France/ Guy Labertit, de la politique africaine à la musique : La nouvelle vie de l’ami de Gbagbo

 

Guy Labertit a connu plusieurs vies. Le jeune soixante-huitard a été successivement professeur d’espagnol, directeur de revue, délégué national à l’Afrique du PS, adjoint au maire à Vitry-sur-Seine et finalement… musicien. Une existence fidèle à ses trois passions : la poésie, la politique et l’Afrique.

On le connaissait comme le « Monsieur Afrique du Parti socialiste » et l’ami intime de Laurent Gbagbo, moins comme le poète et compositeur qu’il est devenu après sa retraite de la vie politique. Aujourd’hui âgé de 72 ans, Guy Labertit nous ouvre les portes de son appartement de Vitry-sur-Seine, un appartement chargé d’histoire et de toiles de maîtres africains où se sont succédé opposants politiques, chefs d’État en devenir ou en exercice, chanteurs et musiciens.

Il raconte une passion de jeunesse, la musique, et une première audition dans un cabaret bordelais « avec 25 chansons dans [sa] besace ». Une vie de bohème qui l’amène très tôt vers la gauche radicale, lui qui rejoint les barricades de Mai-68 alors qu’il n’a pas 20 ans. Puis un début de carrière à l’Éducation nationale, où il exercera durant 26 ans comme professeur d’espagnol. Très tôt, il s’entoure d’un cercle d’amis africains. « Il y avait à l’époque peu d’universités en Afrique, et les jeunes francophones allaient faire leurs études dans les académies de Bordeaux et de Marseille, tradition coloniale oblige. J’ai donc noué là mes premières amitiés africaines, et je suis allé sur le continent pour les retrouver. » Il parcourt le Togo, le Dahomey (sud de l’actuel Bénin), le Niger, la Haute-Volta (actuel Burkina Faso). Fort de son expérience sur le terrain, il rejoint puis dirige la revue Libération Afrique (1979-1986).

C’est à cette période qu’il rencontre la fine fleur de l’anti-impérialisme africain, qui pour beaucoup connaîtront une ascension politique fulgurante : Alpha Condé, Ibrahim Boubacar Keita et Alpha Oumar Konaré, Mahamadou Issoufou et Mohamed Bazoum qui vient de lui succéder à la tête du Niger, Joao Lourenço, aujourd’hui chef d’État angolais, Pedro Pires et José Maria Neves, ancien et actuel présidents du Cap-Vert, Étienne Tshisekedi et son fils Félix Tshisekedi, qui dirige aujourd’hui la République démocratique du Congo… « Certains d’entre eux ont eu une fin tragique », soupire-t-il, le regard voilé : Thomas Sankara, avec qui il se lie d’amitié en avril 1984, Ibni Oumar Mahamat Saleh -« à l’époque où la France occupait militairement le Tchad et où il avait encore une certaine attirance pour les maquis », qui devient ministre puis porte-parole de l’opposition au président Idriss Déby, avant d’être assassiné en 2008.

Mais son amitié la plus forte, celui qui l’appelle « mon frère », c’est Laurent Gbagbo, exilé politique en France de 1982 à 1988. Les deux jeunes hommes partagent tout : l’appartement de Labertit à Vitry, leur goût pour la musique et la poésie, et une passion commune pour la politique, alors que Gbagbo rédige son essai Côte-d’Ivoire : Pour une alternative démocratique (1983). « On croit souvent que c’est au PS que je me suis intéressé à l’Afrique, s’amuse aujourd’hui Guy Labertit, alors que c’est tout l’inverse : ce sont mes amitiés africaines qui m’ont poussé à entrer au PS. » François Mitterrand arrive à l’Élysée en 1981, un événement vu d’un très bon œil par les oppositions démocratiques ouest-africaines. Soutien de Huguette Bouchardeau et militant au Parti socialiste unifié (PSU), qui meurt de sa belle mort en 1990, Guy Labertit rejoint le PS en 1991, comme chargé de la Côte d’Ivoire et de la Guinée-Conakry au Secrétariat international du PS. En 1993, il devient délégué national à l’Afrique du PS, un poste qu’il occupe jusqu’en 2006.

 

Guy Labertit raconte la conquête du pouvoir de Laurent Gbagbo

Marine Jeannin

« J’ai été profondément marqué par l’explosion démocratique des années 1990, se souvient-il, avec la libération de dizaines de milliers de prisonniers politiques. Je me souviens de savants débats à Paris, où il se disait que le multipartisme n’était pas la démocratie. Mais cette libération de masse, c’était tout de même un sacré acquis humain et politique ! Aujourd’hui, l’Afrique connaît une période de régression démocratique. Mais l’Histoire a toujours fonctionné ainsi, deux pas en avant, un pas en arrière. » L’ancien socialiste se dit optimiste pour le futur du continent, qui, « grâce à la mondialisation, brûlera les étapes du développement », veut-il croire. « La Françafrique, elle est encore dans beaucoup de têtes ici, de droite comme de gauche. J’ai entendu tout au long de mon parcours politique d’éminentes personnalités, de tous bords, manifester une vision de l’Afrique paternaliste qui fleurait bon la colonie. »

Ces dernières années, Guy Labertit a publié trois essais, sur la Côte d’Ivoire et le Tchad, et occupé un dernier poste en politique locale, comme adjoint au maire de Vitry-sur-Seine entre 2014 et 2020 (chargé d’économie sociale et solidaire, droits des migrants et promotion des cultures du monde). Aujourd’hui, il observe de loin se dérouler la campagne présidentielle française. Lui est retourné à ses premières amours : la musique. « Assumer ma passion de jeunesse à ce moment de mon existence me semble être quelque chose de beau et de fort. J’ai le sentiment d’avoir mené une vie cohérente, fidèle à mes convictions. Aujourd’hui, le temps est venu de l’écriture… Peut-être pour donner de l’espoir aux générations futures ? »

Déjà auteur d’un premier album acoustique en 2019, il sort en ce début d’année un EP de six titres, « La Nouvelle Existence », né de la rencontre, à Vitry, de Franck Ballier, l’ancien batteur de Johnny Hallyday. Labertit est accompagné sur l’un des titres, Les Banlieues coloniales, par le bassiste camerounais Swaeli Mbappe, et sur un autre par Mamoudou Cissoko à la kora. Deux fils rouges parcourent son œuvre : les banlieues parisiennes et l’Afrique, dont la passion ne l’a jamais quitté. C’est d’ailleurs Laurent Gbagbo qui lui a appris à jouer de la guitare…

RFI

 

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