Guerre en Ukraine, sanctions économiques contre la Russie : Les retombées néfastes sur l’Afrique

Le vendredi 24 février 2023, le monde entier vivra, toujours dans la douleur, le premier anniversaire du déclenchement de la guerre en Ukraine.  Un conflit qui n’avait pas sa raison d’être si le dialogue entre la Fédération de Russie et la République d’Ukraine avait triomphé, si la Russie n’avait pas envahi l’Ukraine et si les pays occidentaux avaient écouté les complaintes de la Russie sur le sort inacceptable que vivaient les populations russophones d’Ukraine.

Et surtout  si les Etats-Unis et l’OTAN n’avaient pas décidé, d’une part, d’installer des missiles en Ukraine aux frontières de la Russie et, d’autre part, d’intégrer l’Ukraine comme membre de l’Organisation de l’atlantique nord (coalition militaire du monde occidental).

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine suivi de la batterie de sanctions individuelles, collectives et économiques prises par les pays occidentaux, avec à leur tête, les Etats-Unis, contre la 

Russie, le monde vit globalement les conséquences de ces mesures et de la guerre. Ces conséquences sont vécues difficilement en Europe et durement en Afrique.  Les questions de l’approvisionnement et de la dépendance de certaines économies africaines aux marchés russe et ukrainien constituent le premier point de tension, aux conséquences immédiates.

Parallèlement, l’envol des prix des biens alimentaires et de l’énergie constituent une sérieuse menace pour la sécurité alimentaire. Enfin, compte tenu de leur environnement macroéconomique dégradé, de nombreuses économies africaines n’ont que peu de marge de manœuvre pour soutenir leur population et font face à une forte tension budgétaire.

La dépendance aux exportations ukrainiennes et russes de produits agricoles mais aussi d’énergie et de matériaux nécessaires à la production d’infrastructures est devenu un problème de taille depuis le début de la guerre pour certaines économies du continent africain. En plus d’être producteurs de gaz naturel et de pétrole, la Russie et l’Ukraine comptent au total pour près de 30 % de la production globale de blé et 80 % de l’huile de tournesol.

Les pays africains ont importé pour 4 milliards de dollars de produits agricoles en provenance de Russie en 2020 et pour 3 milliards de dollars en provenance d’Ukraine. Le blé représentait 69% de ces importations, le maïs 21% et l’huile de tournesol 6%, l’orge 3% et le soja 4%. 

L’Afrique dépend de la Russie et de l’Ukraine pour de nombreux produits 

Parmi les principaux pays importateurs se trouvent l’Égypte, qui comptabilise à elle seule près de la moitié de ces importations, suivie du Soudan, du Nigeria, du Maroc, de la Tunisie, de l’Algérie, de la Libye, du Kenya, de l’Afrique du Sud et de l’Ethiopie.

Au-delà du montant même de ces importations, il faut s’intéresser à la part qu’elles représentent dans les importations totales du continent pour saisir le caractère stratégique de ces biens et au poids des importations en provenance d’Ukraine et de Russie dans les importations totales pour prendre la mesure de la dépendance des pays africains à ces deux économies. 

L’Ethiopie et l’Afrique du Sud sont par exemple d’importants importateurs d’huile de tournesol et de maïs russe et ukrainien mais ne sont pas en situation de dépendance, ces importations ne représentant que 10% de leurs importations totales de ces biens. 

Le  continent africain dans son ensemble est particulièrement dépendant des économies ukrainienne et russe pour certains biens alimentaires tels que le blé et l’huile de tournesol (environ 45%), l’orge (30%) et dans une moindre mesure le maïs et les graines de soja (moyenne 2016-2020).

L’Ukraine et la Russie sont également exportateurs vers l’Afrique d’autres produits dont les exportations sont impactées par la guerre, tels que le soufre, les combustibles minéraux, les produits chimiques et les engrais, essentiels à la production agricole, ou encore les matériaux en fer, acier ou cuivre utilisés pour les infrastructures.

La dépendance envers la Russie et l’Ukraine est moins marquée pour ces types de biens (entre 5 et 20% des importations) mais des tensions seront perceptibles à court terme, le temps pour les pays concernés de trouver d’autres fournisseurs à même répondre à leurs besoins, ces catégories de biens représentant environ 25% des importations totales du continent. 

Parmi les économies du continent les plus affectées, on retrouve notamment les pays dont les importations en provenance de Russie et d’Ukraine représentent plus de 30% de leurs importations totales et concernent des produits qu’ils importent en quantité (plus de 10% de leurs importations). C’est le cas notamment du Soudan, de l’Egypte, mais aussi de la Tunisie, de l’Ethiopie ou d’économies d’Afrique de l’Ouest.

L’exemple de la Côte d’Ivoire  

Prenant le cas de la Côte d’Ivoire,  les importations ivoiriennes d’engrais ont fortement chuté à 55 %, faisant grimper encore les prix intérieurs. 

Depuis 2012, date du retour de la paix après une période de conflit civil qui a duré de 2002 à 2011, la Côte d’Ivoire a été l’une des économies d’Afrique subsaharienne à la croissance la plus rapide, avec un PIB réel en progression de 8,2 % en moyenne. Cependant les retombées économiques de la guerre en Ukraine ont porté un coup aux pays en développement, déjà éprouvés par la pandémie de Covid-19 et la hausse mondiale du prix des produits alimentaires. La Côte d’Ivoire a néanmoins fait preuve d’une résilience remarquable face à ces chocs successifs.   

