Les élections régionales qui se tiendront en Côte d’Ivoire, le 2 septembre 2023, auront un goût particulier dans la région du Moronou, Centre-Est du pays, où les joutes opposeront un beau-père, Affi N’Guessan, président sortant du Conseil régional, et son gendre, N’Guessan Ahondjo Mathias. Avec en toile de fond, la guerre de leadership, sans merci, que se livrent Théophile Ahoua N’Doli et Pascal Affi N’Guessan pour le contrôle du Moronou.
Ce fait que certains observateurs de la vie politique ivoirienne pourraient banaliser, à tort, est loin d’être anodin à l’aune des antagonismes politiques locaux ardus dans la région du Moronou. Ekanza Kouacou Didier, directeur de la communication du Conseil régional du Moronou, proche parmi les proches de Pascal Affi N’Guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI) et président sortant du Conseil régional du Moronou, a été auditionné pendant deux heures, le mardi 31 mai 2023, par la gendarmerie de Bongouanou (ville principale du Moronou) sur plainte de l’Inspecteur général d’Etat de Côte d’Ivoire, Théophile Ahoua N’Doli, coordonnateur régional du Rassemblement des Houphouetistes pour la démocratie et la paix (RHDP) dans le Moronou. Ekanza Kouacou Didier a été longuement entendu sur des accusations de diffamation avant d’être libéré.
Cette audition d’un proche d’Affi N’Guessan sur plainte d’Ahoua N’Doli constitue une étape parmi les nombreuses qui jalonnent la guéguerre que se livrent les deux personnalités. Une guerre de leadership pour le contrôle du Moronou qui ne date pas d’aujourd’hui, soutiennent des ressortissants de la région qui ont requis l’anonymat. « Le président Ahoua N’Doli est l’aîné mais Affi N’Guessan ne lui a jamais donné cette place-là dans la région », accuse un proche de l’Inspecteur général d’Etat. Qui ajoute que « le temps d’Affi est passé. Quand il était le Premier ministre de Laurent Gabgbo et qu’ils étaient au pouvoir, on pouvait comprendre qu’il s’impose dans la région. Mais aujourd’hui qu’ils ne sont plus au pouvoir, Affi N’Guessan doit se retirer. On ne peut pas accepter qu’il veuille encore s’imposer ».
Des propos que récuse un partisan de Pascal Affi N’Guessan, pour qui l’attachement de l’ancien Premier ministre à sa région, le Moronou, est sans calcul. « Il a toujours fait du bien-être des populations et du développement du Moronou, un engagement constant. C’est ce qui le motive, pas le contrôle de la région ou en être le leader, vaille que vaille », soutient-il. Qui ajoute, le sourire en coin comme pour narguer leurs adversaires que « le président Affi N’Guessan est devenu le leader naturel du Moronou ».
Une vision que désapprouve et combat radicalement Théophile Ahoua N’Doli qui parraine la candidature aux élections régionales dans le Moronou de l’homme d’affaires, N’Guessan Ahondjo Mathias, gendre d’Affi N’Guessan. Il est l’époux de l’ancienne ministre de la culture, Arlette Badou Kouamé épouse N’Guessan, fille de Kouamé Oi Kouamé, frère aîné de Pascal Affi N’Guessan. Candidat du RHDP, N’Guessan Ahondjo Mathias a pour mission, avec le soutien actif de l’inspection général d’Etat et leader local du RHDP, d’évincer le président du FPI de la tête du Conseil régional du Moronou. En dépit du partenariat politique signé récemment entre le FPI et le RHDP.
Un rapprochement entre le FPI et le RHDP que dénoncent des partisans d’Ahoua N’Doli qui perçoivent cela comme une sorte de « cadeau royal » offert à leur adversaire voire ennemi Pascal Affi N’ Guessan. « Le RHDP a déjà un candidat dans la région du Moronou et c’est Ahondjo Mathias. Nous ne pouvons pas t’offrir la cartouche pour nous abattre», aurait affirmé Ahoua N’Doli à M’Batto, le lundi 29 mai 2023, lors de la cérémonie de présentation des candidats du RHDP aux élections régionales et municipales, rapporte le quotidien Le Nouveau Réveil, journal proche du PDCI-RDA. Il s’adressait ainsi, sans le citer, à Affi N’Guessan, absent. Pas question pour le RHDP du Moronou de se désister au profit du président du FPI au nom du partenariat entre le FPI et le RHDP.
Trois raisons motivent cette position. Primo, parce que, selon les cadres du RHDP du Moronou, Affi N’Guessan et l’opposition ont combattu en 2020, « le premier mandat de la 3e République » du président Alassane Ouattara à travers un conseil national de transition (CNT) ; ayant perdu « la bataille visant à renverser le président Alassane Ouattara », Affi N’Guessan devrait en tirer les conséquences dans le Moronou. Deuxio, ils reprochent au président du FPI d’avoir, disent-ils, mis en danger leur intégrité physique en 2020 et de les avoir humiliés. Tertio, les cadres du RHDP exigent qu’Affi N’Guessan se retire de la course aux régionales parce que, argumentent-ils, « le Moronou a besoin de développement et c’est un élu RHDP qui peut apporter ce développement parce que la région pourra bénéficier des projets de développement arrêtés par le gouvernement ».
Selon des sources concordantes, l’Inspecteur général d’Etat, Théophile Ahoua N’Doli, aurait dépêché, par trois fois, Kouamé Oi Kouamé, frère aîné d’Affi N’Guessan, auprès de son cadet afin qu’il le persuade à se retirer de la course au profit du candidat du RHDP, N’Guessan Ahondjo Mathias. Après l’échec de la mission de Kouamé Oi kouamé, une rencontre de vérité s’est tenue entre Affi N’Guessan et Ahoua N’Doli. Une rencontre au cours de laquelle le président du FPI aurait clairement révélé ce que représente la présidence du Conseil régional du Moronou sur la voie de son ambition pour la magistrature suprême en 2025. Les deux parties se sont séparé dos-à-dos. Chaque partie affûtant ses armes pour la bataille électorale des régionales du 2 septembre 2023.
Pour la présidentielle d’octobre 2025, les cadres du RHDP du Moronou brandissent unanimement un étendard anti-Affi N’Guessan. « Nous ne soutiendrons jamais Affi N’Guessan dans son ambition pour être président de ce pays », soutient un cadre RHDP, originaire du Moronou.
Conscients de l’inimitié qu’éprouvent leurs adversaires à leur égard, les partisans du président sortant du Conseil régional du Moronou disent se focaliser d’abord sur les régionales. « On verra la suite plus tard », précise un militant du FPI. A quatre mois des élections régionales dans le Moronou, la guerre des égos entre « frères » a fait place à une bataille politique farouche qui transcende les édifices familiaux et les partenariats.
Par Didier Depry
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