Terrorisme au Burkina Faso : Le témoignage révélateur de 4 mois d’enquête d’une journaliste burkinabé

Une journaliste burkinabè honorée. Mariam Ouédraogo, qui travaille pour les éditions Sidwaya, a reçu le samedi 8 octobre 2022 le prix Bayeux des correspondants de guerre. Un prix prestigieux obtenu dans la catégorie presse écrite pour une série d’articles titrée « Axe Dablo-Kaya : la route de l’enfer des femmes ». Près de quatre mois d’enquête sur cet axe contrôlé par les groupes armés et où les femmes, estime la journaliste, sont les oubliées de ce conflit.

 

RFI: Vous venez de recevoir le prestigieux Prix Bayeux, j’imagine que c’est une fierté pour vous, mais aussi pour toute la profession ?

Mariam Ouédraogo: C’est plus qu’une fierté, parce qu’au-delà de Mariam Ouédraogo, il y a d’abord la profession. Il y a mon organe, les Éditions Sidwaya, qui veut dire en langue nationale moré « la vérité est venue ». Ensuite, mon pays et l’Afrique toute entière se sent honorée à travers cette distinction. C’est plus que symbolique, parce qu’en tant que femme, ce n’était pas évident de tenir dans les conditions de réalisation de ce reportage. On se met dans la peau des journalistes, et on y va.

Comment travaille-t-on aujourd’hui dans ces régions occupées par les groupes armés ?

C’est avec beaucoup de précaution, mais on se dit : « c’est vrai, il y a ce risque-là, mais il y a des personnes qui malgré tout vivent dans cette localité-là ». Donc raison de plus pour nous, qui avons la charge d’informer les gens et d’aller à la rencontre de ces personnes-là, d’échanger avec elles afin d’informer l’opinion publique de tout ce qu’elles vivent comme réalités dans ces zones d’accueil.

Le titre de votre série d’articles est « Axe Dablo-Kaya : la route de l’enfer des femmes ». Que vous racontent ces femmes que vous avez rencontrées ?

Je suffoque quand on me pose ce genre de questions. C’est difficile pour moi de revenir sur ce qu’elles ont vécu, parce qu’elles ont été violées à plusieurs reprises, elles ont été battues, elles ont été séquestrées et dépouillées de tout… Dans ces histoires, c’est la même souffrance, mais ce ne sont pas les mêmes histoires. Il y en a qui ont eu la chance de recevoir uniquement des coups de fouet, mais il y en a qui ont vécu toutes ces souffrances-là. Non seulement elles ont été fouettées, mais elles ont été dépouillées de tout et elles ont été violées à plusieurs reprises. Qu’est-ce qu’elles ont fait pour mériter cela ? Qu’est-ce que ces individus-là recherchent en infligeant toutes ces souffrances à ces femmes ? Ces femmes ont vraiment subi des atrocités de la part des individus armés, ces « hommes de la brousse », c’est ainsi qu’elles les appellent par crainte.

Vous, vous estimez que ces femmes sont les grandes oubliées de ce conflit.

De ce que vivent ces femmes traumatisées à jamais, même certaines actuellement ne peuvent plus se tenir sous le soleil, on les a tellement fouettées que les traces sont toujours visibles. En termes de traumatismes aussi, pour certaines, même le fait d’être au milieu d’autres personnes, elles me disent qu’elles ne se sentent pas en sécurité. Donc elles préfèrent se taire, garder le silence, et souffrir un peu. Malheureusement, elles ne s’ouvrent pas, toutes les personnes, surtout les hommes, sont des menaces pour elles.

Quels sont les reportages, les enquêtes que vous souhaitez mener désormais ?

Tant que j’aurai cette force-là, je souhaiterais continuer toujours sur ces enfants qui naissent. Quel sera l’avenir de ces enfants ? Quel est le dispositif d’accueil de ces enfants ? En termes d’avortement, parce que la plupart de ces femmes, qui sont malheureusement tombées enceintes ne souhaitent pas garder cette grossesse-là. Et avec les restrictions de la loi, malheureusement, certaines arrivent dans des centres de santé un peu tard. Ces femmes ont aujourd’hui des idées suicidaires et se retrouvent seules, avec toutes ces charges, tout ce poids. Il faut que le débat se mène autour de ce thème-là : ces femmes, ces enfants, dans l’avenir, quel sera le regard de la société sur ces enfants ?

(Source : RFI)

NB : La titraille est de « Le Monde Actuel »

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