Crise au Mali/ Les propositions de Don Mello

 Dimanche 9 janvier, la CEDEAO a rejeté le calendrier proposé par le Gouvernement malien, visant à prolonger la transition, de 6 mois à 5 ans, à compter du 1er janvier 2022, avant d’organiser des élections générales. Ce rejet est suivi d’un train de sanctions rappelant tristement la crise ivoirienne de 2011 :

– Gel des comptes des membres de la junte malienne dans les banques régionales ;

– Gel des avoirs maliens au sein de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ;

– Retrait de leurs ambassadeurs à Bamako ;

– Fermeture des frontières entre le Mali et les Etats membres de l’organisation ;

– Suspension de toutes les transactions commerciales avec le Mali, excepté pour certains produits de base.

 

La crise qui frappe le Mali est une crise profonde, pour laquelle il est important de s’interroger si les réponses militaire, électorale ou les sanctions constituent des réponses appropriées. Sans soutenir un coup d’Etat, il est important de savoir le gérer quand il survient pour ne plus que cela se reproduise. En effet, le 22 mars 2012, Amadou Toumani Touré fut renversé par un putsch, mené par le capitaine Amadou Haya Sanogo, dans un contexte de rébellion touareg et d’attaques djihadistes. Après une transition, Ibrahim Boubacar Keïta fut élu président de la République en septembre 2013, puis il sera réélu en 2018 sur fond de crise sécuritaire.

 

Le 18 août 2020, celui-ci fut renversé par un coup d’État dirigé par Assimi Goita à la tête du Comité National de Salut Public (CNSP). Le CNSP est contraint par la CEDEAO de mettre en place une transition civile. Suite à l’arrestation et la démission du Premier ministre de la transition Moctar Ouane et du président de la transition Bah N’Daw, Assimi Goïta assure la présidence de la transition depuis le lundi 24 mai 2021 et Choguel Maiga est Premier ministre. Tous ces coups d’Etat se déroulent sur fond de rébellion touareg et d’attaques djihadistes. Il convient donc de faire une analyse de la situation au Mali pour mieux apprécier le contexte de la crise entre la junte malienne et la CEDEAO.

 

Rebellions Touaregs et attaques djihadistes

La répétition des rebellions touaregs, depuis la pénétration coloniale jusqu’aujourd’hui, est certainement l’élément invariant de la crise malienne. La première rébellion touareg a eu lieu pendant la pénétration coloniale de 1916 à 1917 et dirigée par Ag Mohammed Wau Teguidda Kaocen. Cette rébellion a été écrasée par les forces coloniales françaises et leur chef tué. Le territoire des Touaregs a été réparti entre les différentes colonies : la Mauritanie, l’Algérie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Burkina. Ces nomades devaient donc s’habituer à des frontières. En 1963, après l’indépendance du Mali, les Touaregs revendiquent un territoire autonome (AZAWAD) pour se libérer des frontières coloniales et assurer la libre circulation de leurs troupeaux, leur accès à la nourriture et à l’eau. La révolte eu lieu de 1963 à 1964.

Cette révolte a été contenue par l’armée malienne bénéficiant de l’armement russe avec le soutien de l’Algérie et du Maroc. Le gouvernement a annoncé par la suite un certain nombre de programmes visant à améliorer l’infrastructure locale et les opportunités économiques. Les moyens n’ont pas suivi. En conséquence, le sentiment d’exclusion a refait surface. La répression, combinée à la sécheresse des années 1970, entraîne l’exil de familles au Niger, en Libye, au Burkina Faso, en Algérie, en Mauritanie et en Arabie Saoudite. Le sentiment d’exclusion se transforme peu à peu en haine.

