale.

Le gouvernement ivoirien présente cette fermeture comme un succès, signe que les juridictions nationales sont désormais capables de traiter les cas internes. Cette perspective a été mise en avant comme la preuve que l’État ivoirien a atteint une certaine maturité judiciaire. Toutefois, une analyse plus nuancée suggère que ce discours est prématuré. De nombreuses associations de victimes et des organisations de défense des droits humains, comme la Ligue ivoirienne des droits de l’Homme, ont exprimé leur inquiétude quant à cette décision. Willy Neth, président de ladite ligue, a qualifié la fermeture de « mauvais signal » pour les victimes. Ces dernières, déjà marquées par les violences de la crise, se retrouvent une fois de plus confrontées à un manque de reconnaissance, avec une justice internationale qui semble les abandonner dans leur quête de vérité.

La fermeture de ce bureau prend une dimension particulièrement problématique dans un contexte où les responsables des crimes commis pendant la crise n’ont pas tous été jugés. En effet, si l’ancien président Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ont été acquittés en 2019, plusieurs autres acteurs demeurent dans l’ombre. La fermeture de la CPI en Côte d’Ivoire laisse planer un doute sérieux quant à la volonté de poursuivre les enquêtes sur les crimes imputés aux proches de l’actuel président, Alassane Ouattara. Une inaction prolongée, combinée à la perspective des élections présidentielles de 2025, pourrait alimenter des suspicions d’un parti pris institutionnel, ce qui serait un coup dur pour la crédibilité de la CPI.

Il est essentiel de rappeler que, pendant des années, les enquêtes de la CPI se sont essentiellement concentrées sur Laurent Gbagbo et ses alliés, négligeant, dans une large mesure, les crimes présumés commis par les forces pro-Ouattara. Pourtant, les actes violents de ces forces ont été bien documentés, notamment par Human Rights Watch dès 2013, qui rapportait des meurtres et des violences sexuelles commises par des milices pro-Ouattara. En 2014, Doudou Diène, expert indépendant des Nations unies, relevait également l’absence de poursuites contre les forces fidèles au président actuel. La répétition de ce genre d’omissions pose la question de la partialité perçue de la CPI et de sa capacité à agir sans subir des influences politiques.

Plusieurs chercheurs ont exploré les critiques concernant un biais perçu dans les actions de la CPI, en particulier son focus sur le continent africain. Schabas (2010) fait valoir que l’attention de la CPI sur l’Afrique peut s’expliquer, en partie, par les renvois volontaires effectués par les États africains eux-mêmes, plutôt que par un biais institutionnel systématique. Néanmoins, sur le terrain, ce déséquilibre est souvent perçu comme le reflet d’une justice inégalement distribuée, renforçant la perception d’une justice internationale qui pourrait manquer de neutralité. Cette perception est également abordée par Kersten (2016), qui souligne que l’opinion publique africaine reste mitigée à l’égard de la CPI, alternant entre soutien pour le concept de justice internationale et critique de la manière dont cette justice est effectivement mise en œuvre.

Il serait erroné de nier l’utilité potentielle de la CPI malgré ses limites. Sikkink (2011), dans son ouvrage The Justice Cascade, souligne que les poursuites pour violations des droits de l’homme, y compris celles menées par la CPI, peuvent avoir un effet dissuasif, contribuant à la réduction de la violence à long terme. Toutefois, cet effet reste difficile à percevoir en Côte d’Ivoire, où la perception dominante est que la justice est rendue de manière partiale et sélective. De même, Peskin (2017), dans son étude de la coopération des États africains avec la CPI, montre que ces coopérations sont souvent marquées par une tension entre le respect de la souveraineté nationale et les obligations imposées par le Statut de Rome, suggérant ainsi une tendance où la CPI peut paraître impuissante face aux gouvernements qui n’ont pas intérêt à voir leurs actes scrutés.

Ce problème ne se limite pas à la Côte d’Ivoire. La CPI a été critiquée dans d’autres contextes, notamment en Ouganda, au Kenya, en République démocratique du Congo et au Soudan où elle semble avoir ciblé principalement les opposants aux gouvernements en place. De telles accusations ont alimenté un sentiment croissant de méfiance vis-à-vis de la CPI et de sa capacité à agir en toute impartialité. La lenteur des procédures, comme l’examen préliminaire en Colombie qui n’a toujours pas abouti à des poursuites après deux décennies, ajoute au sentiment que la CPI peine à s’attaquer aux violations commises par des acteurs gouvernementaux, renforçant la perception d’une justice sélective.

Dans ce contexte, la fermeture du bureau ivoirien envoie un message potentiellement dangereux. À l’approche des élections présidentielles de 2025, cette décision pourrait encourager l’impunité des acteurs au pouvoir, suggérant que la justice internationale ne concerne que ceux qui ne sont plus aux commandes. Les victimes des violences de 2010-2011 méritent mieux que l’abandon progressif d’une institution censée les défendre. Le retrait de la CPI laisse un vide, un espace que risque d’occuper l’injustice, exacerbant les clivages et renforçant les cycles de violences.

La crédibilité de la CPI est à un tournant critique. Poursuivre rigoureusement ses enquêtes en Côte d’Ivoire n’est pas une option, c’est un impératif. L’équité dans le traitement de tous les suspects, indépendamment de leur camp, est non négociable. Fermer les dossiers sans condamnations serait une trahison flagrante de sa mission. La CPI doit choisir : être le phare de la justice internationale ou se réduire à un outil de « justice des vainqueurs ». L’heure n’est plus aux demi-mesures. Seule une action décisive et impartiale peut sauver l’intégrité de la Cour et honorer les victimes qui attendent justice. L’avenir de la justice pénale internationale se joue ici et maintenant.

Parfait Kouacou, Ph.D

Drexel University

Pennsylvanie, États-Unis

Vice-Président, Institut de Recherche de la Diaspora Ivoirienne (IRDI)

 Légende photo

Le siège de la Cour pénale internationale à La Haye.

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