Dans le paysage politique ivoirien, c’est un fait inédit. Un parti au pouvoir qui scelle un partenariat avec un parti de l’opposition. En clair, un rapprochement alors que leurs ambitions respectives sont connues et ne sont pas édulcorées. L’un veut demeurer au pouvoir et l’autre veut y parvenir en battant aux urnes celui qui y est. Cependant, le 2 mai 2023, le Front populaire ivoirien (FPI) dirigé par l’ancien Premier ministre sous l’ex-chef de l’Etat Laurent Gbagbo, Pascal Affi N’Guessan, et le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), formation politique du président de la République, Alassane Ouattara, ont signé un partenariat politique pour, disent-ils, « œuvrer ensemble pour la réconciliation nationale ». Quelques mois après cette amitié conclue entre ces deux partis politiques qui s’étaient durement opposés en 2020, dans le cadre de la crise politique consécutive à l’élection présidentielle d’octobre, le partenariat vacille à cause des tensions qui le frappent de plein fouet telles les fortes vagues de la mer qui perturbent le navire.
Des tensions qui mettent en lumière des fissures
Le FPI accuse le RHDP de ne pas avoir respecté l’esprit du partenariat. Lors des élections municipales et régionales de 2023, malgré les instructions du président Ouattara, soutient le FPI, de nombreux cadres locaux du RHDP auraient œuvré contre le FPI. « Il n’y a rien à cacher, le partenariat bat de l’aile parce que le RHDP n’a pas joué franc jeu avec le FPI », affirme un membre du secrétariat général du FPI. Selon ce partisan de Pascal Affi N’Guessan, lors des élections locales, malgré les directives du président Alassane Ouattara demandant aux cadres et militants du RHDP de soutenir, par exemple, le président du FPI, Affi N’Guessan, qui était candidat à sa réélection à la tête du conseil régional du Moronou, les cadres de cette région, militants du RHDP, auraient tout mis en œuvre pour faire tomber le « partenaire » Affi. « Ils ont pour cela privilégié une entente locale avec le PDCI-RDA alors qu’ils ont revendiqué et obtenu deux places de vice-président dans le conseil régional dont la première vice-présidence », soutient ce partisan d’Affi N’Guessan avec amertume. Puisqu’effectivement le président du FPI a été battu par la candidate du PDCI-RDA, Aka Véronique. Affi N’Guessan n’est désormais plus le président du conseil régional du Moronou.
De plus, le FPI estime que le RHDP aurait pu soutenir davantage le FPI en nommant certains de ses militants au Sénat ou au gouvernement. Selon ce cadre du FPI, le président de la République, Alassane Ouattara, aurait pu ainsi aider le partenaire. « C’est vrai que le partenariat porte sur des thématiques nationales mais, un matin, le RHDP a supprimé le ministère de la réconciliation. Pourquoi ? Alors que nous comptions sur cette thématique pour collaborer à la mise en œuvre du processus de réconciliation nationale car le FPI est porteur d’un projet dans ce sens. Donc, sans dénoncer ouvertement le partenariat, le FPI a décidé de continuer son chemin aux côtés des Ivoiriens et préparer 2025 », précise sous le couvert de l’anonymat ce dirigeant du FPI. Avant de lancer sur un ton quasi-belliqueux : « Le RHDP va regretter d’avoir minimisé le FPI. Ça vient ! ».
Un FPI divisé autour du RHDP
Au FPI, tous les cadres de ce parti politique, membres du comité central, ne sont pas unanimes à soutenir ce grand froid dans les rapports avec le RHDP. Selon un membre du comité central, la dernière réunion de cette importante instance du FPI qui s’est tenue, le samedi 16 décembre 2023, a été houleuse et vu un parti divisé sur la question. Le FPI ayant obtenu 300 élus grâce au RHDP, d’autant que les militants du FPI figuraient sur les différentes listes des candidats RHDP vainqueurs aux élections municipales et régionales de 2023, de nombreux membres du comité central ont trouvé qu’il ne fallait pas « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Et ce cadre du FPI de reconnaître que « sans le RHDP, nous n’aurions pas eu tous ces adjoints au maire, vice-présidents de conseils régionaux, conseillers municipaux, conseillers régionaux etc. Nous n’aurions pas eu tous ces élus ».