En 1990, les gouvernements maliens et nigériens font face aux rebelles touaregs. Les différentes factions rebelles qui s’organisent à travers le Mouvement populaire de libération de l’Azawad (MPLA) de Lyad Ag Ghali, tissent des liens avec le Front Polisario, la Mauritanie, la Libye et l’Algérie. Cette rébellion conduit à des accords de paix, dits accord de Tamanrasset, le 6 janvier 1991. Le MPLA change de nom et devient le Mouvement Populaire de l’Azawad (MPA) cessant de revendiquer la partition du pays. Le 11 avril 1992, quatre groupes rebelles, dont le MPA, regroupés au sein des Mouvement et front unifiés de l’Azawad (MFUA) signent le Pacte national avec Bamako. Ce pacte consacre le statut particulier du Nord Mali. Il comprend 3 parties :

– les dispositions liées à l’arrêt définitif des hostilités et au règlement des questions relevant de la situation de conflit ;

– les dispositions d’ordre institutionnel ;

– les dispositions d’ordre économique.

Le 26 mars 1996, le MPA est dissous à l’occasion de la cérémonie de la Flamme de la Paix à Tombouctou en présence du président malien Alpha Omar Konaré et du président ghanéen Jerry Rawlings. A partir de 1996, Lyad Ag Ghali fréquente de plus en plus les milieux djihadistes et est acquis au fondamentalisme vers les années 2000, mais demeure hostile au terrorisme. Il contribue à la libération d’otage au nom du gouvernement.

Iyad Ag Ghali, chef du groupe islamique Ansar Dine.

En 2006, estimant que les promesses n’ont pas été tenues, les rebelles passent à l’offensive à Kidal et Ménaka. Lyad Ag Ghali fonde l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement (ADC), branche politique de la rébellion. Il en devient le Secrétaire Général. Le 4 juillet 2006, la médiation de l’Algérie entre l’ADC et le Gouvernement aboutit aux accords d’Alger pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal et fixant les modalités du développement du Nord Mali.

De 2007 à 2009, une nouvelle rébellion se déclenche sous la direction d’Ibrahim Ag Bahanga. Les principaux mouvements Touaregs lors de cette rébellion sont : Le Mouvement des Nigériens pour la Justice ; l’Alliance Démocratique du 23 Mai pour le Changement ; l’Alliance Touareg Niger-Mali. L’alliance Démocratique du 23 Mai pour le Changement est la branche politique de la rébellion dirigée par Lyad Ag Ghali. Le 7 octobre 2009, des accords de paix sont signés entre les différents groupes rebelles et les gouvernements nigérien et malien, mettant l’accent sur le développement économique et financier.

En 2011, Mouammar Kadhafi est renversé et tué. De nombreux combattants Touaregs de son armée regagnent le Mali où une nouvelle rébellion se prépare. Fin 2011, est fondé le Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA) revendiquant l’indépendance et dirigé par le Secrétaire Général Bilal Ag Cherif. Lyad Ag Ghali forme son propre mouvement djihadiste Ansar Dine lié à AQMI (Al Qaida du Maghreb Islamique) de Mokhtar Belmokhtar dit le Borgne issu d’une scission du Groupe Islamique Armé (GIA) bras armé des islamistes pendant la guerre civile Algérienne et ayant fait allégeance à Al Qaida. Ansar Dine se fixe pour objectif, l’application de la charia sur toute l’étendue du territoire Malien.

Au fil des ans, une partie de la population arabe et touareg locale a appris lentement à tolérer sa présence, en partie à cause de la capacité d’exploiter l’économie locale (orpaillage clandestin), de tirer profit des divers trafics illicites et d’assurer les services de base dans une région appauvrie qui s’est sentie abandonnée par le gouvernement central. Le déclenchement des attaques contre les bases militaires maliennes le 17 Janvier 2012 s’opère par les deux mouvements djihadistes et rebelles. Cette avancée provoque le coup d’Etat contre le président Toumani Touré le 22 mars 2012. Le 30 mars 2012, l’armée malienne abandonne Kidal et Lyad Ag Ghali fait une entrée triomphale dans la ville.

