La CEDEAO a levé, le 3 juillet 2022, les sanctions économiques qui frappaient le Mali depuis le 9 janvier 2022. Seules sont maintenues les sanctions ciblées visant les dirigeants de la transition et la suspension du pays des instances de la CEDEAO. Un accord a également été trouvé avec les autorités burkinabè sur la durée de la transition, avec un retour du pouvoir au civil au plus tard le 1er juillet 2024. La Guinée a quant à elle un mois supplémentaire pour proposer une durée raisonnable de transition, inférieure aux trois années actuellement affichées, si elle veut éviter des sanctions économiques. Jean-Claude Kassi-Brou, président sortant de la Commission de la CEDEAO, parle de toutes ces décisions.
RFI : Les sanctions économiques et financières que subissait le Mali sont levées enfin. La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est rassurée aujourd’hui sur les intentions des dirigeants de la transition malienne ?
Jean-Claude Kassi-Brou : Au vu des actions qui ont été menées par les autorités de la transition à Bamako, notamment la loi électorale, les décisions qui ont été prises sur l’autorité de gestion des élections, le calendrier de tout le processus de transition qui a été fourni notamment avec les étapes, par exemple sur la prochaine Constitution, et surtout sur le fait que la transition doit prendre fin à une date bien précise, 24 mois à partir du mois de mars 2022 et le premier tour de l’élection présidentielle prévu pour février 2024… Donc, au vu de tout cela, et surtout du mécanisme de suivi qui a été mis en place et qui permettra de suivre de manière régulière avec, bien sûr, la partie malienne, mais avec les autres partenaires, tout le processus… Je crois que les chefs d’État ont estimé que c’était suffisant et qu’il fallait donner un gage de confiance. C’est un peu cela aussi la négociation. Il faut se faire confiance. Donc, il a été décidé par les chefs d’État de lever les sanctions économiques et financières. Pour les autres sanctions, notamment les sanctions individuelles et les sanctions concernant la suspension du Mali des organes de la CEDEAO, celles-ci bien entendu restent en vigueur puisque la suspension des organes est liée au retour à l’ordre constitutionnel.
Cela veut dire que cette levée des sanctions, ce n’est pas un blanc-seing. À quoi allez-vous être vigilants, notamment à ce mécanisme de suivi que vous avez évoqué ?
Le sommet a demandé un chronogramme précis et détaillé de toutes les actions qui doivent être menées jusqu’en mars 2024. Les partenaires maliens ont vraiment fait ce travail, cela a été fait, cela a été discuté et revu. Nous avons donc pris connaissance de ce chronogramme. C’est évidemment cela que nous allons suivre ensemble : la Cédéao, la partie malienne et d’autres partenaires également. Et le sommet a souhaité également que tout le processus soit fait de manière inclusive avec toutes les parties prenantes au Mali, la classe politique, la société civile. Je crois que déjà, il y a eu de consultations dans ce sens, donc, c’est quand même encourageant. Il faut souhaiter que vraiment ça se poursuit parce que c’est cela qui va amener un climat de paix et amener la sérénité.
La nouvelle loi électorale au Mali ouvre la voie à une candidature de certains membres de la junte, notamment le président, le colonel Assimi Goïta. Néanmoins, elle est considérée par la Cédéao comme une avancée qui a permis la levée de ces sanctions ?
Non, je vous ai donné les conditions qui ont été à la base de la levée des sanctions. Je viens de l’expliquer. La loi électorale telle que vous la décrivez existe dans pratiquement tous les pays. Les lois électorales dans la plupart de nos pays disent clairement que les hommes en uniforme, s’ils veulent se présenter à une élection, ils doivent démissionner à une certaine période avant de se présenter. Maintenant, il faut regarder ce qu’il y a dans la charte de la transition. La charte est très claire. Alors, il y a une nouvelle Constitution…
Elle interdit au président de la transition de se présenter. Pour vous, pour la Cédéao, c’est toujours une ligne rouge toujours ?
Voilà, j’ai dit que la charte de la transition malienne a pris des dispositions. Maintenant, on est dans la phase de préparation d’une nouvelle Constitution. Donc, c’est un peu tout cela qu’il va falloir voir, ce que les Maliens vont décider pour leur transition. Mais la charte, telle qu’elle existe, a pris certaines dispositions dans ce sens.
Sur le Burkina Faso, les autorités proposent 29 mois de transition contre 36 auparavant. Cela veut dire un retour au pouvoir civil d’ici au 1er juillet 2024, deux ans à partir de maintenant. C’est un accord, scellé avec la Cédéao ?
Oui, la Cédéao a considéré que c’était une avancée. Il y avait deux préoccupations majeures de la Cédéao. Le premier point, c’était la libération totale et complète de l’ancien président Roch Marc Christian Kaboré. C’est une demande qui a été formulée depuis le coup d’État fin janvier. Et donc, il y a eu effectivement des décisions qui avaient été prises, il était dans sa résidence. Mais la Cédéao insistait pour qu’il y ait une libération totale.
Cela veut dire qu’il soit libre de ses mouvements…
Exactement. Qu’il soit libre de ses mouvements et qu’il puisse décider d’aller où il veut, quand il veut.
