Exclusif /  Depuis l’exil  Ismaël Sacko, président du PSDA :  « La junte militaire au Mali a la boulimie du pouvoir et de l’argent »

Dans cette seconde partie de l’interview exclusive que nous a accordé le président du parti social-démocrate africain (PSDA), Ismaël Sacko, ancien Conseiller spécial de feu le président élu Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) puis de l’éphémère président de la Transition, Bah N’Daw,  il parle de l’insécurité au Mali et de l’incapacité  du régime de Transition d’y faire face.

Il dénonce la propension à la pensée unique qui règne à Bamako  et le musellement auquel est soumis le peuple malien sous le gouvernement de Transition.  Traqué par le régime de transition au Mali dirigé par le colonel Assimi Goita et contraint à l’exil, Ismaël Sacko  se dit déterminé à poursuivre le combat pour la démocratie et l’Etat de droit dans son pays.

Quel regard portez-vous sur la gestion de la Transition dans votre pays, le Mali ?

Ismaël Sacko : La gestion de la Transition est un tableau sombre et lugubre. Dans la case sécurité, nous avons un pays qui est pris en étau où toutes les zones, du Nord au Sud, sont aujourd’hui assiégées par les terroristes. L’insécurité s’est métastasée.

Mais nos forces de défense et de sécurité font un travail remarquable avec les équipements militaires achetés, il faut le reconnaître, et mis à leur disposition. Cela est à mettre à l’actif de cette Transition. L’arbre ne doit pas cacher la forêt, c’est évident. Malgré tous ces moyens militaires, les terroristes arrivent à mettre à mal nos populations,  à les terroriser et en tuer (paix à leurs âmes), prompt rétablissement aux blessés.  Je m’incline devant tous les morts au Mali, civils et militaires, pour la paix et la stabilité de notre pays.

  Effectivement, les équipements militaires sont achetés mais à quels coûts ? Paix à son âme, Soumeylou Boubèye Maiga est mort en prison pour une suspicion et une accusation à propos d’achat d’équipements militaires parce que les prix étaient connus.

Eux, ils ont acheté les équipements militaires pendant une Transition dirigée par une junte militaire. Une junte qui a la boulimie du pouvoir et de l’argent. Ils n’arrivent pas à nous dire le montant de ces équipements militaires.

C’est une zone d’ombre dans la gestion de la Transition. Ensuite sur le plan économique, nous sommes en récession. Le peuple souffre de la faim, les denrées de première nécessité connaissent une flambée des prix  et nous abordons le temps béni du Ramadan dans un contexte de chaleur intense avec les coupures d’électricité qui deviennent récurrentes. Et la difficulté pour les Maliens de pouvoir se nourrir correctement.

A côté de cela, nous avons des colonels qui se pavanent  et qui prennent des armes pour menacer. Qui se font passer pour les plus forts de l’Afrique alors que les plus forts sont ceux qui nourrissent leurs peuples et assurent leur sécurité.

Nous avons vu un Premier ministre, pendant cette Transition, qui n’a pas pu aller dans sa propre localité, à Songo. Une semaine après qu’il ait quitté Gao, il n’a pas pu se rendre  à Songo pour des raisons d’insécurité, pendant qu’il a affirmé devant tout le peuple malien qu’aucun mètre carré du territoire malien ne pouvait rester aux mains des terroristes.

Lui-même n’a pas pu aller chez lui à Songo. Son village a été incendié et les greniers brûlés par les terroristes. C’est cela le quotidien des Maliens .Au niveau de l’éducation, nous avons des centaines d’écoles qui sont fermées. Les enfants ne sont plus alphabétisés, les jeunes  ne vont plus à l’école. Chacun avec son téléphone devient un activiste sur les réseaux sociaux.  Ils ont compris le jeu de la Transition qui a fait des Maliens,  des mercenaires activistes des réseaux sociaux.

