Marc Ona Essangui (vice-président du Sénat gabonais) : «Les Français estiment que le Rassemblement national doit diriger la France »

Le Rassemblement national (RN)  est arrivé en tête des législatives anticipées en France. Marc Ona Essangui est une figure de la société civile gabonaise, également troisième vice-président du Sénat gabonais. Il se définit comme un grand observateur de la vie politique française. C’est donc avec intérêt qu’il a suivi le scrutin. Pour l’intellectuel gabonais, Jordan Bardella et le Rassemblement national ne pourront pas appliquer leur programme sur l’immigration : « Ce sont des discours populistes pour se faire élire », dit-il. Marc Ona Essangui répond aux questions de la radio française RFI.

  RFI : Les résultats des élections législatives françaises montrent la victoire du Rassemblement national. Ce parti d’extrême droite vise et est toujours en lice pour avoir une majorité absolue à l’Assemblée nationale dans une semaine. Comment réagissez-vous ?

Marc Ona Essangui : Les Français ont exprimé leur volonté de voir la France changer. C’est l’expression du peuple et c’est une expression souveraine. Je pense qu’on doit respecter cette expression. Si le Rassemblement national est aujourd’hui en tête des suffrages, cela voudrait tout simplement dire que les Français estiment que le Rassemblement national doit diriger la France.

Est-ce qu’il y a des craintes d’une victoire du Rassemblement national pour les Africains ?

Je pense qu’il y a beaucoup de fantasmes sur cette histoire pour les Africains. La France appartient aux Français, ce sont les Français qui s’expriment. Maintenant, imaginons que Jordan Bardella soit Premier ministre, entre le discours politique et la réalité du pouvoir, je pense qu’il y a une différence à faire. Moi, Africain, je ne pense pas que nous soyons inquiets. Si on est inquiet en Afrique, est-ce que cela voudrait dire que les Français aussi devraient être inquiets quand ils sont ici ?

Mais il y a eu malgré tout beaucoup de commentaires sur l’élection française sur le continent africain. Le programme du Rassemblement national vise à restreindre la migration dans le pays. Au vu des résultats du 30 juin et l’arrivée probable au pouvoir de l’extrême droite, n’y a-t-il pas des risques quand même pour les Africains ou pour les afro-descendants qui vivent en France ?

Alors si vous suivez les campagnes électorales dans les différents pays en Afrique, le discours qui est porté sur l’immigration est un discours qu’on retrouve dans tous les peuples, c’est le populisme. Alors face à ce populisme, quelle est la réalité ? Les hommes politiques qui discourent ne sont pas toujours ceux qui mettent leurs discours en pratique. Je suis sûr qu’aujourd’hui, Bardella, à la tête du gouvernement français, ne pourra jamais appliquer ce qu’il a prononcé comme discours. Ce sont les discours populistes pour se faire élire.

Mais selon vous, que va changer la reconfiguration politique en France qui s’annonce ? Quel impact cela pourrait-il avoir pour le continent africain sur le plan économique et politique ?

Je pense que ce sont les relations de coopération entre la France et les pays africains qui vont s’imposer. Je suis gabonais, ce qui m’intéresse c’est la relation entre la France et le Gabon. Chaque pays définit la politique de coopération avec tous les partenaires internationaux. C’est valable pour la France, c’est valable pour la Chine, pour la Russie, pour les États-Unis. Je ne pense pas que nous soyons esclaves d’une certaine vision entre la France et l’Afrique, non, chaque pays va définir sa politique.

Avec la perte probable de sa majorité, une cohabitation, est-ce selon vous la fin de la politique africaine d’Emmanuel Macron ? Emmanuel Macron, qui promettait d’ailleurs la rupture d’avec ses prédécesseurs, a-t-il selon vous réussi son pari ?

C’est le même discours que François Hollande avait tenu, le même discours que Jacques Chirac avait tenu, mais on a vu exactement ce qui s’est passé. Je pense qu’il faudrait tout simplement que la vision de la France sur beaucoup de pays africains, il faudrait changer cette vision : la vision qui consiste à venir exploiter nos ressources tout simplement, sans pour autant assurer ce transfert de technologie. Il faudrait absolument que cette vision change. Il faudrait aussi que les Africains sachent que 60 ans plus tard, si nous ne sommes pas capables de mettre les moyens de créer des structures, des multinationales pour exploiter nous-mêmes nos ressources, et les mettre à la disposition de ceux qui en ont besoin, nous serons toujours dans cette situation.

Vous avez des espoirs de changement des relations entre la France et les pays africains ?

Tout dépend du rapport de force que les Africains vont mettre sur la balance, pas dans le populisme, mais dans les faits. Les Africains doivent prendre leurs responsabilités pour se débarrasser des facteurs de sous-développement. C’est ce débat qu’on doit avoir, pas le débat de bouc émissaire où d’accusation de tel ou tel qui voudrait appauvrir l’Afrique. Et ce qui est contradictoire dans le discours de certains Africains, c’est de penser que voilà, on va chasser la France, on va chasser le colon, et puis on va se jeter dans les bras de la Russie, de la Chine et autres. Mais on ne peut pas être aussi incohérent. Si nous voulons nous débarrasser de tout ce qui, pour beaucoup, est à l’origine de notre sous-développement, et bien il faut tenir un discours qui engage les Africains pour se développer. Parce que nous avons tout : nous avons la ressource naturelle, nous avons la ressource humaine, nous avons tout.

Légende photo : Marc Ona Essangui, figure de la société civile gabonaise mais également 3e vice-président du Sénat gabonais.

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