Côte d’Ivoire / Kadet Bertin, ancien ministre :  « Gbagbo a besoin d’un environnement calme et apaisé»

L’ancien ministre de la Défense sous Laurent Gbagbo, Bertin Kadet, enseignant-chercheur et chef du département de Géographie à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) d’Abidjan a obtenu le grade de Professeur titulaire au dernier concours du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES). Dans cet entretien, il revient sur son parcours d’enseignant, son exil au Ghana après la crise post-électorale de 2010-2011. Il parle également  du soutien dont il a bénéficié de la part  au président Laurent Gbagbo, historien et chercheur de formation, dans la préparation dudit concours.  Par ailleurs, Bertin Kadet adresse un message à la jeunesse ivoirienne et aux populations de Mama, son village natal, dans le département de Gagnoa

 

A qui dédiez-vous votre réussite au concours du CAMES qui fait désormais de vous un Professeur titulaire d’Université ?

 

Bertin Kadet : Tout d’abord, je dédie ce succès à mon épouse qui a abandonné son travail à la Fonction publique pour me suivre en exil au Ghana  avec nos enfants. Même lorsque j’ai décidé de rentrer en Côte d’Ivoire en juin 2016, elle est restée à  Accra. Le temps que les enfants terminent leur cycle d’études. Je voudrais rappeler qu’en avril 2011, j’avais mon bras gauche scellé dans une sangle à cause de mon humérus brisé  à la suite d’un accident de la circulation.  Durant cette période caractérisée par la violence des armes en Côte d’Ivoire, nous, cadres du régime d’alors, avons connu des fortunes diverses que je ne veux pas raconter ici. Je dédie aussi mon succès à mes enfants ainsi qu’à toute la jeunesse ivoirienne en quête de perspectives pour un meilleur lendemain.

 

 

Pour les novices, qu’est-ce qu’un professeur titulaire ?

 

Pour faire simple, disons qu’un Professeur titulaire est un enseignant-chercheur qui a atteint le dernier grade dans la hiérarchie des grades universitaires comportant  plusieurs  catégories (Maître Assistant,  Maître de Conférences,  Professeur Titulaire). Pour être inscrit dans les différentes aptitudes, le postulant doit se soumettre aux évaluations du CAMES, un organisme interafricain de régulation de l’enseignement supérieur et d’évaluation des enseignants-chercheurs de 16 États francophones. Le Professeur Titulaire a une grande responsabilité en matière de formation et d’encadrement  de doctorants, d’étudiants en Master et de jeunes enseignants-chercheurs, tout en veillant au développement de la discipline dont il relève.

 

 

Vous avez été ministre, pourquoi avez-vous tenu à être professeur titulaire d’Université ?

 

En réalité,  il n’y a pas de contradiction entre le métier d’enseignant et la fonction de ministre, qui est une fonction politique.  Il est vrai, j’ai été à l’école pour apprendre un métier et l’exercer. Cependant, la fonction de ministre qui est une fonction politique, est complémentaire du métier d’enseignant. Le rôle de la politique consiste à se mettre au service des autres en recherchant le bien-être de ses concitoyens. C’est exactement la  mission de l’enseignant qui dispense un savoir et une éducation à un public. Il se trouve que dans l’enseignement, il y a plusieurs couloirs comportant  des paliers. Le couloir que j’ai emprunté dans le métier d’enseignant comprend l’enseignement primaire,  l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. J’ai débuté le métier dans le secondaire en qualité de professeur licencié d’histoire-géographie, avant d’être professeur certifié puis professeur agrégé de géographie. C’est lorsque j’ai passé le diplôme de doctorat de géographie que j’ai été recruté comme assistant à l’Ecole Normale Supérieure d’Abidjan (ENS). Arrivé à ce niveau, je me rends compte que mon travail n’est pas fini et qu’il y a d’autres étapes à franchir pour me permettre d’améliorer mes performances d’enseignant. C’est donc le cheminement normal que j’ai suivi dans ce métier.

 

 

Quels conseils aux étudiants qui voudraient faire comme vous ?

 

Dans les classes que je tiens à l’ENS notamment celles des futurs professeurs de collège, les Master professionnels pour les futurs professeurs de lycée ou pour les inspecteurs du secondaire, j’ai toujours eu une profonde admiration pour les étudiants qui, étant fonctionnaires, réussissent le concours très sélectif d’entrée dans notre institution pour se former à un niveau supérieur. Je les encourage à persévérer dans l’effort de travail. Cependant,  je veux surtout m’adresser à la jeunesse ivoirienne qui n’a plus de repère et qui semble totalement perdue ces deux dernières décennies, depuis que la logique des armes à introduit de nouveaux paradigmes de réussite dans la société ivoirienne. Je veux leur dire que les souffrances de l’exil  que nous avons connues durant plusieurs années, les spoliations de nos biens,  les emprisonnements et les multiples brimades dont beaucoup portent encore les stigmates ne doivent pas être un frein à la réalisation de nos ambitions. Ces souffrances peuvent assurément retarder l’accomplissement d’un projet essentiel à un bonheur espéré mais, elles n’auront jamais la capacité de bloquer un processus.  Notre jeunesse doit donc se donner la force morale pour continuer d’avancer dans la vie. C’est le principal message que j’adresse à la jeunesse de ce pays, à travers mon nouveau grade de CAMES. Car être professeur titulaire alors que je me prépare à aller à la retraite dans quelques temps, c’est certes un honneur personnel mais, c’est surtout un chemin que je souhaite voir emprunter par les jeunes de ce pays pour mieux négocier leur futur et celui de ce pays.

 

Comment l’ancien chef de l’Etat Laurent Gbagbo a-t-il accueilli votre succès au concours du CAMES ?

 

Je lui ai dit que je présentais mon dernier CAMES. Il m’a encadré et encouragé. Je l’ai aussitôt informé lorsque les résultats ont été publiés la semaine dernière. Il était naturellement heureux et fier de moi. C’est d’ailleurs la voie des études qu’il nous a toujours conseillée, nous qui avons pilé du riz de nos mamans et qui avons étudié à la lumière des bougies et des lampes tempêtes au village.

 

 

Quel message à vos parents du village de Mama?

 

Un message de paix et de tolérance à l’égard des uns et des autres, un message de réconciliation autour du président Laurent Gbagbo. Cet homme qui a beaucoup souffert a besoin d’un environnement calme et apaisé. C’est d’abord à nous les enfants de Mama d’arrêter les bruits pour construire cet environnement.

 

Interview réalisée

par Doumbia Namory

 

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