Financement de la campagne électorale de Jacques Chirac en 2001 – Le CACI condamne l’acte de Laurent Gbagbo et interpelle les dirigeants africains

Dans un livre sorti en 2021 et lors d’une récente interview télévisée en 2024, l’ancien chef de l’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo, a avoué avoir remis la bagatelle somme de 2 milliards de Fcfa (plus de 3 millions d’Euros) au défunt président français, Jacques Chirac, lorsque celui-ci était candidat à l’élection présidentielle de 2001 face au Premier ministre, de l’époque, Lionel Jospin.

M. Gbagbo avait-il aussi remis de l’argent à son camarade socialiste candidat d’alors Lionel Jospin ? On n’en saura rien puisque l’ancien président Laurent Gbagbo n’a jamais évoqué ce sujet. Il faut cependant noter que Chirac avait battu Jospin à ces présidentielles françaises de 2001.

Dans la tribune ci-dessous, le secrétaire exécutif du Comité d’Actions pour la Côte d’Ivoire (CACI), basé aux Etats-Unis d’Amérique, Dr Eric Edi, condamne l’acte posé par Laurent Gbagbo en faveur de Jacques Chirac et interpelle les dirigeants africains sur le détournement des fonds publics de leurs pays au profit des dirigeants européens, notamment français.

Didier Depry

 

Tribune  du Secrétariat Exécutif du CACI relatif au financement de la campagne de Chirac par Gbagbo

 

Dans une interview qu’il a accordée à Alain Foka de AFO Media, le Président Laurent Gbagbo a confirmé avec un rire narquois qu’il avait bel et bien remis, par le biais de Robert Bourgi, deux milliards de Fcfa au Président français Jacques Chirac pour soutenir la campagne de ce dernier à l’élection présidentielle en France. Cette information, le Président Gbagbo Laurent l’avait déjà donnée dans le livre qu’il a publié avec François Mattei en 2021. Mais cette fois-ci, l’information, parce qu’elle a été plus médiatisée, a ouvert la voie à des interprétations diverses et des débats superficiels. Il ne s’agit pas de savoir si Laurent Gbagbo a fait preuve d’un leadership radical, panafricain et anti-françafricain. Bien au contraire, le Comité d’Actions pour la Côte d’Ivoire (CACI-USA) invite la classe politique et sociale ivoirienne à une réflexion plus profonde sur les points suivants :

Premièrement, le CACI note que c’est la première fois ou l’une des rares fois qu’un chef d’état ivoirien avoue à la face de la nation que des valises d’argent (ici deux milliards de francs CFA) ont quitté Abidjan pour Paris. Il faudrait dire merci au Président Laurent Gbagbo, parce qu’il apporte une preuve tangible à ce que les Ivoiriens et Ivoiriennes savent déjà. Cependant au-delà de lui, il est bon de se demander si les régimes qui ont géré la Côte d’Ivoire avant et après lui, ont fait la même chose. Qu’est-ce qui se passe avec le régime d’Alassane Ouattara au pouvoir ? Que s’est-il passé avec le régime de feu Henri Konan Bédié entre 1993 à 1999 ? Combien de nos ressources financières sont sortis pour des causes pareilles ? Le silence des deux autres régimes cités plus haut ne signifie pas qu’ils n’ont jamais versé dans la pratique, surtout quand on sait les relations qui ont existé ou qui existent entre les dirigeants de ces régimes et l’élite politique européenne.

Deuxièmement, il est bon de demander l’origine des milliards en question. Où est-ce que le Président Laurent Gbagbo a pris l’argent pour le donner à M. Jacques Chirac ? A-t-il utilisé ses avoirs personnels, son salaire ? Combien de fois cela s’est-il fait ? Qui d’autre, en Afrique ou en Europe, a bénéficié de cette pratique sur le dos des contribuables ivoiriens ? Pour un homme reconnu pour son indigence et qui se soucie peu de l’opulence, le Président Laurent Gbagbo a certainement utilisé le budget de souveraineté que lui donnait l’État de Côte d’Ivoire pour satisfaire la demande de Jacques Chirac. Si c’est le cas, considérant que les budgets de souveraineté et/ou les caisses noires proviennent du Trésor public pour servir le peuple, l’acte du Président Gbagbo est davantage condamnable. En quoi cette largesse envers Chirac a servi les attentes du peuple ivoirien ?