Tant que tu as un téléphone que tu dénigres des gens comme moi et que tu soutiens la Transition aveuglement, que tu tiens des discours populistes en sa faveur, tu es bien reçu et tu reçois de l’argent. Les jeunes gens ont compris que ça ne sert à rien d’aller à l’école et d’avoir de grands diplômes afin de travailler correctement. Il faut simplement applaudir cette bande de cinq colonels  qui a perdu le goût de l’effort et sacrifie les jeunes militaires qui ont encore besoin de formation mais qui se battent au front.

Nous saluons la grande muette pour le travail qu’elle accomplit. Mais ces cinq colonels devraient faire mieux, ils peuvent faire mieux. Nous dénonçons une gestion clanique basée sur le népotisme, une gestion sans vision où les objectifs ne sont pas atteints. Et chaque fois qu’ils échouent dans un domaine, ils trouvent une faille diplomatique quelque part chez un pays voisin, soufflent sur la braise. Une sorte d’échappatoire pour eux.

Au plan sécuritaire, la situation s’est-elle véritablement améliorée au Mali comme l’affirment  les autorités de la Transition depuis le départ de l’armée française et la présence de la société militaire russe Wagner ?

On ne peut pas parler d’amélioration. Il faut reconnaître que l’armée malienne tente de récupérer les positions laissées par la force française Barkhane mais malheureusement on n’y arrive pas. On n’arrive pas à faire face à l’épineuse question de la présence du JNIM et de l’Etat islamique qui combattent nos positions et attaquent aussi les populations civiles ainsi que les groupes armés. Donc ce vide laissé dans ces localités permet aux terroristes de recruter les jeunes maliens qui grossissent leurs rangs. Ces jeunes sont facilement enrôlés du fait de l’absence des services sociaux de base.

L’absence de perspectives et d’emplois pour ces jeunes les poussent à faire le choix des groupes terroristes qui les incitent à attaquer leur propre pays. Souvent la mauvaise distribution de la Justice en faveur des populations locales constitue un facteur.

Ce sont ces éléments qui font que nous avons des jeunes qui quittent l’Etat de droit pour aller ailleurs. Parce que l’Etat de droit manque. C’est pourquoi mon combat est la lutte pour la restauration de l’Etat de droit au Mali. Wagner qui regroupe des mercenaires russes est présent au Mali.

Des Maliens, au Nord et au Sud, ont reconnu avoir vu des soldats blancs parlant une langue autre que le français. Ça ne peut être que Wagner. Ces soldats Wagner commettent des exactions. Je tiens ces propos des témoignages des populations qui sont au Nord et au Sud du Mali. A mon sens, la présence de Wagner n’a pas aidé notre armée à se réconcilier avec nos populations parce que Wagner  s’attaque aussi à nos populations et les pille.   

La présence de Wagner n’a fait qu’empirer la situation, elle ne l’a pas améliorée. J’ai espoir que notre armée que je voudrais bien républicaine finira, en rapport avec les forces de défense et de sécurité des pays voisins , du G.5 Sahel et celles des pays riverains côtiers, d’avoir une stratégie militaire locale adaptée à nos besoins et faire face  aux terroristes.

Les équipements militaires s’accompagnent aussi de l’appui et de la complicité  de la population pour plus d’efficacité. C’est tout cela qui permettra au Mali en collaboration avec les pays voisins de réussir le combat de la lutte contre le terrorisme. Et j’ai espoir que cela se fera. Voilà pourquoi j’en appelle de tous mes vœux à un Etat démocratique où le peuple choisira ses dirigeants.  J’appelle les autorités de la Transition au respect de leurs propres engagements pris au Mali devant les Maliens et la communauté internationale.

La dissolution inéluctable de votre parti politique vous contraint ainsi avec vos militants à la clandestinité. Que comptez-vous faire face à cette situation ?

