Côte d’Ivoire : Les colères de Banny contre Ouattara, Gbagbo et Bédié   

Charles Konan Banny, l’une des personnalités les plus en vue du microcosme politique ivoirienne, des vingt dernières années, qui ne laissait personne indifférent, en bien ou en mal (c’est selon), s’en est allé définitivement pour le voyage sans retour, le vendredi 10 septembre 2021, mort dans un hôpital de Paris (France) où il était interné. M. Banny a succombé à des complications pulmonaires et respiratoires liées à la pandémie de la covid-19. Il sera inhumé, le samedi 1er Août 2022, au caveau de sa famille à Yamoussoukro, capitale politique de Côte d’Ivoire. Ses obsèques ont démarré le samedi 23 juillet dernier à Abidjan et se poursuivront à Yamoussoukro, son village. Qui est aussi celui du premier chef de l’Etat de Côte d’Ivoire, feu Félix Houphouët-Boigny, dont il était très proche dans une considération  quasi-filiale.

 

Ancien gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), Charles Konan Banny est devenu Premier ministre de Côte d’Ivoire de 2005 à 2007 sous le régime du chef de l’Etat d’alors Laurent Gbagbo qui était confronté à une rébellion armée. Après le conflit post-électoral sanglant de 2010-2011 qui a opposé Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara, Charles Konan Banny a été nommé président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) par Alassane Ouattara en 2011 pour apaiser les cœurs et réconcilier les Ivoiriens. Le moins qu’on puisse dire, c’est que M. Banny n’a pas réussi sa mission qui a pris fin en 2014 dans une sorte de confusion.

 

Quelles sont les raisons de cet échec ?  Pourquoi le passage de Charles Konan Banny à la Primature ne fut pas non plus un succès avéré ? Pourquoi au sein du PDCI-RDA, son parti politique, Banny apparaissait-il comme un personnage clivant pour certains ?  Quel était la réalité de ses relations avec Ouattara, Gbagbo et Bédié et que pensait-il de chacun d’eux ? Autant de questions auxquelles nous avons tenté de répondre en écoutant ses anciens collaborateurs à la Primature et la CDVR. Tous ont requis l’anonymat mais se sont confiés à nous en toute vérité.

Loin de nous, l’intention de salir la mémoire de cet illustre fils de la Côte d’Ivoire mais au moment où des propos dithyrambiques seront proférés par de nombreuses personnes sur son action politique et sa vision, il serait impérieux de ne pas occulter la vérité.

 

Personnage de principes mais au commerce pas toujours aisé, disent ses anciens collaborateurs, Charles Konan Banny était très ambitieux et rêvait de diriger la Côte d’Ivoire. Il ne s’en cachait pas et le faisait savoir depuis qu’il était Premier ministre sous Laurent Gbagbo. Evidemment, l’ambition présidentielle de Charles Konan Banny ne plaisait pas à Laurent Gbagbo qui n’ignorait pas cela. Mais cette ambition horripilait également Henri Konan Bédié, ancien chef de l’Etat et surtout président du PDCI-RDA, le parti créé par Houphouët-Boigny.

 

Originaire de Yamoussoukro comme Houphouët-Boigny, Charles Konan Banny se considérait, à tort ou à raison,  comme le « vrai » héritier politique d’Houphouët. « Celui qui ne cassera pas le canari de bandji » que le président Houphouët a confié à la postérité. Ce fameux « canari de bandji », c’est la Côte d’Ivoire. L’ancien ministre et avocat Jean Konan Banny (défunt frère aîné de Charles) s’était ouvertement opposé en 2000 à toute candidature d’Henri Konan Bédié à l’élection présidentielle au titre du PDCI-RDA après le coup d’Etat militaire de décembre 1999 qui avait mis fin à plusieurs décennies de pouvoir PDCI-RDA. Pour Jean Konan Banny, Bédié en était responsable. Jean Konan Banny voyait en filigrane le flambeau qui devrait être remis à son cadet Charles Konan Banny. Les rapports entre Bédié et Charles Konan Banny n’ont jamais été les plus roses même après la mort de Jean Konan Banny. Ils demeuraient tout simplement cordiaux, affirment les anciens collaborateurs de  Charles Koann Banny. Qui précisent que l’ancien Premier ministre et ex-président de la CDVR n’appréciait pas la gouvernance de Bédié à la tête du PDCI-RDA. Le point culminant ayant été l’appel de Daoukro lancé unilatéralement en 2014 par Henri Konan Bédié pour voter en faveur d’Alassane Ouattara en 2015. Charles Konan Banny n’a pas approuvé cette option et en a voulu longtemps à Bédié pour cela. Puisqu’il estimait qu’il pouvait être le candidat du PDCI-RDA à affronter Alassane Ouattara aux urnes en octobre 2015. Il a perçu l’appel de Daoukro comme un croc-en-jambe que Bédié lui a fait.

 

Même si elles étaient amicales et chaleureuses à la BCEAO dont ils furent tous deux les gouverneurs, les relations de Charles Konan Banny avec Alassane Ouattara sont devenues exécrables à partir de 2011. Nommé président de la CDVR par Alassane Ouattara, Banny n’a pas obtenu le soutien franc qu’il espérait de la part de son « ami » et chef de l’Etat. Pour ses anciens collaborateurs, Banny était convaincu qu’Alassane Ouattara mettait tout en œuvre pour que la CDVR fasse un flop. Pour Banny, Ouattara a totalement ignoré les recommandations de la CDVR dans la conduite du processus de réconciliation nationale. Les ambitions présidentielles de Banny auraient-elles contrarié Alassane Ouattara ? « Oui, le président Banny le pensait sincèrement. Il pensait que le président Ouattara le considérait comme un adversaire politique à combattre », soutient un ancien collaborateur du défunt ex-président de la CDVR.

 

Même son de cloche pour ses rapports avec Laurent Gbagbo. Charles Konan Banny qui avait une estime modérée pour l’ancien fondateur du Front populaire ivoirien (FPI), le parti d’opposition qui avait donné des insomnies à Félix Houphouët-Boigny,  en voulait terriblement à Gbagbo pour l’avoir « humilié » en 2007 lorsqu’il était Premier ministre. Cette « humiliation », c’était son limogeage et la nomination de Guillaume Soro au poste de Premier ministre. « Même si le président Banny comprenait l’intérêt de l’initiative, le président Gbagbo n’y avait pas mis la manière et le président Banny lui en voulait pour cela », précise cet autre ancien collaborateur de Banny. Ces faces cachées des relations de feu Charles Konan Banny avec Ouattara, Gbagbo et Bédié méritaient d’être sues au moment où les lampions vont bientôt totalement s’éteindre pour l’ancien Premier ministre et ex-président de la CDVR.

 

Didier Depry

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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