Chez le peuple Adjoukrou que l’on retrouve dans le département de Dabou et dans la région des Grands-Ponts, la société est organisée en générations. Qui sont les NIGBESSI, BÔDJL, SÊTÊ, N’DJRUMAN, ABROMAN, M’BEDIÉ, M’BROMAN. Ce sont ces différentes générations qui, de façon alternée, dirigent les villages. A N’Gatty, village situé dans le département de Dabou, c’est la génération Bôdjl qui dirige après une forte crise avec la génération précédente Nigbessi dont était issu l’ancien chef de village nommé Séké Nouh Benson. Suite à moult palabres, la génération Bôdjl a donc pris le pouvoir et imposé son chef de village en la personne d’Akpa Sié André. C’était en décembre 2021. Selon les règles coutumières, les membres de la génération Bôdjl devenus désormais « les patriarches » sont les détenteurs du pouvoir traditionnel qu’ils exercent durant un mandat de huit (8) ans. En clair, c’est en 2029 que la génération Bôdjl arrêtera de régner sur le village de N’Gatty.
Mais contre toute attente, une nouvelle crise de chefferie éclate à N’Gatty et plonge le village depuis quelque temps dans de vives tensions. Cette crise sévit au sein de la génération Bôdjl au pouvoir. En effet, les Ebébous c’est-à-dire « les patriarches » et dirigeants traditionnels du village sont divisés. Certains parmi eux sont en colère contre l’actuel chef du village Akpa Sié André et ne veulent plus de lui comme chef. Ils ont annoncé sa destitution, le 3 mars 2024. Le lendemain, 4 mars 2024, le chef de village Akpa Sié André a réagi en convoquant une assemblée villageoise pour s’opposer à son éviction et à la dissolution de sa notabilité. Il a par la même occasion sollicité le soutien des villageois face à la décision de la génération Bôdjl. Des jours plus tard, face aux pressions de ses adversaires, il a dissous, lui-même, mais à son cœur défendant, sa notabilité.
Le chef de village Akpa Sié André s’oppose à sa destitution
En dépit de cela et réagissant du tac au tac, la majorité des membres de la génération Bôdjl a organisé, ce week-end, une rencontre sur la place publique du village pour formaliser l’éviction du chef de village. D’autres membres de la génération Bôdjl, minoritaires ceux-là, veulent le maintien du chef. Cette situation au niveau de la chefferie suscite une forte tension dans le village. Pourquoi les membres de la génération Bôdjl veulent-ils la tête du chef de village qu’ils ont eux-mêmes nommé et installé ?
«Ils accusent le chef de village Akpa Sié André d’avoir reçu de l’argent qu’il aurait partagé en toute discrétion avec ses plus proches collaborateurs sans en informer la génération Bôdjl. Ils lui reprochent également de diriger de façon solitaire, sans les écouter et en agissant selon sa volonté alors que ce sont eux, les patriarches, qui l’ont désigné comme chef du village », nous a confié, sous le couvert de l’anonymat, un ressortissant de N’Gatty bien au fait de la crise.
Qui nous a informé que la nouvelle crise de chefferie au village de N’Gatty a été portée devant Mme le sous-préfet de Dabou, le mardi 5 mars 2024. Pour lui permettre de mieux instruire le problème afin de ramener le calme, Mme le sous-préfet aurait dit ceci aux différents protagonistes : Aux patriarches de la génération Bôdjl, elle aurait demandé d’écrire un courrier dans lequel ils exposeront les raisons qui les ont motivés à réclamer la destitution du chef de village. Au chef Akpa Sié André, elle a dit de poursuivre sa charge en attendant qu’une solution soit trouvée à la nouvelle crise de chefferie à N’Gatty. « Mme le sous-préfet a eu une réaction de sagesse », précise notre interlocuteur.
La mutuelle de développement de N’Gatty supprimée par la génération Bôdjl ?
Selon des habitants du village que nous avons joint au téléphone, en plus de la nouvelle crise liée à la chefferie, la génération Bôdjl serait à la base de plusieurs décisions impopulaires qui ont causé un fort malaise dans la vie du village. Vrai ou faux ? Nous avons en vain tenté d’avoir des membres de la génération Bôdjl qui sont les actuels « patriarches » du village afin qu’ils réagissent à ces accusations. La rédaction du site d’informations indépendant LE MONDE ACTUEL serait ravie d’avoir leur réaction dès qu’ils auront lu notre article.
