Mali : Il y a dix ans, les jihadistes s’emparaient du nord du pays

Le 30 mars 2012, Kidal, ville du nord-est du Mali, devenait la première capitale d’une région du septentrion à tomber entre les mains d’une nouvelle rébellion. Dirigés par une coalition de groupes armés dominée par les jihadistes, les rebelles ont rapidement pris le contrôle du nord du Mali, avant de se diriger vers le centre du pays où ils ont été stoppés par une intervention de l’armée française baptisée « Serval ». Retour sur les débuts d’une crise dont le pays n’est pas encore sorti. Les premiers coups de feu ont été tirés à Ménaka, tout comme lors de précédentes rebellions dans le nord du Mali. C’est un élu de la localité qui alerte les journalistes. L’information se répand comme une traînée de poudre : « Une nouvelle rébellion touarègue vient d’éclater au Mali ! » Certains ajoutent même : « Ce sont des rebelles touaregs laïcs qui ont pris les armes… » Quelques personnes bien avisées rectifient cependant : l’attaque a été menée par une alliance de rebelles touaregs et de jihadistes composés de Maliens et d’étrangers avec, dans la haute hiérarchie, des combattants algériens.

Après Ménaka, les groupes armés prennent le contrôle d’autres petites localités du Nord, mais c’est le 30 mars 2012 que la capitale d’une région du septentrion tombe sous le pouvoir des assaillants. Son nom ? Kidal, ville située au nord-est du Mali, dans l’Adrar des Iforas. Une particularité ? Localement, aucun édifice public, aucun bâtiment n’est détruit. Les autochtones qui ont participé à la chute de ce bourg savaient que s’ils détruisaient, il allait falloir reconstruire un jour. Un nom revient comme un leitmotiv : Iyad Ag Ghali, qui a mené dans le passé des rébellions touarègues contre le pouvoir central. Deux semaines avant de prendre le contrôle de Kidal, il avait déclaré dans une vidéo que son mouvement Ansar Dine – « défenseurs de la religion », en arabe – se battait pour imposer la charia dans l’Azawad. Il a noué une solide alliance avec les jihadistes avec qui il a négocié pendant plusieurs années, à la demande de Bamako et de pays étrangers, pour obtenir la libération d’otages européens. C’est lui, désormais, le maître des opérations. Il laisse la politique de communication aux rebelles touaregs laïcs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et il poursuit sa propre politique de conquête du terrain.

Après Kidal, le lendemain, c’est Gao, la principale ville du nord du Mali, qui est rapidement contrôlée par les groupes rebelles coalisés. Puis Tombouctou, la « ville des 333 saints », au nord-ouest du pays. Afin de bien montrer qu’ils sont aux manettes, Iyad Ag Ghali et ses hommes débarquent, armés jusqu’aux dents, dans cette ville touristique le lendemain de sa conquête. Ils hissent un drapeau jihadiste pour que les choses soient claires !  Du 30 mars au 1er avril 2012, en trois jours donc, les trois principales villes du nord du Mali sont sous le contrôle des assaillants.

Les deux composantes de la rébellion se partagent plus ou moins le terrain. À Kidal, les jihadistes d’Ansar Dine prédominent. Iyad Ag Ghali endosse le rôle de gouverneur du nord. À Gao, principale ville du septentrion malien, on assiste à une cohabitation entre les jihadistes, qui vont plus tard évoluer sous les couleurs du Mujao (Mouvement pour le jihad en Afrique de l’Ouest), et les rebelles touaregs du Mouvement national de l’Azawad (MNLA).

Chaque camp a le même objectif : se débarrasser de l’autre allié dès que possible. Les rebelles touaregs laïcs ont un point fort : la communication. Ils sont plus médiatisés à l’extérieur, surtout en France. Mais les jihadistes constituent « le navire amiral » de la révolte, avec une véritable stratégie de contrôle du terrain.

Après une cohabitation dans la ville de Gao, les jihadistes défont les combattants du MNLA à Gao en quelques mois ; ces derniers ont plié bagage pour d’autres terres. Les combattants islamistes ouvrent de force les portes des magasins d’ONG internationales dans le nord et procèdent à des distributions de vivres aux civils. Par la suite, la « police islamique » retrouvera les objets volés par des brigands et les remettra à leurs propriétaires. En mai 2012, on pouvait encore voir, au siège de la police islamique locale, de nombreux citoyens venus récupérer leurs effets volés. Dans toutes les localités du nord, les jihadistes s’appuient sur des habitants pour mieux régner.

