Reportage / Paccolo (Gagnoa) – Les veuves oubliées : Un cri d’injustice !

Au cœur du canton Paccolo, dans la sous-préfecture de Dougroupalégnoa, située dans le Sud-ouest de la région du Goh, une crise silencieuse se joue chaque jour. Les femmes veuves vivent des situations d’injustice et de précarité extrême. Nous avons parcouru plusieurs villages pour donner la parole à ces femmes en situation de fragilité. Nous explorons les défis auxquels elles sont confrontées et donnons un aperçu des traditions locales qui perpétuent ces injustices, tout en mettant en lumière les témoignages poignants de quelques-unes de ces femmes mais également des hommes qui défendent les coutumes du terroir.

A Guiguia, Mahibouo, Dodjagnoa, et d’autres villages du canton Paccolo, les femmes veuves sont souvent dépossédées des plantations qu’elles ont créées  avec leurs époux, ou elles sont chassées de leurs domiciles conjugaux après le décès de ces derniers. Cette pratique, bien que profondément injuste, est enracinée dans les coutumes locales. Les veuves se retrouvent alors dans une extrême vulnérabilité, incapables de retourner auprès de leurs familles biologiques.

En effet, dans le canton Paccolo, comme dans de nombreux cantons et villages de la région, les us et coutumes interdisent aux filles, jeunes ou âgées, de s’établir durablement dans leur village natal. Cela vise à éviter qu’elles ne prennent un conjoint et ne fondent une famille sur les terres de leurs parents. Leurs enfants n’ont pas non plus le droit de créer des plantations sur les terres de leurs grands-parents maternels, au risque d’être accusés de provoquer des décès au sein de la famille de leur mère. Face à ces traditions, les femmes veuves sont condamnées à souffrir le martyre, en espérant qu’une âme généreuse viendra les tirer de la galère.

Témoignages de veuves

 Marie, une veuve de Guiguia, raconte comment elle a été expulsée de sa maison après le décès de son époux : « Après la mort de mon mari, ses frères m’ont expulsée de notre maison et m’ont dépossédé des  plantations de cacao que nous avions créées ensemble. Ils m’ont laissée sans ressources, et je n’ai nulle part où aller. » Jeannine, résidente de Donhio-Maléhio, partage une histoire similaire : « Après la mort de mon mari, je n’ai pas seulement perdu mon compagnon de vie, mais aussi tout ce que nous avions construit ensemble. La famille de mon mari m’a expulsée du fait que je n’ai pas eu d’enfant avec celui-ci, et j’ai dû mendier pour survivre. »

Georgette, une veuve habitant Dougroupalégnoa, ajoute : « Lorsque mon époux est décédé, ses cousins ont pris le contrôle de nos terres. Je suis restée avec mes enfants, sans ressources et sans soutien. Chaque jour est une lutte pour survivre. » Clémentine, une veuve de Djatègnoa, raconte son calvaire : « Mon mari et moi avions cultivé des plantations pendant des années. A sa mort, sa famille m’a chassée et a pris nos plantations. Je vis maintenant dans une grande précarité. » Lucie, de Guibouo, témoigne : « Après la mort de mon mari, je ne pouvais pas retourner chez mes parents à cause des coutumes. Je suis restée dans le village, condamnée à vivre dans la misère et la marginalisation. » Marguerite, habitante de Maguéhio, explique : « Les femmes veuves sont toujours les plus vulnérables. On nous arrache tout ce que nous avons bâti avec nos époux. Sans soutien, il est presque impossible de survivre. » Rose, résidant à Mahibouo, ajoute : « La perte de mon mari a été suivie de la perte de nos biens. J’ai été expropriée et chassée de notre maison. Les traditions ne nous laissent aucun recours. »

 Point de vue des hommes

 Gnahoré, notable à Guiguia : « Nos traditions existent pour une raison. Elles maintiennent l’ordre et la structure au sein de nos villages. Mais je reconnais que ces règles peuvent parfois causer des injustices. » Gadji, vivant de Donhio-Maléhio : « Il est difficile de changer des pratiques qui existent depuis des générations. Cependant, nous devons trouver un moyen de protéger nos veuves et de leur offrir un soutien. » Sahuié, ancien de Djatègnoa : « Les veuves devraient être soutenues et non abandonnées. Il est essentiel de réexaminer certaines de nos coutumes pour répondre aux besoins de notre époque. »

Face à ces témoignages bouleversants, il est essentiel d’organiser les veuves en situation de fragilité au sein de la sous-préfecture de Dougroupalégnoa pour défendre leurs droits afin qu’elles retrouvent leur dignité. Un soutien collectif pourrait non seulement renforcer la cohésion sociale, mais aussi contribuer au développement économique de la région. Mieux, ce soutien pourrait améliorer l’image du canton, parce qu’il démontrera un engagement en faveur des droits de l’Homme et renforcera surtout l’image du canton Paccolo. Le soutien aux veuves favorisant l’unité et la solidarité au sein de la communauté. Et les femmes veuves, en retrouvant leurs droits, pourront contribuer activement à l’économie locale par la création et la gestion de plantations.

C’est pourquoi l’appui des chefs traditionnels, gardiens des us et coutumes, ainsi que celui de l’Association des filles dénommée « Djérédjé », au projet d’organiser les femmes en situation de fragilité, serait un signal fort pour toute la communauté. Leur soutien pourrait transformer les conditions de vie des veuves dans le canton Paccolo et envoyer un message important sur la nécessité de protéger les droits des femmes dans toute la région du Goh où les coutumes sont similaires.

Un reportage de Robert Krassault

ciurbaine@yahoo.fr

Légende photo : Les veuves dans de nombreuses localités de Côte d’Ivoire sont livrées à elles-mêmes, sans aucune ressource et subissent les affres de la tradition.  (Archives)

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