Sommet en Afrique du Sud en août 2023 –  Ramaphosa va-t-il lâcher Poutine et fragiliser les BRICS ?

L’Afrique du Sud n’entend pas renier la RussieC’est ce que le gouvernement a fermement répété depuis que la Cour pénale internationale (CPI) a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine, le 17 mars 2023. « Certains ne souhaitent pas que nous ayons des relations avec un vieil ami historique », a déclaré la ministre des Affaires étrangères Naledi Pandor, jeudi 30 mars 2023, alors qu’elle accueillait le ministre russe des Ressources nationales et de l’Environnement, Aleksandr Kozlov. « Nous avons pourtant été clairs : la Russie est une amie […], nous ne pouvons pas soudainement devenir ennemis à la demande d’autres [pays]. »

Ce mandat d’arrêt international, une première concernant un dirigeant d’une puissance nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité, tombe très mal pour l’Afrique du Sud. Partie du statut de Rome de la CPI, elle serait tenue d’arrêter Vladimir Poutine s’il posait un pied sur le territoire, ce qui est justement prévu en août 2023, à l’occasion du sommet des Brics qui réunira en Afrique du Sud, les dirigeants de la Chine, de la Russie, du Brésil et de l’Inde.

Le problème du sommet des Brics

« Une chose est sûre, l’Afrique du Sud ne va pas arrêter Vladimir Poutine », explique Peter Fabricius, analyste de la politique étrangère sud-africaine. Non aligné et proche de la Russie en raison, entre autres, de ses liens historiques avec l’URSS, le pays a choisi de ne pas prendre parti dans la guerre en Ukraine, s’abstenant lors des votes de l’Assemblée générale des Nations unies sur la question.

Alors, depuis plusieurs semaines, le gouvernement consulte des conseillers en droit pour trouver un moyen légal de contourner ses obligations envers la CPI. Mais, pour Angela Mudukuti, avocate en droit pénal international, « il n’y a pas d’alternative légale. La loi est très claire : l’Afrique du Sud a le devoir d’arrêter les individus recherchés par la CPI. » Amender la loi ou sortir de la CPI sont des procédures toutes trop longues pour être réalisées avant août. Pour Peter Fabricius, le scénario le plus probable reste que l’Afrique du Sud demande à Vladimir Poutine de ne pas venir. « Il a des discussions pour déplacer le sommet en ligne ou dans un autre pays. Vladimir Poutine pourrait aussi envoyer un représentant à sa place. » Des solutions qui ne plaisent guère aux membres pro-russes du gouvernement. « Ils perçoivent ce mandat d’arrêt comme une interférence occidentale. Ils n’ont pas envie de demander à Poutine de ne pas venir, et sont soucieux que cela nuise à leurs relations avec la Russie ou avec les autres membres des Brics. »

Le précédent de 2015 : la non-arrestation d’Omar el-Béchir

Mais il subsiste un doute : et si l’Afrique du Sud réitérait sa désobéissance de 2015 ? Elle avait alors accueilli le président soudanais Omar el-Béchir, à l’occasion du sommet de l’Union africaine, malgré un mandat d’arrêt de la CPI à son encontre. « Cela a eu de sérieuses conséquences », se souvient Angela Mudukuti, qui a travaillé sur le dossier. En effet, le gouvernement n’a pas alors seulement contrevenu à ses engagements internationaux, il a aussi brisé sa propre législation, qui avait intégré les dispositions du statut de Rome. Constatant qu’Omar el-Béchir n’était pas immédiatement arrêté à son arrivée, la justice sud-africaine a émis une décision exigeant qu’il le soit. Mais le gouvernement a laissé Omar el-Béchir quitter le pays sans être inquiété. « Le gouvernement a donc non seulement ignoré la loi, mais aussi une décision judiciaire lui intimant d’arrêter le président soudanais. Ça a été un sérieux coup porté à l’État de droit. »