La Côte d’Ivoire a abordé la crise de la covid-19 en position de force, portée par sa croissance économique et des politiques macroéconomiques saines. La réponse rapide du gouvernement face à la pandémie a permis de protéger le pays des pires impacts de cette période. Cependant la guerre en Ukraine et ses conséquences sont venues perturber la fragile reprise économique du pays. La guerre a entraîné une accélération de l’inflation et d’importantes fluctuations des principales devises, l’euro et le franc CFA d’Afrique de l’Ouest (FCFA) connaissant une forte dépréciation face au dollar américain (US).

Flambée du prix des intrants agricoles

Les prix des matières premières exportées de Russie et d’Ukraine, en particulier le pétrole et le gaz, le blé ainsi que les engrais ont connu une envolée. Au niveau mondial, le prix des engrais a augmenté de plus de 90 % entre janvier et août 2022, par rapport à la même période en 2021.  En conséquence, les importations ivoiriennes d’engrais ont diminué de 55 % . Cette tendance a entraîné une hausse du prix des engrais sur le marché intérieur. Sans les subventions accordées par le gouvernement pour le pétrole et le diesel, le prix des carburants aurait également augmenté de 50 %.  La flambée du prix des intrants agricoles combinée aux perturbations du commerce mondial ont entraîné une hausse du prix des produits alimentaires sur le marché intérieur. Entre janvier et août 2021, l’indice du prix des aliments et des boissons non-alcoolisées a augmenté de 6 %. Une hausse qui s’est répétée en 2022 avec 7 % d’augmentation de cet indice entre les mois de janvier et août, par rapport à 1 % pour la même période en 2019 et 2020. 

Les populations les plus pauvres sont les plus touchées 

Tant que l’inflation actuelle et la perturbation des échanges commerciaux ne s’aggravent pas, les retombées de la guerre ne devraient pas entraîner de récession générale en Côte d’Ivoire. L’inflation était à 5,4 % en 20222. Les populations les plus pauvres du pays ont été affectées. Plus de 10 millions d’habitants, sur une population totale de 27 millions (39,5 %) vivent sous le seuil de pauvreté nationale, et environ 4,3 % des habitants vivent en situation d’insécurité alimentaire grave.

 L’impact de la hausse des prix entraînée par les prix élevés des produits alimentaires sur le marché international et les coûts importants du transport intérieur ont eu une incidence sur le panier alimentaire des ménages en Côte d’Ivoire.  Cela devrait rester limité sur les féculents produits à l’intérieur du pays comme les ignames et le manioc, mais plus important pour les produits d’importation comme le riz et le blé, un ingrédient essentiel pour le pain, aliment de base des populations urbaines. La hausse des prix du transport, de l’énergie (électricité) associée à l’inflation – plus de 5 % en 2022 et 2,3 % en 2023, selon les estimations officielles – pèseront encore davantage sur le budget déjà serré des ménages.

Le niveau des prix et la faiblesse de la monnaie impactent l’agroalimentaire

Bien que l’augmentation des prix alimentaires ait un impact négatif pour les consommateurs, l’impact sur les agriculteurs, qui font souvent partie des populations les plus pauvres, pourrait être positif.  L’affaiblissement du franc CFA rend en effet les exportations du pays plus compétitives. Si les prix à la production s’alignent sur les prix internationaux, cela pourrait stimuler significativement les revenus des agriculteurs et contribuer en même temps à la croissance économique. Le secteur agricole représente 23 % du PIB et constitue la principale source de recettes en devises. L’agriculture emploie environ 45 % de la population active en Côte d’Ivoire

Alors que la faiblesse de la monnaie locale fait augmenter le prix des produits d’importation, ce contexte pourrait amener les consommateurs à se tourner vers des alternatives locales et favoriser l’innovation – en privilégiant par exemple la farine de manioc produite sur place plutôt que la farine de blé importée et plus chère. L’appui du gouvernement au sous-secteur des cultures vivrières pourrait ainsi connaître un nouvel élan.

Mesures d’atténuation prises par le gouvernement ivoirien

Afin de tenter d’atténuer les impacts économiques de la guerre en Ukraine, le gouvernement a mis en place plusieurs mesures : une régulation du prix du carburant et des denrées alimentaires de base, des réductions temporaires et des exemptions de taxe sur la valeur ajoutée, de prélèvements, et de droits de douane pour les aliments de base ainsi que des subventions aux intrants pour les agriculteurs. Les importations de blé sont exonérées de droit de douane, et le gouvernement prévoit d’accroître la production de manioc et de maïs.

Au Ghana, voisin de la Côte d’Ivoire, en dépit des efforts faits par le gouvernement ghanéen, la situation économique demuere très préoccupante consécutivement à la guerre en Ukraine et des sanctions prises contre la Russie. L taux d’inflation est à plus de 50 % et la monnaie local, le Cédi, a perdu la moitié de sa valeur. Comme on peut le constater, les conséquences de la guerre en Ukraine et des sanctions occidentales contre l’économie russe sont néfastes pour les pays africains.

Une contribution de Franck Koffi Assamoi 

Politologue ivoirien

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