Et c’est le cas à présent ?
C’est le cas à présent puisque ça a été indiqué clairement au médiateur qu’il l’a rapporté au sommet. Il y a un communiqué des autorités burkinabè qui dit clairement que le président Kaboré est totalement libre. Puis, deuxièmement, la Cédéao a toujours dit depuis le Coup d’État que la transition devait être une période raisonnable, acceptable. Les 36 mois annoncés, dès le début la Cédéao a dit que ce n’était pas acceptable. Et c’est pour cela que le 25 mars, la Cédéao a pris des sanctions économiques et financières qui devaient rentrer en vigueur un mois après, s’il n’y avait pas de progrès sur la période de la transition.
Cela restait sous la forme de menace, et vous avez décidé aujourd’hui que cette menace ne serait jamais mise à exécution…
Puisque le dialogue a permis d’avancer. Maintenant, on est tombé sur un accord de 24 mois pour la transition à partir du 1er juillet. Donc, la Cédéao a considéré que c’était une avancée et donc, que ces sanctions n’avaient plus lieu d’être. Mais en revanche, les sanctions liées à la suspension des organes de la Cédéao demeurent, parce qu’elles sont liées au retour à l’ordre constitutionnel. La Cédéao va maintenant appuyer et soutenir le Burkina dans le processus de transition et la Cédéao également appelle tous les partenaires à faire de même. Il y a une crise sécuritaire très grave, la situation humanitaire est difficile. Il faut soutenir le pays à faire face à cette période difficile.
En ce qui concerne la Guinée-Conakry, le médiateur qui avait été nommé par la Cédéao, Mohamed Ibn Chambas, a renoncé devant le désaccord des autorités de Conakry, à être ce médiateur. C’est finalement l’ex-président béninois Boni Yayi qui va assumer ces fonctions. Est-ce que ce n’est pas un camouflet pour la Cédéao de s’être finalement laissé dicter qui devait assurer ce poste ?
Non, la Cédéao ne s’est pas fait dicter quoi que ce soit. Un médiateur, pour pouvoir remplir sa mission de manière efficace, doit avoir la confiance de tous les acteurs. Les autorités guinéennes avaient estimé qu’elles souhaitaient un autre médiateur, une autre personne. Elles se sont rapprochées de la Cédéao pour demander un médiateur.
Donc, les autorités souhaitent dialoguer…
Elles veulent dialoguer. C’est une bonne chose.
C’est pour cela également que la Cédéao a accordé un sursis d’un mois à la Guinée avant de décider d’éventuelles sanctions économiques ?
Oui. Parce que déjà, la durée de la transition, dès l’annonce de cette durée, la Cédéao avait trouvé que ce n’était pas acceptable. Nous pensons qu’avec la présence du médiateur, les choses vont évoluer plus favorablement, plus positivement, et qu’on va pouvoir faire des avancées sur un point qui est considéré quand même important pour la Cédéao. La situation de la Guinée est très différente de la situation au Mali, qui est différente de la situation du Burkina. Le président Yayi Boni est une personne extrêmement expérimentée qui pourra permettre d’avoir la médiation efficace pour faire avancer le processus de transition en Guinée.
(Source : RFI)
Les coulisses du sommet de la CEDEAO
Le 61e sommet ordinaire des chefs d’État de la Cédéao s’est tenu, ce dimanche 3 juillet 2022, à Accra. Les décisions annoncées sur le Mali, le Burkina Faso et la Guinée ont été prises à huis clos dans une salle de conférence ultra gardée, seuls les badges VIP pouvaient traîner dans les couloirs ou avoir accès. Entrée dans les coulisses de cette rencontre de haut niveau. Juste après l’ouverture, les chefs d’État ont demandé à rester entre eux. Ministres, collaborateurs, invités spéciaux ont vidé la salle. Cela a duré une heure et c’est à ce moment-là que l’élection de Umarou Sissoko Emballo, le président de la Guinée-Bissau, a été tranchée. Ceux qui ne voulaient pas de lui ont suggéré à Nana Akufo-Addo, le sortant, de rester six mois de plus. Sans succès. Dernier joker, le Nigérien Bazoum, lui aussi a décliné. Embalo venait de gagner son mandat de président en exercice de l’organisation régionale.
Comment la levée des menaces de sanctions contre le Burkina Faso a été décidée ? En pleine séance, Saleh Annadif, patron de la Minusma en Afrique de l’Ouest, joint la ministre des Affairées étrangères et lui réclame une promesse non tenue à savoir le document qui ordonne la libération totale du président destitué Kaboré. Le médiateur Issoufou dont le travail a été très apprécié, le reçoit quelques minutes après.
Autre dossier, la Guinée. Les confidences rapportent que le nigérien Bazoum a dit à ses pairs que les putschistes ne doivent pas se présenter aux élections. « Il faut faire des coups d’État des crimes imprescriptibles », a renchéri le ministre des Affaires étrangères du Bénin. Quant au médiateur Ibn Chambas, récusé par la junte guinéenne, il s’est fendu d’une déclaration : « Si je suis le problème je me retire, ce sera l’occasion de tester la bonne foi de Mamadi Doumbouya. »
RFI
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