Laurent Gbagbo pourra-t-il vaincre ce qui s’apparente visiblement dans l’univers politique ivoirien à un signe indien ? A savoir, revenir au pouvoir après l’avoir perdu. Renversé par un coup d’Etat militaire en décembre 1999, Henri Konan Bédié s’était efforcé, corps et âme, pour revenir au palais présidentiel d’Abidjan-Plateau mais en vain. Pendant 24 ans, il a entrepris toutes les initiatives y compris une alliance avec son « frère ennemi houphouétiste », Alassane Ouattara, afin de retrouver le fauteuil présidentiel, sans succès. Il est décédé, le 1er août 2023, de longue maladie, sans avoir réalisé son rêve.
Avant Bédié, son « tombeur », le général Robert Guéi, candidat vaincu à l’élection présidentielle d’octobre 2000 face à Gbagbo, caressait l’ardent désir de revenir au pouvoir. Ayant fondé un parti politique, l’UDPCI, il s’était donné des armes politiques pour mener son combat en vue d’un retour au pouvoir. Malheureusement, les choses se sont déroulées autrement. Il est mort brutalement en septembre 2002 lors du coup d’Etat mué en rébellion armée contre le régime Gbagbo. Laurent Gbagbo réussira-t-il là où Henri Konan Bédié et Robert Guéi ont échoué ? Chaque personne a son destin, pourrait-on affirmer. Mais une analyse du contexte actuel dans lequel s’inscrit l’ambition présidentielle de l’opposant Laurent Gbagbo, qui sera âgé de 80 ans en 2025, nous permet d’identifier deux grands défis auxquels il sera confronté.
L’ambition de Gbagbo et son contexte
L’ancien président de la République de Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, acquitté par la Cour pénale internationale (CPI), est rentré en Côte d’Ivoire, le 17 juin 2021, après une entente qu’il aurait conclue avec son successeur, le président Alassane Ouattara, via la médiation de feu le Premier ministre Hamed Bakayoko, avons-nous appris de sources proches du dossier. Revenu à Abidjan, il abandonne son parti historique, le FPI, et fonde une nouvelle formation politique, le PPA-CI.
Alors que des observateurs étrangers et de nombreux Ivoiriens, qui souhaitent que les trois « grands » (ils sont désormais deux) passent la main à la nouvelle génération, espéraient voir Gbagbo prendre sa retraire politique, le nouveau président du PPA-CI annonce ses ambitions pour l’élection présidentielle d’octobre 2025. Joignant l’acte à la parole, Laurent Gbagbo a été investi, le vendredi 10 mai 2024, comme candidat de son parti, le PPA-CI, lors d’une convention organisée en grandes pompes au Sofitel Hôtel Ivoire d’Abidjan-Cocody.
A cette occasion, Laurent Gbagbo a décoché, sans les citer, des flèches contre ses probables futurs sérieux adversaires de 2025. Il s’agit d’Alassane Ouattara du RHDP et de Tidjane Thiam du PDCI-RDA. « Les gens croient que gérer un pays est une affaire d’économiste. La politique économique d’un pays, c’est la politique d’abord. (…)Si des gens disent encore nous avons quelqu’un qui a travaillé dans les banques, dites-leur qu’on ne cherche pas un banquier mais on cherche un homme politique pour diriger la Côte d’Ivoire. Dites-leur ça », a-t-il affirmé. Une allusion voilée à l’actuel président de la République, Alassane Ouattara, qui fut directeur général adjoint du Fonds monétaire international (FMI) et au nouveau président du PDCI-RDA, Tidjane Thiam , qui a dirigé le Crédit Suisse.
Manifestations de protestation au plan national et lobbying à l’international pour « sauver Gbagbo »
Désigné par son parti pour le représenter à l’élection présidentielle de 2025, Laurent Gbagbo est loin d’être sorti de l’ornière. Il fera face à deux gros problèmes avant de ravir le fauteuil présidentiel à son grand adversaire Alassane Ouattara. Le premier obstacle à franchir pour Gbagbo, c’est son éligibilité à l’élection présidentielle de 2025. Condamné par contumace à 20 ans de prison, le 18 janvier 2018, dans l’affaire dite du casse de la BCEAO, M. Gbagbo ne jouit plus de ses droits civiques. Si le président Ouattara a octroyé la grâce présidentielle à son successeur afin de l’empêcher d’être emprisonné, l’ancien président Laurent Gbagbo qui n’a toujours pas bénéficié une amnistie n’est ni électeur ni éligible à une élection en Côte d’Ivoire. C’est à ce titre qu’il n’a pas pris part au vote lors des élections régionales et municipales de 2023.