En dehors de la Côte d’Ivoire, quels sont les pays dont les leaders s’adonnent à ces pratiques aux moments des élections présidentielles en France ? En 2011, avant l’assassinat de Mohammad Kadhafi par des forces soutenus par l’OTAN, son fils Said Islam clamait que son père avait lui aussi remis des valises d’argent à Nicolas Sarkozy pour soutenir sa campagne à l’élection présidentielle de 2007 en France. Maintenant que ces déclarations sont connues, la justice française ne devrait-elle pas ouvrir des enquêtes sur les financements des élections en France ? Ne devrait-elle pas ouvrir une enquête sur Robert Bourgi pour transfert illicite de fonds ?

Troisièmement, au vu de ce qui précède, il n’est pas utile d’ergoter sur la situation socioéconomique et politique du pays pour comprendre la gravité de l’acte dont a parlé Laurent Gbagbo dans son interview. Que ce soit au moment où le pays connaissait une inflation, une instabilité ou une stabilité politique, que ce soit avant ou après le point d’achèvement de l’Initiative des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE), il n’appartient à aucun chef d’état et à aucun moment d’utiliser l’argent du pays pour soutenir la campagne présidentielle d’un individu, de surcroit un chef d’Etat français, lui-même, impliqué dans la crise ivoirienne depuis 2022.

C’est pour ces raisons que, quatrièmement, ce qui devrait plutôt préoccuper les Ivoiriens et Ivoiriennes, c’est la kleptocratie qui, sous multiples formes, privent les pays africains d’importantes ressources pour financer le développement social. En 2015, le Rapport Mbeki, commissionné par l’Union Africaine, trouvait déjà que l’Afrique perdait en moyenne 50 milliards de dollars américains par an à cause du vol ou l’extraction de deniers publics et leur transfert dans des pays étrangers par des moyens eux-mêmes illicites. Les kleptocrates, qui sont dans la grande majorité des élites politiques élues ou nommées par ceux et celles qui sont élus pour gérer les administrations, utilisent dans nos pays des réseaux souterrains et illicites pour faire fuir des capitaux tantôt vers des paradis fiscaux, tantôt vers les caisses de leurs amis ou ennemis pour parachever la corruption et le clientélisme politique.

Ainsi, la kleptocratie et les flux financiers illicites sont devenus un des obstacles à la bonne gouvernance et l’essor de la démocratie dans nos pays. S’il faut remettre de grosses sommes d’argent aux dirigeants de la France qui promettent « s’en souvenir », que feront ces derniers s’ils ne reçoivent pas ces sommes d’argent ou s’ils refusent simplement de s’en souvenir ? Non seulement Chirac a «bouffé » l’argent des Ivoiriens, mais plus grave, c’est sous lui que l’armée française a stoppé l’opération « dignité » que les Forces Armées Nationales de Côte d’Ivoire menaient contre les forces rebelles du Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), et ouvert le feu à bout portant sur des jeunes patriotes rassemblés sur le parvis de l’Hôtel Ivoire à Abidjan , faisant des morts et des blessés graves. C’est sous Chirac que des soldats français ont fait passer de vie à trépas un concitoyen ivoirien enferme dans un conteneur.

Pour le CACI, les questions sus-évoquées sont essentiellement celles que le discours politique et social ivoirien doit aborder afin de trouver des mesures applicables et rigoureuses contre la fuite des capitaux ivoiriens. Dans cette perspective, et malgré les nouvelles lois iniques qui limitent les actions des organisations de la société civile (OSC), le CACI appelle ces organisations, les syndicats des travailleurs et travailleuses, les organisations non-gouvernementales des droits des hommes et des femmes à être à l’avant-garde de ces débats.

Pour le CACI

Eric Edi, Ph.D

Secrétariat Exécutif

Légende photo

Le président français, Jacques Chirac, recevant à l’Élysée son homologue ivoirien, Laurent Gbagbo, lors de la visite officielle de celui-ci en France en 2001.

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