Ce n’est pas la dissolution du parti qui m’a contraint à l’exil. Pas du tout. J’ai quitté le Mali parce que j’étais recherché pour mes opinions, à cause des divergences d’opinions avec les tenants de la Transition. J’ai refusé de rester dans la pensée unique qui ne doit pas guider, à mon sens, l’action publique du Mali. La démocratie, la liberté d’expression, le respect de l’Etat de droit sont  pour nous un package qui ne doit pas être négocié.

La démocratie au Mali a été acquise par le sang des martyres, nous y avons tous contribué.  Nous avons une Constitution qui mérite être révisée. Elle doit l’être en tenant compte de son contenu. L’article 118 stipule que quand le pays  est dans la situation dans laquelle il est se trouve actuellement  où on n’a pas le contrôle de l’entièreté du territoire, on  ne doit pas engager le processus de révision. Donc on ne peut pas engager un processus de nouvelle Constitution et l’ancienne Constitution est toujours en vigueur. Et cette nouvelle Constitution à venir divise déjà le Mali, elle ne fait pas l’unanimité.

Les armes, les bottes ont pignon sur rue au Mali ; on terrorise, on affame. Les gens sont occupés à autre chose et pas à l’essentiel, ils gouvernent dans le désordre. Alors qu’ailleurs, on travaille. Le Sénégal s’active pour son tramway et œuvre pour que le pays soit émergent, le président de la Cote d’Ivoire  fait un travail remarquable dans son pays. Pendant ce temps, le Mali souffre. Mais j’ai de l’espoir  que dans un ensemble sous-régional, le Mali s’en sortira.

Un ensemble où les expertises des uns comblent les lacunes des autres. C’est ainsi que je vois les ensembles sous-régionaux et l’unité africaine. Je suis à l’étranger aujourd’hui mais je suis ce qui se passe au Mali de près. Le terrorisme ne sera vaincu que si nous avons une unité d’actions et une dynamique locale annexée à une dynamique sous-régionale et régionale. L’occident ne pourrait être qu’un partenaire qui pourrait venir en appui. Dans le respect de nos besoins. Mais c’est nous qui devons avoir le leadership, c’est nous qui devons être en avant. Nous devons implémenter nos propres solutions.

Nous n’avons pas les mains souillées du sang des Maliens. Pourquoi donc tout ça contre notre parti, le PSDA et Ismaël Sacko qui n’a qu’une plume et son verbe ?  Nous demandons aux cinq colonels d’avoir pitié du Mali et de laisser le pays en de bonnes mains  en organisant des élections avant de partir.  Nous travaillerons  à réconcilier le Mali avec la sous-région, avec nos pays frères et nos pays amis. Nous ferons en sorte que le Mali revienne dans le concert des nations dans le respect de la diplomatie.

Jusqu’ici les actes ne parlent pas en faveur de la Transition au Mali   ils ont fait un plan de riposte quand le pays était soumis aux sanctions économiques de la  CEDEAO, le plan n’a pas fonctionné.  Ils sont allés supplier pour que les sanctions soient levées, les sanctions ont été levées. Ils ont fait un plan de relance économique, ça n’a pas marché parce qu’ils ne savent pas le faire. Ce qu’ils savent faire, c’est  la provocation, bomber le torse. 

Ils ne veulent pas que les Maliens dénoncent leur forfaiture, ils veulent les museler. C’est la caporalisation des  Maliens. J’ai bon espoir que leur nouvelle Constitution ne passera pas. On fera échec à cela. On demande une société démocratique. Comment vont-ils faire le référendum s’ils bâillonnent les gens ? Comment vont-ils faire des élections si les gens  ne peuvent pas faire leur choix ? Ils sont dans la contradiction perpétuelle. Ils disent ce qu’ils ne font jamais et font ce qu’ils ne disent jamais. Il n’y a plus de confiance entre la junte militaire au pouvoir et les Maliens. Les Maliens ont peur et pourtant beaucoup ont faim, ils tendent la main mais ils se taisent.

Interview réalisée par  Didier Depry

       

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