Contrairement donc à certains militants du FPI échaudés par la défaite de Pascal Affi N’Guessan à l’élection régionale dans le Moronou qu’il impute à « un complot » du RHDP et appellent, pour ce faire, à une rupture du partenariat ; d’autres militants estiment qu’il faut surmonter cette rancœur et privilégier l’intérêt du parti, dans son ensemble. Et cet intérêt réside, selon eux, dans la poursuite du partenariat avec le RHDP.
Le RHDP, sa colère et ses raisons
De son côté, le RHDP, droit dans ses bottes, estime que c’est parce qu’il veut une Côte d’Ivoire réconciliée et de paix que le chef de l’Etat, Alassane Ouattara, président du RHDP, a autorisé la signature d’un partenariat avec le FPI. En dépit des oppositions qui ont eu cours au sein de sa formation politique relativement à cette question. D’autant que, soutient un cadre du RHDP, sous le couvert de l’anonymat, « avec le rôle de porte-parole du CNT qu’a joué en 2020, Pascal Affi N’Guessan, pendant ce putsch que l’opposition a tenté contre le président Alassane Ouattara alors que les Ivoiriens venaient de le réélire, nous ne faisions pas confiance à Affi N’Guessan . C’est le président Ouattara qui nous a rassurés d’agir au nom de la paix et de la réconciliation nationale, et nous lui avons obéit ». Et le cadre du RHDP d’ajouter concernant la non-nomination de militants du FPI au gouvernement et au Sénat : « Ce partenariat n’inclut pas un partage de pouvoir. Nous l’avons clairement signifié au FPI. Ils le savent. Donc il n’y a pas de polémique à ce niveau ».
Bien que scellé, ce partenariat apparaissait cependant fragile à cause de la crise de confiance qui existait entre le FPI et le RHDP. Une crise de confiance qui a fini par éclater au grand jour. En effet, les récentes sorties publiques du FPI sur la gouvernance de la Côte d’Ivoire par le président Alassane Ouattara ont été au vitriol. Le RHDP n’est pas du tout content de ces sorties de son « partenaire », le FPI. D’abord, ce qu’Affi N’Guessan a dit, le vendredi 24 novembre 2023, à Abidjan-Yopougon, lors du congrès du COJEP, le parti politique dirigé par Charles Blé Goudé, sur la gouvernance d’Alassane Ouattara. Ensuite, le communiqué fort critique du FPI signé de son secrétaire général et porte-parole, Issiaka Sangaré, sur l’augmentation du prix de l’électricité entrée en vigueur le 1er janvier 2024.
Pour de nombreux responsables et militants du RHDP, le FPI ne se comporte pas comme un partenaire. Parce qu’entre partenaires, disent-ils, on trouve toujours un cadre quand on veut se parler. « Si le FPI reproche des choses au RHDP, ce n’est pas sur la place publique qu’il faut le dire », affirme cet élu RHDP. Au sein du parti présidentiel, on interprète volontiers ces initiatives du FPI comme une volonté de mettre fin au partenariat. Ces tensions permettent de constater à l’évidence qu’à une année de l’élection présidentielle et des élections législatives de 2025, la question de l’avenir du partenariat entre le parti au pouvoir, le RHDP, qui est de Droite et le parti d’opposition, le FPI, de Gauche, suscite des interrogations. Ce partenariat visiblement « morganatique » FPI-RHDP survivra-t-il aux défis actuels et futurs? Seul le temps nous le dira.
Un dossier réalisé
par Didier Depry
Légende photo : Affi N’Guessan (FPI) et Cissé Bacongo (RHDP) lors de la signature du partenariat, le 2 mai 2023.
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