Après ma rencontre avec Akoto Yao, en début de semaine, et la fenêtre d’histoire que j’ai ouverte sur le retour vers le futur, expression consacrée pour bien étayer la qualité exceptionnelle ainsi que la profondeur des relations privilégiées qui furent les nôtres, pendant ses années d’icône de l’intelligentsia ivoirienne, qui eut à gérer le ministère non moins emblématique de l’Education nationale, sous l’aile protectrice du père-fondateur Félix Houphouët-Boigny, je ne puis m’empêcher de repenser à ces instants intenses comme au souvenir d’une délicate fragrance. Oui, le bélier de Yamoussoukro fut le mentor par excellence du jeune Akoto Yao. Lien de cause à effet, il lui fit confiance en lui confiant les rênes du ministère stratégique de l’Education nationale.
Ce n’était ni donné ni gagné d’avance, tant la tâche s’avérait quasi herculéenne à l’époque. Les frémissements et les soubresauts étaient un continuum dans le microcosme scolaire du secondaire à l’université. Les éruptions cutanées au sein du système éducatif étaient légion. Il a fallu toute l’ingéniosité et l’art consommé du jeune professeur de sciences pour endiguer la montée des périls et permettre au grand chef Houphouët de pousser des soupirs de soulagement.
Il faut le dire tout net, Akoto Yao a su allier souplesse, finesse et rigueur à la fois, en appliquant à chaque cas et à chaque circonstance, des thérapies circonstanciées et circonstancielles. Cela a eu pour effet de lui valoir une grande notoriété ainsi qu’un grand « impactum » sur l’écosystème de l’éducation ainsi que du milieu universitaire. Elèves, étudiants, comme parents et membres de l’intelligentsia étaient tous acquis et conquis.
Paul Akoto Yao séduisait par son brio, son talent pur ainsi que son verbe châtié. Il faut dire que ces années-là étaient par trop exceptionnelles, pour un si jeune ministre qui sut avec un savoir-faire à la limite de l’érudition, dompter des têtes fortes à l’université et dans les grands lycées notamment. C’est dire à quel point il a marqué la conscience des Ivoiriens. Il était accessible et ouvert. Son comportement préfigurait déjà ce que sont aujourd’hui l’école et la nation, c’est-à-dire des partenaires. Il sut imprimer cette marque indélébile à l’école ivoirienne.
C’est ce grand esprit, ce quasi érudit que la totalité de l’intelligentsia d’hier et d’aujourd’hui est unanime à reconnaître les mérites. J’étais à coup sûr de la classe biberon, jeune intellectuel frais émoulu des écoles de journalisme et universités de France (Lyon3 Jean Moulin, et Panthéon Sorbonne) et j’eus (chance ou hasard divin ?) de faire partie de son entourage privilégié ; du cercle des intimes déjà.
Je retiens avec émerveillement sa générosité qui abondait et surabondait. Combien de personnes n’a-t-il pas aidé ? Des plus démunis à tous ceux qui étaient en difficulté et dont l’avenir aurait pu être hypothéqué s’il n’avait pas croisé sur leur chemin, la main secourable de ce bon Samaritain. Avec cette ouverture de cœur et cette prodigalité, il essayait de donner sa chance à chacun de ceux qui le sollicitaient sachant que les élèves ne réussissent tous ni de la même façon ni au même rythme.
Paul Akoto Ayo est l’adepte avant la lettre de l’école de l’humanisme. C’est donc un homme affable, jovial, tribun hors pair à l’image de ses amis depuis le lycée garçon de Dabou, en l’occurrence le Dr Balla Kéita et le journaliste Laurent Dona Fologo. D’ailleurs, ils formèrent un trio mythique et mémorable en Côte d’Ivoire puisque tous les trois furent ensemble ministre de l’Education nationale et de l’enseignement supérieur pour Akoto, ministre de la Recherche scientifique d’abord (puis de l’Education nationale ensuite) pour Balla Kéita et ministre de l’Information d’abord (puis des Sports et de la Culture) pour Fologo. Les membres du trio BAF étaient tous aussi brillants les uns que les autres, dans des registres différents et complémentaires. C’est Akoto qui le premier fut ministre délégué en 1971. Laurent Dona Fologo le fut dès 1974 et Dr Balla Kéita en 1983.
C’était l’âge d’or des jeunes premiers qui avaient secoué le landerneau des anciens apparatchiks issus des premiers gouvernements postcoloniaux.
Ma visite a réveillé beaucoup de souvenirs. Une grande vague de solidarité et d’appréciation a salué cette initiative, un grand élan d’approbation général en a suivi. Les Ivoiriens qui savent célébrer les personnes qu’ils ont adulées m’ont exprimé leur affection profonde et admiration pour Pablo le puriste ; l’homme au verbe racé. Dans l’imagerie populaire, il aura été l’archétype de l’intellectuel qui vient à la politique, mais qui n’a pas moins été un enfant du peuple c’est-à-dire généreux, ouvert et plein de prodigalité.
Et Félix Houphouët-Boigny avait l’art, le chic et le secret, à des moments cruciaux, de sortir de son génie de visionnaire la carte maîtresse, le joker qui venait tout exorciser et arranger. Ce fut le cas de Paul Akoto Yao, en pleine crise de l’école ivoirienne dans les années 70-71. Houphouët le sortit de sa botte magique et le joua comme un pion imparable pour juguler cette éruption volcanique à laquelle l’école était en proie. Ce fut le cas pour bien d’autres, ainsi que, 20 ans plus tard, du Dr Alassane Ouattara, qu’il fit venir, au grand étonnement de tous, pour redresser et relancer l’économie du pays qui connaissait un marasme sans précédent. La suite on la connait. L’ancien banquier central est devenu le Président de la République de Côte d’Ivoire. Houphouët, c’est vraiment le génie.
Bamba Alex Souleymane
Journaliste professionnel
Expert consultant en stratégies
et en Hautes Etudes Internationales
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