Le 6 avril 2012, par un communiqué publié sur son site, le MNLA déclare proclamer « irrévocablement, l’État indépendant de l’Azawad à compter de ce jour ». Le MNLA estime avoir atteint son objectif et prend position contre l’application de la charia, tandis qu’Ansar Dine vise tout le territoire malien pour l’application de la charia. Cette divergence provoque un affrontement entre le MNLA et les djihadistes enrichis par une dissidence d’AQMI, le MUJAO (Mouvement pour l’unité du djihadisme en Afrique de l’Ouest).

Les djihadistes passent à l’offensive et repoussent le MNLA qui abandonne ses positions au nord au profit des Djihadistes du Mujao, d’AQMI et d’Ansar Dine avec pour conséquence la destruction de sept des mausolées de Tombouctou classés sur la liste du patrimoine mondiale par l’UNESCO. Ils interdisent aux radios privés la diffusion de musique profane et décident d’appliquer la charia. Des milices d’autodéfense s’organisent pour contrer l’action des djihadistes et des rebelles.

En janvier 2013, les djihadistes lancent une offensive sur le sud du Mali, dont Lyad Ag Ghali est le principal initiateur. Le 9 janvier, il dirige l’assaut sur la ville de Konna qui est conquise. Cependant, cette attaque provoque dès le lendemain une intervention militaire de l’armée française avec le soutien de plusieurs pays africains. Les djihadistes d’Ansar Dine et d’AQMI abandonnent leurs positions et se réfugient dans l’Adrar des Ifoghas.

L’attaque française a des répercussions en Algérie. Les djihadistes algériens, accusant le gouvernement d’avoir laissé survoler le territoire algérien par l’armée française, attaquent une installation gazière et les forces algériennes mènent l’assaut. Bilan : 37 otages étrangers et 29 djihadistes tués. Le 25 avril, le Conseil de sécurité autorise une force de 12.600 Casques Bleus chargés de stabiliser le Nord : Mission intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MiNUSMA). Le 15 août, suite au deuxième tour des élections, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) est élu avec 77,61% des voix. Les Djihadistes, notamment AQMI, changent de stratégie et procèdent à des attaques terroristes et à des enlèvements de civils sur des lieux publics et sur des axes routiers concentrés au centre et au sud. Cette situation d’insécurité provoque une fois de plus, le 18 août 2020, le renversement d’IBK par un coup d’État dirigé par Assimi Goita à la tête du Comité national de salut public (CNSP).

Ce tour d’horizon montre que la crise malienne, vieille d’un siècle, a de multiples causes dont : Les revendications indépendantistes transnationales des mouvements touaregs pour fonder l’AZAWAD, le sous-développement socio-économique du Nord Mali, l’instabilité des pays voisins provoquée souvent par l’ingérence internationale, le djihadisme international. Cette dernière cause est nourrie par les premières. Pourtant, le Mali a le potentiel pour se donner les moyens de sa politique.

 

Le Mali en bref

Deuxième plus grande superficie de l’Afrique de l’Ouest après le Niger, le Mali a une superficie de 1 241 238 km2, divisé en 9 régions, dont 3 en zones revendiquées par la rébellion (Tombouctou, Gao, Kidal). Ces 3 zones représentent les 2/3 de la superficie du pays. La population malienne est de 21 116 492 habitants en 2021 avec 10 % de nomades. Le PIB est de 17,39 milliards USD en 2020. L’économie du Mali repose sur le coton, l’or, le bétail, les produits fruitiers et vivriers.  Outre l’or, le pays possède d’énormes potentiels miniers inexploités.

Le Mali produit officiellement 71 tonnes d’or en 2020 assurant plus d’un million d’emplois, ¼ du budget et ¾ des exportations. Il est d’ailleurs actuellement le troisième pays africain, derrière le Ghana et l’Afrique du Sud. Selon certaines sources d’information (International Crisis Group), l’orpaillage clandestin a une production qui avoisinerait les 50 tonnes/an. Une partie de la production est assurée par les djihadistes surtout à Tessalit.

