Deux jours durant, les jeudi 23 et vendredi 24 mai 2024, la salle de spectacles de l’Institut français de Côte d’Ivoire (IFCI) sis à Abidjan-Plateau a affiché complet aux représentations de « L’Avare ». Elle a fait salle comble. Il fallait le faire. Aux deux récentes représentations de « L’Avare », adaptation libre, à l’humour et à la sauce à l’ivoirienne, et « nouchisante » du prolifique metteur en scène Abass Zein de la célèbre comédie de Molière, le public (mixte) a tenu à répondre nombreux présent. Vendredi, c’était carrément un sold-out (guichets fermés). Lui qui n’a pas eu l’opportunité de vivre les instants mémorables de la grande première des représentations de mars 2024 s’est ainsi bien rattrapé à l’occasion de ces deux récentes représentations.
Pour ne pas rendre une pâle copie de la comédie du dramaturge français, rendue célèbre à travers le monde grâce à la prestation inoubliable du comédien Louis de Funès dans le film éponyme, Abass Zein a dû tropicaliser l’histoire du plus célèbre avare au monde, Harpagon, dont l’avarice n’a nulle autre pareille. Picsou étant même du menu fretin face à lui. Quatre ans donc qu’Abass Zein a mis à cogiter et peaufiner ce spectacle dans lequel aussi bien l’Ivoirien lambda que celui de classe moyenne ou très aisé se retrouve, tiraillé entre l’argot ivoirien, le nouchi, et le français de l’époque de l’auteur Molière, le 17e siècle, avec le vouvoiement à l’extrême, à l’envi. Et pour mieux adapter l’histoire à l’espace d’ici et à l’époque contemporaine, Abass Zein a eu la brillante idée de donner à son personnage Harpagon les traits d’un richissime Agni. Les Agni, il est important de le rappeler, ont, dans l’imagerie populaire ivoirienne, la réputation d’être très avares. L’avarice étant leur marque de fabrique, dit-on. Mais aussi d’ajouter des personnages aux caractères typiquement ivoiriens comme le « boy » (personnel de maison), le loubard venu d’Abobo, la jeune « go » colporteuse de ragots et le boutiquier venu de l’étranger s’installer en Côte d’Ivoire.
« L’Avare » de Molière à la sauce ivoirienne
Pendant deux heures, le public n’a point eu l’occasion de s’ennuyer, se laissant emporter par le jeu des acteurs et par la folle idée d’Harpagon l’Agni, l’homme le plus riche des environs qui ambitionne d’organiser trois mariages en une unique cérémonie sans avoir à débourser le moindre sou : son propre mariage avec une jeune fille de l’âge de son propre enfant, celui de sa fille Élise (Flopy Mendosa) avec un vieillard et de son fils Cléante, après avoir lui-même trouvé les partenaires de ses enfants au profil qui leur déplaît énormément. Lesquels enfants sont impliqués dans leur propre histoire d’amour et cherchent le moyen de l’apprendre à leur géniteur à l’avarice caricaturale.
Toutefois, Harpagon ne sait pas que la demoiselle qu’il entend épouser est celle-là même que son garçon courtise. Et que sa fille, qui est la petite amie de son « boy », n’entend pas se mettre en couple avec un homme d’un certain âge, qu’elle ne connaît pas de surcroît, mais que veut lui imposer son père. Par ailleurs, Cléante, aidé de son ami, le loubard d’Abobo campé par l’humoriste Clentelex, personnage déjanté et fort bavard, va finir par dérober l’immense fortune de son père, contenue dans une cassette, que ce dernier a minutieusement dissimulée dans un coin de son jardin, à l’abri des regards indiscrets.
6000 spectateurs savourent la pièce
Une histoire abracadabrante bien menée. La musique qui ponctue scènes et temps forts du récit, le slam qui donne un cachet particulier à la narration de l’histoire, l’actualité ivoirienne passée au peigne fin avec notamment un clin d’œil fait à l’augmentation des factures d’électricité décriée par les populations, le fait que les acteurs interagissent avec le public, l’ajout des dernières trouvailles de l’argot ivoirien avec des termes comme « Ma CP », les personnages qui ramènent le spectateur au quotidien de la société ivoirienne, le happy end avec une famille dont les membres perdus de vue se retrouvent, tout comme Harpagon qui entre en possession de son bien… accrochent et scotchent le spectateur sur son siège, lui qui ne voit pas passer le temps. Deux heures quand même que dure la représentation.
Le jeudi 23 mai, c’est par un standing ovation que le public a salué la performance des 11 acteurs à l’issue du spectacle de haut vol. Oui, il faut le reconnaître, « L’Avare » de Molière version Abass Zein est un vrai régal, un délice pour les yeux et pour les oreilles. Espérons que le vœu pieux du metteur en scène de voir sa pièce être jouée à l’intérieur du pays dans un futur proche, mais aussi dans la sous-région, puis dans toute l’Afrique se réalise. Surtout que la perspective de la voir débarquer dans l’hexagone, notamment aux Francophonies, soit une réalité. Il est bon de noter que plus de 6000 spectateurs l’ont déjà vue à Abidjan. Une première pour une pièce jouée en Côte d’Ivoire.
Marcellin Boguy
Légende photo : Le comédien Koami Vignon a joué à la perfection de rôle d’Harpagon dans la pièce « L’Avare » du metteur en scène Abass Zein inspirée de « L’Avare » de Molière.
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