Le gouvernement sud-africain a ensuite porté l’affaire devant la Cour de cassation au motif qu’il ne pouvait pas arrêter le président el-Béchir en raison de l’immunité des chefs d’État. Argument rejeté : la décision du gouvernement était illégale. « Le gouvernement a été sévèrement réprimandé par la justice sud-africaine, et ça a été un embarras majeur pour le parti au pouvoir d’avoir brisé la loi de son propre pays, raconte Peter Fabricius. Après ce qui s’est passé en 2015, le gouvernement n’a plus d’excuses de faire comme s’il ne savait pas. »

Un accord commercial avec les États-Unis menacé

Un second pied de nez à la CPI pourrait aussi endommager les relations avec les pays occidentaux, principaux partenaires commerciaux de l’Afrique du Sud. L’Union européenne, les États-Unis et le Royaume-Uni comptent ainsi pour 35,5 % des exportations du pays en 2022, selon EU Trade, contre un petit 0,23 % d’exportations dédié à la Russie. Les investissements occidentaux en Afrique du Sud sont également disproportionnés en comparaison avec les investissements russes. Les tergiversations du gouvernement font surtout peser un risque sur ses relations commerciales avec les États-Unis. Alors que la neutralité de l’Afrique du Sud et son amitié marquée avec la Russie font déjà grincer des dents au pays de l’Oncle Sam, celui-ci pourrait décider de revenir sur un accord commercial avantageux, l’Agoa (African Growth and Opportunity Act), si l’Afrique du Sud continuait de s’enfoncer dans une position de plus en plus prorusse. L’accord, qui permet à la nation arc-en-ciel d’exporter sans taxes pour plusieurs milliards de dollars de biens chaque année, pourrait être remis en cause par un Congrès américain actuellement dirigé par des républicains peu amènes envers les amis de la Russie.

Pour couronner le tout, un sommet de l’Agoa, prévu en Afrique du Sud juste après celui des Brics, est désormais compromis. Conscient de l’agacement américain, le gouvernement a envoyé une délégation aux États-Unis pour expliquer sa position et apaiser les tensions.

La légitimité de la CPI de nouveau en question

Le mandat d’arrêt relance en Afrique du Sud les débats autour d’une sortie possible de la Cour pénale internationale, mais c’est improbable. Non seulement cela ne serait pas valable d’ici au sommet des Brics, mais surtout le gouvernement vient juste de réaffirmer son lien avec l’institution. Alors qu’un projet de loi pour sortir de la CPI traînait dans les tiroirs depuis l’affaire el-Béchir, l’ANC a définitivement décidé de l’enterrer lors de sa conférence nationale, en décembre 2022. Le projet de loi a été retiré le 10 mars, sept jours seulement avant que le mandat d’arrêt contre Poutine ne soit émis.

Néanmoins, cela n’empêche pas les critiques envers la CPI, régulièrement accusée d’être sélective, en omettant de mettre en cause les pays occidentaux. « Il y a eu beaucoup de conflits à travers le monde et les pays les plus puissants sont souvent impliqués. Mais ils ne sont pas inculpés, critiqués, et ils ne sont pas membres de la CPI et n’ont pas signé le statut de Rome », dénonce dans une interview au Sunday Times sud-africain Naledi Pandor, la ministre des Affaires étrangères. « Ils sont soudainement très impliqués lorsque c’est Poutine que l’on pointe du doigt, mais, si quelqu’un était mis en cause dans leur pays, ils ne l’accepteraient pas. »

123 pays sont partie au statut de Rome de la CPI dans le monde. L’Afrique du Sud a été le premier pays africain à le signer en 1998 (ratifié en 2000). Ni les États-Unis, ni la Russie, ni l’Inde, ni la Chine ne l’ont ratifié.

Source : Le Point

NB : La titraille est de « Le Monde Actuel » 

Laissez une réponse

Votre email ne sera pas publié