« Depuis plus d’un trimestre, la génération Bôdjl dont les membres sont les patriarches et dirigeants traditionnels actuels du village ont suspendu leurs aînés, les NIGBESSI (archi-patriarches), de toutes les affaires du village. Ce qui n’a jamais été fait à N’Gatty », soutient un habitant du village. Et d’ajouter relativement à la mutuelle de développement du village : « Les patriarches de la génération Bôdjl ont supprimé, dès leur accession au pouvoir traditionnel en 2021, la mutuelle de développement du village appelé MUDEN qui a été créée par un fils du village, diplomate à la retraite, et actuel secrétaire général de la société PALMAFRIQUE. Il se nomme Ben Low. C’est grâce à lui et aux autres membres de la génération NIGBESSI que le village a connu le développement à travers la construction d’un centre de santé, d’une deuxième école primaire, d’un château d’eau, le renforcement de l’électrification du village jusqu’aux bords de la lagune Ebrié, la construction d’une cantine scolaire permettant aux élèves de se nourrir gratuitement y compris les personnes de 3e âge et cela pendant plus d’une décennie, l’installation des sociétés IBAGIM et PALMAFRIQUE dans notre zone et bien d’autres réalisations. Tous ces acquis sont à mettre à l’actif de la mutuelle sous la présidence de Ben Low. Au plan purement personnel, Ben Low, le président de la mutuelle dissoute sans raison valable, est un homme généreux qui a beaucoup fait pour les populations. il a pris en charge les soins médicaux de plusieurs malades du village, sauvant ainsi de nombreuses vies. C’est quelqu’un qui a le sens de l’humanisme ».
Autres accusations contre les « patriarches » de la génération Bôdjl : La gestion des ressources et les promesses non tenues. « Les membres de la génération Bôdjl devenus aujourd’hui les patriarches avaient promis d’organiser l’élection du président d’un comité de gestion des ressources qu’ils mettraient en place. Mais depuis près de deux ans, ce comité n’a pas encore vu le jour. Tous les domaines et toutes les affaires courantes du village sont gérés par eux seuls. Ils gèrent tous les secteurs d’activités sans partager les revenus avec leurs prédécesseurs, les NIGBESSI. Même le doyen d’âge ne reçoit rien. Ils ne respectent pas le droit d’ânesse », accuse notre interlocuteur. Comme il fallait s’y attendre, cette situation suscite un autre conflit dans le village.
Des voix avisées avaient prévenu …
S’agissant du processus de désignation du chef de village, des voix avisées à N’Gatty avaient prévenu les uns et les autres sur le danger auquel il exposerait le village à long terme. « Les chefs des différentes classes d’âge appelées Milowl, le doyen d’âge, le président de la jeunesse, la responsable des femmes, es propriétaires terriens et les sachants du village avaient prévenu depuis le début que le système de désignation du chef par une seule classe d’âge, celle étant au pouvoir. Ils ont dit cela posera des problèmes et nous éloignera de la cohésion sociale ainsi que de la paix. Mais les dirigeants traditionnels avaient rejeté ces mises en garde. Aujourd’hui, la division du village a atteint même les églises et les familles », poursuit cet habitant de N’Gatty.
Qui précise, afin d’attester que les voix avisées avaient raison, qu’en trois années (de 2021 à 2024), les patriarches et dirigeants traditionnels de la génération Bôdjl ont désigné trois chefs qui se sont succédé à la tête du village. Le premier chef était Meless Joachim ; le deuxième, Akpa Yves ; le troisième est l’actuel chef Akpa Sié André. « Ils s’activent à démettre l’actuel chef de village pour nommer un quatrième chef. Tout cela relève d’une attitude dictatoriale et c’est un jeu dangereux avec la tension et les conflits que ça créé dans le village », soutient notre interlocuteur.
La génération NIGBESSI aux aguets
Pour les ressortissants de N’Gatty avec lesquels nous avons échangé, le climat était moins tendu lorsque la génération NIGBESSI était au pouvoir et que le chef de village issu de ladite génération se nommait Séké Nouh Benson. « Le village n’a pas connu de changements de chefs répétitifs ni de crises répétées », affirme un habitant. Qui visiblement souhaite le retour au pouvoir de l’ancien chef de village Séké Nouh Benson afin que, la paix revienne dans le village, dit-il. Avant de nous apprendre que les patriarches de la génération Bôdjl s’activeraient à demander pardon à leurs aînés de la génération Nigbessi qu’ils ont longtemps exclus dans le partage des ressources du village. La crise liée à la chefferie traditionnelle, quant à elle, demeure vivace et sans solution.
Didier Depry
Légende photo : L’actuel chef du village de N’Gatty, Akpa Sié André. Issu et nommé par la génération Bôdjl, il est contesté par ladite génération qui a décidé de le limoger. Cette situation a plongé le village dans une nouvelle crise.
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