Littérature / Prix Bernard Dadié et récompense en numéraire : L’AECI répond au lauréat Tiburce Koffi

À la clôture de la 12è édition du SILA, l’écrivain ivoirien Tiburce Koffi a fait une sortie qui se décline en deux points : Il a fustigé le fait que le fil conducteur de la cérémonie n’a pas prévu la prise de parole du lauréat du Grand Prix National Bernard Dadié qu’il est. Il  a refusé de prendre la somme d’un million de Fcfa rattachée au Grand Prix National Bernard Dadié qui serait, selon lui, dérisoire au regard du nom prestigieux que porte le prix.

Ayant suivi attentivement le débat qui s’en est ensuivi sur les réseaux sociaux, et écouté Tiburce Koffi sur deux chaînes de télévision, échangé avec le Commissaire du SILA, le Maître de cérémonie et le Lauréat lui-même, je voudrais donner humblement ma position en tant que Président de l’Association des Écrivains de Côte d’Ivoire (AECI). Le débat impulsé par Tiburce Koffi soulève deux problèmes essentiels : 𝙡𝙖 𝙫𝙖𝙡𝙚𝙪𝙧 𝙣𝙪𝙢𝙚𝙧𝙖𝙞𝙧𝙚 𝙙’𝙪𝙣 𝙥𝙧𝙞𝙭 𝙡𝙞𝙩𝙩𝙚𝙧𝙖𝙞𝙧𝙚 𝙚𝙩 𝙡𝙖 𝙥𝙡𝙖𝙘𝙚 𝙙𝙚 𝙡’é𝙘𝙧𝙞𝙫𝙖𝙞𝙣 𝙙𝙖𝙣𝙨 𝙣𝙤𝙩𝙧𝙚 𝙥𝙖𝙮𝙨. Malheureusement, l’on a tendance à passer sous silence le second problème qui est pourtant fondamental.

Un rappel pour commencer

Le Grand Prix National Bernard Dadié et le Prix Bernard Dadié du jeune écrivain qui portent le nom du père des lettres ivoiriennes ont été institués par Monsieur Maurice Bandaman, Ministre de la Culture et de la Francophonie (à cette époque), dans le cadre de la célébration du centenaire du plus illustre des écrivains ivoiriens. C’est dans la même perspective que le palais de la culture a été baptisé « Palais de la Culture Bernard Dadié ».  La tutelle, dès la création de ces deux Prix Bernard Dadié, a désigné l’Association Akwaba Culture pour les piloter, ayant  en charge de recevoir les livres, constituer le jury qui a pour mission d’élire les lauréats. Ces Prix sont proclamés et décernés lors du SILA.

Avant Tiburce Koffi, le Grand Prix National Bernard Dadié (pour ne citer que le plus prestigieux) a été attribué à des écrivains comme Charles Nokan, Serge Bilé et Armand Gauz. Ceux-ci ont reçu le trophée et l’enveloppe financière d’un million de Fcfa qui accompagne le prix depuis sa création.

La valeur numéraire du prix

Tiburce Koffi soutient qu’un écrivain, Lauréat d’un prix littéraire qui porte un nom aussi prestigieux que celui de Bernard Dadié, mérite une dotation financière égale à celle d’une Miss, ou même plus.

Mon commentaire :

Un écrivain, Lauréat d’un prix littéraire, même le plus prestigieux, en termes de gain financier, de façon générale, même en Occident, n’est pas mieux logé qu’une jeune fille élue Miss Beauté, qu’un champion de football, de tennis…

Un écrivain appartient à un domaine élitiste, sélectif  où son talent n’est célébré que par un cercle d’initiés. Le Prix, sous forme d’un trophée, d’un objet d’art ou d’un parchemin, est le symbole de la reconnaissance de son mérite. Son prestige n’est pas lié à l’enveloppe financière qui l’accompagne mais à la qualité de l’organe qui l’organise, à la qualité du jury, à la campagne de médiatisation qui l’encadre. Il peut avoir une légitime protestation quand ce montant est réduit sans explication ou n’est pas remis au Lauréat comme promis.