Au niveau du RHDP, la majorité parlementaire, « il n’est pas question de voter une loi d’amnistie pour sauver Gbagbo », nous a confié catégorique un responsable politique du parti au pouvoir, sous le couvert de l’anonymat. Même l’argument de la réconciliation nationale ne semble pas émouvoir, pour le moment, le parti au pouvoir. Laurent Gbagbo et le PPA-CI ont donc un sérieux pain sur la planche. Comment Gbagbo s’arrangera-t-il pour voir son nom inscrit sur la liste électorale en 2025 ?
Des sources proches du PPA-CI, avec lesquelles nous avons échangé, ont évoqué des manifestations de protestation au plan national et le lobbying à l’international pour atteindre l’objectif de voir les nom et prénom de Laurent Gbagbo revenir sur la liste électorale. La récente visite en Europe du président exécutif du PPA-CI, l’ancien ministre Sébastien Dano Djédjé, obéissait, nous dit-on, à cette initiative. Même de cloche pour la manifestation de protestation organisée à Paris (France), il y a quelques semaines, par les militants du PPA-CI et partisans de Gbagbo.
Les élections régionales et municipales de 2023, un test révélateur
Autre défi auquel fera face Laurent Gbagbo pour espérer revenir au pouvoir : C’est se réconcilier véritablement avec les Ivoiriens et s’entourer de personnes charismatiques capables de s’imposer dans les régions de Côte d’Ivoire. D’autant que les récentes élections régionales et municipales de 2023 qui sont apparues comme un test important en vue de 2025 ont clairement démontré le poids faible du PPA-CI et des partisans actuels de Gbagbo sur l’échiquier ivoirien. Le parti de Gbagbo arrive en troisième position après le RHDP d’Alassane Ouattara et le PDCI-RDA.de Tidjane Thiam. Pour remporter une élection, il faut être le premier. Gbagbo a donc plus d’une année pour espérer être premier en 2025 si sa candidature est acceptée.
Contrairement à ses deux principaux adversaires qui ont gardé la quasi-totalité de leurs hommes et femmes de poids, Laurent Gbagbo part, cette fois-ci, en « guerre » fortement diminué. En plus d’avoir abandonné le FPI, son appareil politique expérimenté et rodé qui lui avait fait gagner la présidentielle de 2000, il a perdu des leaders et collaborateurs charismatiques qui ont été déterminants dans sa cohésion avec la population ivoirienne de 2000 à 2010. Ce sont Simone Ehivet Gbagbo, Charles Blé Goudé, Pascal Affi N’Guessan et Mamadou Koulibaly. Sans oublier les décès d’Aboudrahame Sangaré, Marcel Gossio, Bohoun Bouabré, Désiré Tagro, professeur Abouo N’Dori Pour ne citer que ceux-là. Le divorce conjugal puis politique entre Laurent et Simone Gbagbo a aussi laissé des traces indélébiles dans l’opinion publique nationale qui ne plaide pas en faveur du président-candidat du PPA-CI.
Tout comme la division profonde au sein du PPA-CI, avons-nous appris, entre les anciens compagnons de lutte de Gbagbo issus du FPI et les nouveaux hommes et femmes de Gbagbo, tous proches de sa compagne Nadiani Bamba dite Nady Bamba. C’est donc un Laurent Gbagbo de 80 ans, « nu » au plan de la force politique, qui voudra revenir au pouvoir en 2025.Le pourra-t-il ? Des raisons évoquées ci-haut inclinent à être circonspect et sceptique à ce sujet.
Une analyse de Didier Depry
Légende photo : L’ancien chef d’Etat, Laurent Gbagbo, président du PPA-CI, a été désigné candidat de son parti pour l’élection présidentielle de 2025. Il a reçu, le vendredi 10 mai 2024, lors de la convention d’investiture, une clé symbolique pour « ouvrir les portes des régions de Côte d’Ivoire ».
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