Coopération/Après le Mali : Le Burkina Faso vers une rupture avec la France

L’armée française, à travers l’opération Barkhane, a totalement quitté le Mali depuis l’année dernière. Avant les soldats français, c’est l’ambassadeur de France à Bamako, Joël Meyer, qui a été prié par un décret présidentiel, le lundi 31 janvier 2022, de quitter le territoire malien au bout de 72h.

Ce qui fut fait. Depuis lors, les relations sont exécrables entre Paris et Bamako. Le lundi 21 novembre 2022, le régime de transition au Mali a annoncé l’interdiction des activités sur le territoire malien de toutes les ONG financées ou soutenues par la France, y compris celles opérant dans le domaine humanitaire.

A l’instar du Mali, le Burkina Faso dont la proximité avec le régime de transition du colonel Assimi Goita est de plus en plus active, a décidé d’ostraciser l’ambassadeur de France à Ouagadougou, Luc Hallade.

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Les autorités de la transition burkinabé conduites par le capitaine Ibrahim Traoré ont demandé à la France de rappeler son ambassadeur. Avant l’ambassadeur français, les autorités du Burkina Faso avaient expulsé du territoire burkinabé, en décembre 2022, la coordonnatrice du système des Nations Unies au Burkina Faso, Barbara Manzi.

Comme on peut le constater, le Burkina Faso s’achemine, comme le Mali, vers une rupture diplomatique et bien plus avec la France. Pour certains observateurs, Bamako, nouveau partenaire de la Russie, qui tirerait les ficelles. D’autant que le colonel Assimi Goita et son gouvernement auraient aidé et facilité la visite de travail à Moscou, en décembre 2022, du Premier ministre du gouvernement de transition du Burkina Faso, Apollinaire Kyélem de Tambela.

D’autres observateurs voient dans cette décision de rupture en vue avec la France, la volonté du capitaine Ibrahim Traoré et ses amis, tous pro-Sankara, de perpétuer la vision de feu le capitaine Thomas Sankara assassiné en 1987. A savoir s’émanciper de la France et de « l’impérialisme ». Dans ce texte ci-dessous, un journal guinéen « Le Djély » porte un regard critique sur l’attitude des autorités du Burkina Faso. Ce journal prédit un divorce inéluctable entre Ouagadougou et Paris, et alerte contre « ce nationalisme paradoxalement pro-Kremlin » qui semble animer les dirigeants burkinabè. Mais au-delà de tout, des questions subsistent :

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Moscou a-t-il vraiment la main derrière tout ce qui se joue au Mali et au Burkina Faso ? La France ne paie-t-elle son manque de volonté de réformer en profondeur ses relations avec l’Afrique afin de les adapter au contexte nouveau et aux exigences des populations africaines de plus en plus jeunes et ouvertes au monde ?

Didier Depry

Le texte du journal guinéen Le Djély

Pour la France, les choses ne s’arrangent guère sur le terrain africain. Jadis en terrain conquis, l’ancienne puissance coloniale perd de plus en plus pied sur le continent noir. D’abord la Centrafrique, puis le Mali et bientôt le Burkina Faso. Parce qu’il ne faut pas se leurrer, pour la France, l’horizon est sombre en ce qui concerne le Pays des hommes intègres.

Ayant surfé sur la vague antifrançaise qui s’exprimait dans les rues des villes africaines, pour réussir son putsch, le 30 octobre dernier, le capitaine Traoré est ouvertement plus porté sur Moscou que sur Paris. De ce point de vue, il se laisse inspirer davantage par Assimi Goïta que par Mamadi Doumbouya. A cet égard, la demande des autorités burkinabè adressée à la France, en vue du remplacement de son ambassadeur, est un message qui n’est pas anodin. Vu que cette exigence a été précédée par plusieurs autres incidents, ça sent la rupture. Ce qui, en soi, n’est pas nécessairement une calamité. Mais c’est à se demander si tout cela ne procède pas surtout d’un populisme de circonstance et si en conséquence, les nouveaux partenariats qui sont envisagés ou annoncés ne seront pas pires que ceux qui sont aujourd’hui dénoncés ?

Jamais deux, sans trois, dit-on. Eh bien, après la RCA et le Mali, la France se retrouve sous pression au Burkina Faso. Et au vu de la méfiance entre les deux parties, on parie que l’ancienne puissance coloniale sera poussée vers la sortie, comme ce fut le cas dans les deux précédents pays. Pourtant, Paris aura consenti quelques sacrifices pour qu’on n’en arrive pas à la rupture. Elle est ainsi restée plutôt discrète sur les attaques dont ses emprises diplomatiques ont fait l’objet dans le sillage du coup d’Etat qui, en début octobre dernier, avait porté le capitaine Traoré au pouvoir.

« On ne va pas (renoncer à tout notre engagement au Burkina Faso), parce qu’on a subi des attaques », disait d’ailleurs à ce sujet en novembre dernier, Luc Hallade, le diplomate dont le remplacement est aujourd’hui exigé par les autorités burkinabè. Mais en réalité, le rejet de la politique africaine de la France est particulièrement prégnant dans les rues de Ouagadougou et des autres villes du Burkina Faso. Et manifestement, le capitaine Traoré, à la différence de son prédécesseur, Damiba, préfère ne pas ramer à contre-sens de cette volonté populaire.

C’est ainsi qu’en recevant, le 29 novembre 2022, l’ambassadeur de France en poste à Ouaga, le premier ministre, Apollinaire Joachim Kyelem de Tambela, lui avait clairement fait part de ses « reproches et critiques ». Le même chef du gouvernement avait, devant les membres de l’Assemblée nationale de la Transition, annoncé que le Burkina se passerait désormais de l’appui des troupes françaises dans la lutte contre le terrorisme islamiste.

Puis, sont arrivées la suspension de la diffusion des programmes de RFI et l’expulsion de deux citoyens français accusés d’espionnage. Dans un tel contexte, la demande de remplacement du diplomate français n’est pas nécessairement une surprise. Elle s’inscrit dans le cadre d’une logique de dégradation que l’on observe depuis quelques semaines, dans les relations entre Ouaga et Paris.

Dans l’absolu, le discours qui voudrait que les pays sont libres de mettre fin à une relation diplomatique à tout moment, ne souffre d’aucune contestation. De même qu’il est loisible à tous les Etats de nouer les partenariats à leur guise. Et bien sûr, la France n’est pas exempte de reproches dans ses rapports avec le continent africain. Pour autant, ces bras de fer ostentatoires et sur fond d’un souverainisme douteux, sont à interroger ; ce nationalisme paradoxalement pro-kremlin, est quant à lui suspect. Oui, l’Afrique a besoin d’indépendance et de liberté. Oui, l’Afrique doit exiger qu’on la respecte.

Mais cette exigence doit davantage s’incarner dans une prise de conscience authentique, une jeunesse africaine formée et en bonne santé et une gestion rigoureusement responsable de nos ressources. C’est dire donc que le défi est aussi interne. Par ailleurs, l’ami qui vous veut du bien n’est pas nécessairement celui qui vous encense et vous caresse dans le sens du poil. Aussi, ceux qui entendent renvoyer les mauvais pour faire entrer les bons, devraient faire très attention.

Boubacar Sanso Barry
(source : ledjély-com)

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