Le fleuve Niger est une chance agricole unique qui permet plusieurs activités agricoles (riz, mais, mil, sorgho, pomme de terre, blé, banane etc.). Rivalisant avec le Bénin pour la première place en Afrique, la production du coton au Mali est de 700 000T/an en 2019 avec 2% de la production transformée et représente 22.4% des exportations. La production annuelle de mangue est aussi importante : 200 000T/an et celle du blé est de 8 000 tonnes. Le Mali est aussi un gros producteur et exportateur de bétail dans la région de l’Afrique de l’ouest avec un cheptel bovin de 7,8 millions de têtes et un cheptel caprin de 22 millions de têtes.

Le Mali possède aussi un énorme potentiel d’hydrogène naturel près de Bamako (réserve estimée : 703 milliards de m3). L’élimination des véhicules utilisant le pétrole en Europe en 2035, fait de l’hydrogène et du coltan les énergies d’avenir. Le Mali est l’un des rares pays au monde possédant de l’hydrogène. Le Mali possède aussi des réserves de pétrole vers sa frontière avec l’Algérie (un immense champ pétro-gazier sur environ 900 000 km2, à des profondeurs de 4 à 6 km) et de l’uranium vers sa frontière avec le Niger, notamment à Kidal et Gao.

 

Propositions de sortie de crise

Choguel Kokalla Maïga, Premier ministre du Mali.

La question de la rébellion touareg est répétitive et centenaire. Elle est liée à des revendications d’indépendance qui elles-mêmes sont liées au sentiment d’exclusion socioéconomique et politique. La réponse est certes d’ordre sécuritaire mais surtout politique et socioéconomique.

Sur le plan politique

Un consensus national est nécessaire pour la mise en œuvre d’un programme commun qui prend à bras le corps les causes de la crise. Les multiples alternances ou les vainqueurs exclus les vaincus de la gestion de l’Etat, n’ont point permis de régler la crise. Il faut donc une alternative inclusive et consensuelle. La demande d’indépendance du peuple touareg est risquée au niveau du continent africain qui héberge une multitude d’ethnies à cheval sur plusieurs pays et qui a besoin de construire des nations à partir des Etats issus de la colonisation. Seule la réalisation de l’unité politique du continent permettra d’éteindre ce risque.

Pour le moment les propositions de la junte issues d’une consultation nationale sont certainement la base minimale. Le calendrier de mise en œuvre est négociable avec la junte qui propose un intervalle de 6 mois à 5 ans, ce qui peut être compréhensible pour une crise qui dure depuis un siècle.

Contrairement à toutes crises dans la sous-région, le Mali court un risque de fracture de son territoire. En tout état de cause, la sanction n’est pas une réponse pertinente, car le monde a besoin du Mali pour apporter sa contribution à la crise écologique, et le Mali a besoin du monde pour mettre en valeur son riche potentiel. La CEDEAO doit donc employer le dialogue plutôt que les sanctions qui constituent un coup de pouce aux rebelles et aux djihadistes.

 

Sur le plan sécuritaire

Plusieurs pays concourent à la recherche de la sécurité au Mali. Ces pays s’organisent au sein de la MINUSCA et de l’opération TAKUBA, force européenne pilotée par la France en remplacement de l’opération Barkhane. Les peuples sont insatisfaits et réclament l’intervention de la Russie. A l’instar de l’opération TAKUBA, la réponse de la Russie s’est faite à travers un accord de coopération militaire comme celle qui a permis en 1963 de mettre fin à la crise. Seul le renforcement des moyens et des compétences de l’armée malienne peut permettre d’assurer la sécurité et la stabilité du territoire. La présence des forces étrangères doit avoir pour but la réalisation de ce programme. C’est la condition préalable pour une démocratie sécurisée.

 

Sur le plan économique

Le niveau de développement des infrastructures est encore faible pour la mise en valeur du potentiel du Mali. La mise en œuvre d’un programme commun de développement des voies fluviales, ferrées et routières sont au-dessus des ressources financières actuelles du pays. Leur développement exige un partenariat mondial.

Dr. Ahoua Don Mello

Cadre du PPA-CI, ancien DG du BNETD, ancien ministre

 

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