Bernard Dadié connu pour être un homme discret, s’il vivait encore, ne se serait pas senti honoré par le refus de l’enveloppe financière liée au Prix qui porte son nom. La vérité, c’est que ces deux prix qui portent le nom du plus prestigieux écrivain de l’histoire de notre pays constituent, didactiquement, un puissant symbole pour la littérature ivoirienne. Et L’impact mélioratif des mentalités s’en trouverait certainement conforté.

Tiburce Koffi en comparant ce que gagne financièrement le Lauréat d’un prix littéraire à la Lauréate d’un concours de Miss beauté, a manqué, à mon humble avis, de délicatesse et d’inspiration.

De la place de l’écrivain ivoirien

Tiburce Koffi, à la cérémonie de clôture du SILA, a demandé et obtenu la parole au moment où le maître de céans avait annoncé la fin de la cérémonie et que le public s’était levé, prêt à sortir de la salle. Le fil conducteur de la cérémonie n’a pas prévu le discours du Lauréat du prix. En ignorant le Lauréat, les organisateurs, dans l’entendement du plaignant, lui ont manifesté du mépris et, au-delà de sa personne, à tous les écrivains, et, notamment, à la mémoire de Bernard Dadié.

𝙈𝙤𝙣 𝙘𝙤𝙢𝙢𝙚𝙣𝙩𝙖𝙞𝙧𝙚 :

Il y a à reconnaître que ce manquement au passif du commissariat du SILA, est inacceptable car le mot du Lauréat du prix, est, de principe, le point d’orgue de la rencontre. Par conséquent, Tiburce Koffi a eu raison de s’en plaindre. Même si le SILA a récompensé quatre Lauréats de prix littéraires (ce que Tiburce Koffi ne savait certainement pas), leur prise de parole, ne serait-ce que par leur porte-parole, devrait être prévue lors de la cérémonie de clôture du salon. En effet, ce sont eux les « vedettes » du jour, tout comme Camara Nangala, l’écrivain à l’honneur, cette année.

Lors de la cérémonie de remise de certains prix comme le Prix Nobel et le Prix Goncourt, le discours du Lauréat, est attendu et réclamé. Je rappelle au passage qu’un incident de ce genre s’est produit lors de la remise des Prix d’excellence du Président de la République dans le secteur de la culture, dont je suis l’un des Lauréats, le samedi 31 mai 2022 à la bibliothèque nationale. Juste après le discours de la Ministre Françoise Remarck et la remise des prix, suivie de la séance des prises de vue, le maître de cérémonie a annoncé la fin de la cérémonie et invité le public à se diriger vers le lieu prévu pour le cocktail. Il a fallu que nous, les Lauréats, et une partie du public, protestions pour qu’il revienne sur ses propos et donne la parole à Anzata Ouattara, seule femme parmi les Lauréats, que nous avons auparavant désignée pour parler en notre nom.

𝘼𝙪𝙩𝙧𝙚𝙨 𝙘𝙤𝙢𝙢𝙚𝙣𝙩𝙖𝙞𝙧𝙚𝙨 :

L’allusion au concours Miss faite par Tiburce Koffi serait plus pertinente si elle avait été argumentée autrement. Par exemple, la Miss ne reçoit pas seulement de l’argent, une maison ou une voiture. Elle est reçue par le Ministre de la Culture, la Première Dame et, souvent, par le Président de la République. Elle occupe la Une des journaux ; elle est programmée pour passer sur toutes les chaînes de télé ; elle est invitée à tous les grands évènements du pays.  Pourquoi l’écrivain ne peut-il pas, lui aussi, avoir droit à cette effervescence nationale ?

À défaut de recevoir une somme importante d’argent, le Lauréat d’un prix littéraire, surtout, international, comme d’ailleurs les Lauréats du prix du meilleur inventeur, de Miss littérature, de Miss mathématiques… devraient bénéficier de suffisamment d’égards afin que la jeunesse les prenne comme des modèles ; ce qu’ils sont effectivement.

Armand Gauz a reçu de nombreux prix littéraires dont le Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire d’expression française. Combien de fois a-t-il été reçu par les autorités de ce pays ? Combien de personnes et de caméras étaient à l’aéroport pour l’accueillir lorsqu’il rentrait au bercail ?

