Mali / Sergueï Lavrov en visite à Bamako : Moscou sort ses cartes face à Paris

« Son Excellence Monsieur Abdoulaye Diop, Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération Internationale, vient d’accueillir à l’Aéroport International, Modibo Kéita de Bamako Sénou, Son Excellence Monsieur Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires Etrangères de la Fédération de Russie, à la tête d’une forte délégation, en visite d’amitié et de travail au Mali, les 6 et 7 février 2023.

Cette visite s’inscrit dans le cadre du renforcement du dialogue politique de haut niveau entre la République du Mali et la Fédération de Russie en vue du raffermissement du partenariat stratégique en faveur de la coopération bilatérale dynamique et mutuellement avantageuse ».

Tel est le communiqué officiel rendu public, ce mardi 7 février 2023, par le Bureau de l’Information et de la Presse du ministère malien des Affaires étrangères et de la coopération Internationale relativement à la visite de moins de 24h qu’effectue du ministre des Affaires étrangères de Russie, Sergueï Lavrov à Bamako, capitale du Mali. Le ministre russe des affaires étrangères. est arrivé tôt mardi 7 février au Mali, en pleine idylle sécuritaire et politique entre Moscou et la junte au pouvoir à Bamako, a constaté un correspondant de l’AFP.

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M. Lavrov, qui se trouvait lundi en Irak, a été accueilli à sa descente d’avion vers 1 heure 30 (locales et GMT) par son homologue Abdoulaye Diop. Les deux hommes n’ont pas fait de déclaration aux journalistes.

M. Lavrov sera reçu, ce mardi 7 février 2023, par le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta. Des discussions avec M. Diop et une conférence de presse sont également programmées.

La visite de M. Lavrov dans ce pays en proie à la violence djihadiste et à une profonde crise multidimensionnelle doit durer moins de 24 heures et concrétise le rapprochement opéré par les colonels maliens depuis 2021, en même temps qu’ils rompaient l’alliance militaire avec la France et ses partenaires.

Si des ministres maliens se sont rendus à plusieurs reprises à Moscou depuis, la venue de M. Lavrov est présentée par les autorités maliennes comme la « première du genre ». Sa visite « matérialise la volonté ferme » des présidents Assimi Goïta et Vladimir Poutine « d’impulser une nouvelle dynamique » à leur coopération dans les domaines de la défense et de la sécurité ainsi qu’au niveau économique, ont indiqué les affaires étrangères maliennes.

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Les militaires, qui ont pris le pouvoir par la force en 2020 au Mali et ont consolidé leur emprise par un second putsch en 2021, ont fait de la Russie leur principal allié contre les djihadistes. L’arrivée de combattants liés à la Russie sur le sol malien a été rapportée dès la fin 2021. Ils seraient des centaines à combattre aux côtés des soldats maliens.

Les autorités maliennes les présentent comme des instructeurs dépêchés au nom d’une coopération historique d’Etat à Etat. Elles revendiquent leur présence comme l’expression d’une liberté de choix stratégique dont la junte a fait son mantra avec la défense de la souveraineté.

Les Occidentaux et des organisations de défense des droits disent, eux, qu’il s’agit de mercenaires de la société russe Wagner, aux agissements décriés ailleurs en Afrique ou en Ukraine. Le Mali a par ailleurs réceptionné à différentes reprises des avions et hélicoptères de guerre livrés par la Russie.

Le bilan de ce changement de pied stratégique est sujet à controverse. Les autorités maliennes assurent avoir inversé la dynamique contre les djihadistes. L’ONU dresse, elle, un bilan plus sombre. Des nouvelles alarmantes remontent depuis des mois des régions de Tombouctou, Gao et Ménaka (nord et nord-est) où les combats entre djihadistes et groupes armés causent de nombreuses victimes civiles et provoquent des déplacements massifs.

M. Lavrov arrive au Mali alors que l’ancienne rébellion touareg et des groupes armés qui ont signé en 2015 un important accord de paix avec l’Etat central ont suspendu leur participation à cet accord. Les nouveaux alliés de l’armée malienne font l’objet d’accusations répétées d’exactions contre les populations civiles, de la part d’organisations de défense des droits et de témoins. Moins de 48 heures avant l’arrivée de M. Lavrov, la junte a annoncé l’expulsion du chef de la division des droits humains de la mission de l’ONU (Minusma).

Ce nouveau coup porté à la relation avec la Minusma intervient après un discours prononcé par Aminata Dicko, une défenseure malienne des droits humains devant le Conseil de sécurité. Elle dressait un tableau sombre de la sécurité et dénonçait l’implication, selon elle, des nouveaux alliés russes dans de graves violations.

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Le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme a demandé à la junte d’« annuler sans délai cette décision regrettable ». « Le personnel des Nations unies ne doit jamais être menacé ou sanctionné pour avoir fait son travail, qui est basé sur la Charte des Nations unies », a déclaré Volker Türk dans un communiqué. Au-delà du Mali, la visite de M. Lavrov s’inscrit dans une stratégie d’influence sur l’ensemble du continent, où de nombreux pays se sont gardés de condamner l’invasion russe de l’Ukraine. M. Lavrov a effectué en janvier sa deuxième tournée en Afrique en six mois.

L’Afrique, terrain d’une âpre concurrence économique et politique entre grandes puissances, est en même temps le théâtre d’une offensive diplomatique américaine. La visite de Sergueï Lavrov à Bamako pourrait être perçue, à juste titre, comme la volonté clairement exprimée de la Russie de ne plus concevoir l’Afrique comme une « île » de pré-carrés dont celui de la France.

Didier Depry
(avec Le Monde et l’AFP)

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