Que pense le président Tshisekedi de la proposition de loi sur la « congolité », dite loi Tshiani, qui vise à écarter de la présidentielle tout candidat qui n’est pas né de père et de mère congolais ? Personne ne le sait, car le chef de l’État ne s’exprime pas sur le sujet. Mais la polémique monte, car la proposition de loi vise directement le candidat Moïse Katumbi. Entretien avec maître Timothée Mbuya qui préside l’ONG congolaise Justicia à Lubumbashi. L’élection présidentielle en RDC se déroulera le 20 décembre 2023.
RFI : Timothée Mbuya, pourquoi l’ONG de promotion et de protection des droits de l’homme Justicia se mobilise contre la proposition de loi Tshiani, du nom de son initiateur Noël Tshiani ?
Timothée Mbuya : Justicia se mobilise parce que, quand vous analysez cette proposition de loi et que vous regardez les réactions au niveau de la communauté, au niveau de la société, les gens vont devoir être identifiés en référence à leur peau. Donc, dès qu’on vous regarde à travers votre peau, on sait que vous n’êtes pas Congolais de père et de mère. Ce sera la morphologie.
On vous regarde par exemple par rapport au nez, par rapport à la bouche, le front et tout ça. Et on vous qualifie de Congolais à 50%. Et d’un, et de deux, maintenant sur le plan sociologique, vous observez déjà les réactions qui se passent dans la communauté.
Pour les gens qui estiment que cette proposition de loi vise à écarter un certain candidat sérieux à l’élection présidentielle, ces gens-là sentent ou pensent que c’est leur candidat ou leur frère qui injustement est en train d’être écarté. Et maintenant par exemple dans la région du Grand Katanga, on décèle les signes de potentielles attaques intercommunautaires en référence aux attaques et à l’épuration tribale qu’il y a eu dans cette partie du pays dans les 1990 et 1991.
Le candidat, qui risque d’être écarté par cette proposition de loi, c’est Moïse Katumbi. Le dimanche de Pâques, le cardinal-archevêque de Kinshasa, Mgr Fridolin Ambongo, a pris la parole pour dénoncer lui aussi cette proposition de loi. Pourquoi l’église catholique estime-t-elle que ce projet est dangereux ?
L’église catholique fait partie des grandes organisations de la société civile parce qu’elle a beaucoup de fidèles. Et l’église catholique, je pense même que, dans les années 1990, quand il y avait épuration ethnique, elle avait été la première cible, parce que beaucoup de croyants avaient été visés, parce qu’il y a des millions de personnes qui étaient obligées de se déplacer de Lubumbashi ou du Grand Katanga vers le Grand Kasaï aujourd’hui. Et je crois que Mgr Fridolin Ambongo a compris que, si aujourd’hui il y a encore des divisions au niveau de la communauté, s’il y a des attaques sur fond tribal dans le Grand Katanga, à Kinshasa ou dans d’autres provinces, les premières victimes seront également des victimes fidèles à son église. Donc, l’église est véritablement dans son rôle d’alerter qu’il y a un danger à adopter une proposition de loi aussi injuste que celle-là.
Dès 2021, cette proposition de loi avait été déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale, mais à l’époque elle avait été rejetée. Aujourd’hui, elle est acceptée par le président de l’Assemblée nationale, Christophe Mbosso. Elle est inscrite à l’ordre du jour de cette session. Pourquoi ce changement de position ?
En 2021, l’Union sacrée est créée et Moïse Katumbi fait partie de ceux qui ont créé l’Union sacrée.
À cette époque donc, Félix Tshisekedi et Moïse Katumbi sont alliés…
Ils sont alliés, ils sont tous membres de l’Union sacrée. Mais maintenant, Moïse Katumbi étant parti de l’Union sacrée, il a officiellement affiché ses ambitions à être candidat à la présidence de la République. Donc, la question refait surface et cette fois-ci avec beaucoup d’ampleur. Donc, cela saute aux yeux qu’il s’agit d’une proposition de loi qui vise justement à écarter des joutes électorales le candidat Moïse Katumbi.
En septembre 2021, chez nos confrères de Voice of America, le président Félix Tshisekedi avait exprimé un certain nombre de réserves à l’égard de cette proposition de loi. « Être Congolais de père et de mère n’est pas un critère suffisant pour servir son pays de manière loyale », avait-il déclaré. Aujourd’hui, pensez-vous qu’il a changé d’avis ?
Officiellement, il n’a pas pris de position pour signifier qu’il a changé d’avis. Mais on se rend compte que la plupart des personnes ou des ténors qui soutiennent cette proposition de loi sont soit de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), soit ils sont carrément de l’Union sacrée. Quand vous considérez également le point de vue du président de l’Assemblée nationale là-dessus, vous vous dites que c’est une stratégie déjà prise au niveau de l’Union sacrée et pour laquelle, d’ailleurs, le président de la République ne serait pas très étranger.
Il y a deux ans, cette proposition de loi n’avait pas été retenue parce qu’elle était jugée notamment inconstitutionnelle. Mais aujourd’hui, si elle est inscrite à l’ordre du jour, n’est-ce pas le signe que finalement elle va être jugée constitutionnelle et qu’il n’y aura pas besoin de changer la Constitution pour l’adopter ?
Non. Elle ne va pas être jugée constitutionnelle, parce qu’il y a des dispositions de la Constitution qui seront très clairement et très nettement violées au cas où cette proposition de loi serait été adoptée dans son sens actuel. Mais ce qui pourra peut-être arriver, c’est qu’ils voudront modifier la Constitution. Il est possible qu’à tout moment, ils fassent un montage pour faire passer cette proposition de loi s’ils le veulent.
Donc votre espoir, c’est que le président Félix Tshisekedi prenne de la hauteur et fasse retirer ce projet de loi de l’ordre du jour de l’Assemblée pour calmer le jeu ?
Exact. En fait, le président Félix Tshisekedi est le garant de l’unité de la nation et du bon fonctionnement des institutions. Et donc, maintenant, le président Tshisekedi est la seule personne qui peut désamorcer cette pression ou cette tension, parce que c’est lui qui est l’autorité morale de l’Union sacrée, parce que c’est lui qui officiellement continue à gérer, même dans l’ombre, l’UDPS. Et toutes ces personnalités lui doivent déférence, respect. Et lui, en tant que garant du bon fonctionnement de la nation, il a un devoir non seulement moral, mais également constitutionnel. Et le fait qu’il se taise, alors que la situation est en train de pourrir, nous inquiète énormément.
RFI
NB : La titraille est de « Le Monde Actuel »
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