Si Tiburce Koffi, contrairement aux anciens récipiendaires du Grand Prix National Bernard Dadié, a fait la Une des journaux ces derniers jours, c’est parce les quotidiens et les chaînes de télévision ont trouvé, dans cet esclandre, une occasion pour faire de l’audience. Les échanges sur le sujet ou les articles ont à peine parlé du livre ou primé.

Il faut le relever honnêtement : les « flèches » de TK à l’égard du concours Miss n’ont rien à voir avec ses organisateurs, encore moins, avec notre Miss monde Olivia Yacé, qui n’est pas seulement belle, mais aussi intelligente. Elle contribue, à sa manière, au rayonnement de notre pays à l’extérieur. Ces flèches donc visent plutôt le système des valeurs de la société ivoirienne. La réaction de Tiburce Koffi est un ras-le-bol. Il a dit haut ce que les écrivains et intellectuels ivoiriens pensent bas. Il l’a dit avec toute la passion qu’on lui connaît.

𝙋𝙤𝙪𝙧 𝙣𝙤𝙪𝙨 𝙧é𝙨𝙪𝙢𝙚𝙧

 1) Tiburce Koffi, en refusant l’enveloppe rattachée au Prix Barnard Dadié, a voulu marquer les consciences, à dessein d’attirer l’attention de tous sur la place de l’écrivain et de la pensée dans notre pays. Malheureusement, ce refus a eu l’inconvénient de discréditer le prix Bernard Dadié et a, certainement, jeté le froid sur le Salon dont le succès a été salué à l’unanimité.

 2) Le Commissariat du SILA, en ne prévoyant pas la prise de parole des lauréats des Prix Littéraires proclamés au Salon Côte d’Ivoire ou leur porte-parole, et en ne les mettant pas suffisamment en lumière d’une façon ou d’une autre, a incontestablement posé un acte frustrant qu’on pourrait ressentir méprisant.

Recommandations

1) L’intervention des lauréats des Prix Littéraires ou de leur porte-parole au SILA, doit être formalisée, ritualisée et médiatisée.

2) La Côte d’Ivoire doit, par ses décideurs, accorder plus d’égards aux écrivains, surtout lorsqu’ils sont primés, en les mettant en lumière afin qu’ils servent de modèles pour la jeunesse.

3) Le Ministère de la Culture, sous-couvert du Gouvernement ivoirien doit doter l’AECI d’un siège. La maison des écrivains est un symbole fort dans un pays qui se veut pays de culture.

 

J’adresse mes encouragements au Commissariat du SILA dont je suis l’ambassadeur et à l’ASSEDI dont l’AECI est le partenaire.

J’exhorte Tiburce Koffi à faire un pas de grandeur envers le Commissariat du SILA, l’ASSEDI et le Ministère de la Culture et de la Francophonie, en vue d’aplanir les incompréhensions et, pourquoi pas, leur faire des propositions dans le sens de l’amélioration de l’existant.

𝙋𝙤𝙪𝙧 𝙛𝙞𝙣𝙞𝙧 :

Je nous invite à lire et à méditer ces mots de Tiburce Koffi : « L’artiste n’est pas un être sage, cela est connu ; mais il n’est pas ignorant (et ne doit pas l’être) des voies et voix de la sagesse, encore moins, de la loi prescrite. C’est pourquoi, il est juste et bon que, de temps en temps, le gendarme l’interpelle, pour le ramener à son identité première (il est un citoyen) et lui rappeler sa vocation essentielle : procurer plaisir et paix à la société. Gare donc aux petits voyous et farceurs qui, sous prétexte d’être des artistes, s’amuseraient à enfreindre les codes de bonne conduite sociale » (In Dans la nef de l’art, Éditions Eburnie, essai, P 43) Et maintenant, pour paraphraser l’apôtre Paul (Galates 3 :28), il n’y a plus ni écrivain, ni éditeur, ni libraire, ni lecteur, mais des soldats du livre, tous engagés à faire de notre pays, un pays de la pensée, un pays du livre.

𝗠𝗮𝗰𝗮𝗶𝗿𝗲 𝗘𝗧𝗧𝗬

Président de l’Association des Écrivains de Côte d’Ivoire

Grand Prix des Associations Littéraires 2017, Catégorie Belles Lettres

Grand Prix de Poésie africaine d’expression française 2019

Finaliste du Grand Prix Ivoire 2019

 

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