À Gao, les initiés peuvent constater la présence d’Adnane Abou Walid al-Sahraoui et Akim, deux responsables du Mujao, qui vont devenir les têtes pensantes de l’État islamique au Sahara (EI). En 2022, le premier a été tué lors d’une opération de l’armée française, le second serait décédé des suites de maladie. À l’époque, en 2012, ils jouent les invisibles et laissent agir les autochtones, mais tirent toujours les ficelles dans l’ombre.

Le MNLA « indépendantiste », en position de faiblesse sur le terrain, rassemble ses dernières forces et déclare, le 6 avril 2012, l’indépendance de l’Azawad dans le nord du Mali. Il demande un cessez-le-feu unilatéral. Peine perdue. Les jihadistes rappellent qu’ils réclament l’application de la charia. Ils vont devenir rapidement les décideurs sur le terrain. Mais, après un jeu de séduction réussi auprès des populations autochtones, après une période de souplesse, ils ont sorti les règles d’autorité et d’oppression : les débits d’alcool ont été fermés, les habitants n’ont plus le droit de regarder la télévision, les voleurs sont amputés et, plus spécifiquement à Tombouctou, des mausolées et des monuments classés au patrimoine mondial de l’Unesco sont détruits !

Avec le recul, comment expliquer ce basculement ? Aucune stratégie de l’État n’a vraiment permis à cette partie du Mali d’émerger durablement de son labyrinthe. Si l’armée malienne n’a pas pu faire face aux assaillants, c’est aussi parce qu’en vertu d’accords de paix passés et signés entre l’État malien et des rebelles touaregs, l’armée régulière n’était pas autorisée à se rendre dans certaines localités maliennes. Des pans entiers du territoire national échappaient à son contrôle depuis une quinzaine d’années. Il faut aussi compter avec l’intervention militaire de 2011 en Libye. Une fois Mouammar Kadhafi assassiné, un très grand nombre d’armes a été déversé dans le Sahel. Et une bonne partie s’est retrouvée au Mali, avant le début de la nouvelle rébellion. Plusieurs centaines de ressortissants du nord du Mali, établis en Libye, sont revenus au bercail avec armes et bagages. Des experts ont évalué leur armement à celui « d’un pays qui se respecte ». Les pays occidentaux, qui ont grandement aidé à l’éviction du guide de la révolution libyenne, n’ont pas assuré le « service après-vente », livrant les pays du Sahel aux hordes armées qui cherchaient de nouveaux terrains de combats.

Dix ans après, les jihadistes sont toujours présents sur le terrain. La crise s’est métastasée vers le centre et les assaillants sont même descendus vers le sud. L’intervention française est inachevée. L’opération « Serval » est devenue « Barkhane » et s’étend à tout le Sahel, mais entre Serval et Barkhane, il a manqué une nouvelle respiration dans la stratégie de lutte contre le terrorisme sur le territoire malien. Le Mali et ses voisins du Burkina Faso et du Niger n’ont jamais pu dégager une stratégie commune pour faire face à l’ennemi qui s’installe de plus en plus sur les frontières des trois pays. Le corps-à-corps n’a jamais eu lieu, sauf en en 2013, au moment de l’intervention française, où les alliés de l’armée tchadienne ont tué au combat le chef jihadiste Abou Zéïd. Aujourd’hui, à la suite de deux coups d’État (août 2020 et mai 2021), les nouvelles autorités maliennes adoptent de nouvelles stratégies avec de nouveaux alliés pour faire face à la situation sur le terrain. Elles se déclarent plutôt satisfaites des premiers résultats obtenus.

Mais la lutte contre le terrorisme ne peut pas être uniquement militaire. Les lenteurs dans l’application de l’accord de paix signé entre le gouvernement malien et les ex-rebelles n’ont pas arrangé les choses.  Les termes de l’équation du développement n’ont pas changé dans cette vaste partie du pays : 66% de la superficie totale du Mali (1,241 million de km2) se trouvent au nord, une région occupée par seulement 9 % de la population malienne.

RFI

 

Laissez une réponse

Votre email ne sera pas publié