Pakistan : Shehbaz Sharif, frère de Nawaz Sharif, devient le nouveau Premier ministre

Âgé de 70 ans, Shehbaz Sharif est le chef du PML-N, la ligue musulmane du Pakistan. Il a mené avec d’autres chefs de l’opposition la fronde qui a renversé Imran Khan, auquel il succède au poste de Premier ministre. Trois questions à Amélie Blom, maîtresse de conférences en sciences politiques à Sciences Po Lyon et spécialiste du Pakistan.

RFI : Quel est le parcours de Shehbaz Sharif, le nouveau Premier Ministre du Pakistan ?

Amélie Blom : C’est le petit frère de Nawaz Sharif, l’ancien Premier ministre du Pakistan. Il a lui-même été trois fois ministre en chef de la province du Pendjab, qui est un poste clé. Le Pakistan est organisé par un système fédéral, il y a donc des assemblées de province et le Pendjab est la plus peuplée du pays. C’est également celle dont sont majoritairement originaires les membres de l’armée, aussi bien les officiers que les soldats. Enfin, si Karachi est le poumon économique du pays, Lahore en est le poumon politique.  Shehbaz Sharif est donc ce vieux routier de la vie politique pakistanaise qui accède à la fonction suprême à la faveur d’une série d’opportunités politiques qui se sont présentées à lui. Il a montré qu’il était aussi un très bon stratège tout au long de cette crise. Lui, comme toute la famille Sharif, reste très populaire au sein de la classe marchande et de la classe moyenne du Pendjab.

Aujourd’hui, Shehbaz Sharif se trouve à la tête d’une coalition « anti-Imran Khan ». Comment peut-il réussir à dépasser cette position d’opposant pour gouverner ? 

C’est la grande question. Cette coalition existe sur le principe selon lequel « les amis de mes ennemis sont mes amis », mais c’est une coalition qui pourrait être relativement fragile. Tout va dépendre de la distribution des ministères. Je pense qu’il va faire attention de doser, et de donner une place à chacun. Il aurait intérêt à appeler assez rapidement à des élections pour asseoir sa popularité. Ça ne peut bien sûr pas se faire immédiatement. La Commission électorale a fait savoir qu’elle n’était pas en mesure d’organiser des élections immédiatement. Il faut en amont redessiner les circonscriptions électorales, ce qui va prendre du temps.

Comment le nouveau Premier ministre va-t-il réussir à manœuvrer avec l’autre pouvoir du Pakistan, l’armée ? 

Les militaires ont joué un rôle assez complexe durant toute la crise actuelle. Le Pakistan est un régime politique hybride, mi-démocratique, mi-autoritaire. Il y a un partage du pouvoir imposé par le pouvoir militaire, mais que beaucoup de parties civiles ont fini par accepter. En 2018, Imran Khan était le rêve incarné pour le militaire. Ils avaient enfin trouvé un Premier ministre qui avait des visions très proches des leurs, prêt à gouverner en coopération avec l’armée. Ça s’est mal terminé finalement. Il a été lâché par l’armée et c’est ce signal-là qui a été saisi par l’opposition pour le faire tomber par le vote d’une motion de censure à l’Assemblée nationale.

Pendant toute la durée de la crise constitutionnelle la semaine dernière, les militaires sont restés assez discrets. Ils n’ont fait aucune déclaration. Ils veulent de toute façon une sortie de crise rapide. C’est une évidence absolue que si cette crise à ce dénouement-là, c’est qu’il est satisfaisant pour l’armée. Si ce n’était pas le cas, les choses se seraient passées autrement. Enfin, dans ses déclarations, Shehbaz Sharif a fait comprendre qu’il ne rentrerait pas en collision avec l’armée sur la question des relations avec l’Inde, par exemple. Il a dit qu’il souhaiterait de bons rapports avec l’Inde, mais sous condition d’une résolution juste de la dispute du Cachemire. Il ne prendra donc pas d’initiative unilatérale sur ce sujet qui avait d’ailleurs mis son frère dans une situation très délicate vis-à-vis de l’armée lorsqu’il était Premier ministre. Cette question des relations avec l’Inde est un enjeu central.   Un autre élément très important pour les militaires, c’est la non-interférence des civils dans les affaires intérieures de l’armée. Il faudra suivre cette question dans la pratique pour savoir si Shehbaz Sharif, contrairement à Imran Khan, restera en retrait sur les questions de nominations au sein de l’appareil militaire pakistanais.

RFI

 

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