Ancien directeur général du Bureau d’études techniques et de développement (BNETD), ex-ministre de Laurent Gbagbo et ancien conseiller chargé des infrastructures d’Alpha Condé, Ahoua Don Mello est désormais consultant du patronat russe sur les dossiers africains et représentant pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale des BRICS, l’alliance entre la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud. Dans cette interview accordée à Radio France Internationale (RFI), il parle des relations entre l’Afrique, la Russie et les BRICS ainsi que celle s entre la France , les Etats Unis et le continent.
Comment expliquez–vous le rôle grandissant de la Russie en Afrique depuis cinq ans ?
Ahoua Don Mello : Il faut dire que l’histoire de la Russie avec l’Afrique a commencé par la lutte anticolonialiste et donc ce CV pèse lourd dans les relations entre l’opinion publique africaine et puis la Russie. Et aujourd’hui nous sommes à un carrefour où les peuples africains sont entrain de lutter pour faire sauter les derniers liens qui unissent encore les anciennes puissances coloniales et l’Afrique.
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Il est bien évident que son influence ne peut que grandir au vu du CV de la Russie en Afrique qui a commencé par se positionner du bon côté de l’histoire des peuples africains dans les années 45-60 lorsque les pays africains luttaient contre la colonisation.
En Centrafrique et au Mali, la Russie est vue comme une alternative à la France. Quel est de votre point de vue la différence d’approche entre les Français et les Russes ?
La France a un lien historique qui a commencé par la colonisation et qui se poursuit aujourd’hui par ce qu’on appelle la Françafrique. La France a signé des accords de coopération qui font qu’elle a des avantages préférentiels, d’abord l’accès aux marchés africains et puis aussi l’accès aux matières premières. Et donc ces avantages-là font que la France a beaucoup plus une tradition de coopération de types coloniales et néocoloniales ce qui fait qu’aujourd’hui quand vous prenez les pays africains surtout de l’Afrique francophone , vous voyez que ces pays peinent à sortir de leur sous-développement justement à cause de ces liens coloniaux .
Et donc l’approche doit changer. Du côté de la France, je pense qu’il est bon de prendre conscience que les liens, les derniers liens coloniaux qui existent encore entre la France et les pays Francophones, doivent sauter. Je pense notamment à la question monétaire, à la question militaire et puis aussi à la question de l’économie des matières premières ; pour moi, ces trois dimensions doivent être réduites de long en large ; de l’autre côté, vous avez la Russie qui se positionne, mais la Russie est beaucoup plus en attente des propositions venant des pays africains que l’inverse parce que vous ne verrez jamais la Russie venir imposer une politique à un pays africains. Ce n’est pas possible!
Mais n’y a-t-il pas des entreprises minières russes qui s’intéressent à certaines matières premières africaines comme la bauxite de Guinée- Conakry ?
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Mais, vous savez, l’accord entre la Guinée et la Russie était un accord d’abord militaire. Mais comment financer cet accord militaire ? C’était par le biais de la Bauxite. Je dirais que c’est comment financer ces accords qui a amené la Russie à s’intéresser à certains produits miniers. Donc elle opère dans le secteur minier pour financer ses accords de coopération avec ces différents pays africains .Mais ce n’est pas un acteur majeur, vous prenez en Guinée, l’acteur majeur dans le secteur de la bauxite, ce sont les Américains et les Chinois. La Russie a une part très minime.
Mais cet accord militaire entre Conakry et Moscou date de quand ? Je crois que c’est depuis l’indépendance, depuis les années Sékou Touré…
Oui, c’est depuis les années Sékou Touré. C’est à cette époque que cette politique a été mise en place. Sékou Touré n’avait pas les moyens de financer cet accord militaire donc c’est par le biais de la bauxite que cet accord a été financé.
Et vous dites qu’à la différence de la France, la Russie n’a pas d’influence militaire en Afrique. Mais n’y a-t-il pas le groupe Wagner en Centrafrique et au Mali ?
Le groupe Wagner, c’est ce qu’on appelle dans le jargon moderne, les sociétés militaires privées. Vous savez, depuis que les occidentaux ont commencé à réduire leur budget, ils ont sollicité les services des sociétés militaires privées, ou je dirais des Bob Denard modernisés parce qu’il y a plusieurs groupes de ce types en Afrique. Que ce soit des groupes américains et des groupes français, à travers des anciens gendarmes comme Robert Montoya où Paul Barill, on constate que de plus en plus les sociétés militaires gagnent du terrain en Afrique. Et donc, si le Mali estime que ça peut lui apporter, c’est son droit. Si la Centrafrique estime que ça peut lui être utile, c’est son droit. Mais il est aujourd’hui temps que les pays africains, sur le plan de la défense et de la sécurité, s’assument pleinement.
C’est-à-dire, qu’il ne faudrait pas que des sociétés militaires privées comme l Wagner prennent la place des armées nationales…
Ils sont là, ils doivent aider les forces de défenses et de sécurité à augmenter en puissance et en force.
Est-ce à dire, qu’une société militaire privée comme le groupe Wagner, ce ne sont pas de simple Instructeurs comme disent officiellement les autorité maliennes ?
Ce sont des Instructeurs puisqu’ils sont là pour former et aussi pour transformer les Forces de défenses et de sécurité.
Mais ce sont des combattants…
Tout militaire est un combattant, les anciens gendarmes de l’armée française qui ont combattu auprès des rebellions et des putschistes africains, on les connaît, Bob Denard a été un grand combattant.
En Centrafrique comme au Mali, le groupe Wagner est pointé du doigt par les Organisation de défense des droits de l’Homme, est-ce que vous ne craignez pas que ces exactions puissent ternir l’image de la Russie en Afrique ?
Non, ce sont des sociétés militaires privées en Afrique, c’est comme si on me disait, c’est vrai que l’image des Bob Denard n’est pas reluisante et qu’il est reproché à la France d’avoir utilisé ses services.
Certes le groupe Wagner est une société privée, mais elle est dirigée par Monsieur Prigogine qui est très proche du président russe, Vladimir Poutine, et elle combat actuellement les forces ukrainiennes aux côtés des forces russes…
Bouygues et Bolloré sont proches du gouvernement français mais ça ne veut pas dire qu’ils perdent du coup leur statut de sociétés privées. Non, je suis désolé, tes arguments ne tiennent pas la route.
Est-ce que vous ne craignez pas que les exactions dénoncées ne ternissent non seulement l’image du groupe Wagner mais celle de la Russie ?
Vous savez aujourd’hui, les droits de l’Homme sont instrumentalisés à travers le monde entier. Il y a des gens qui ont le permis de tuer ; quand ils tuent, c’est silence radio ; il y a d’autres qui n’ont pas ce permis-là, quand ils tuent, évidement ils sont épinglés. Donc en occident, on cherche à instrumentaliser la question des droits de l’homme parce qu’on voit le silence que les occidentaux observent, quand eux-mêmes ils sont responsables de ces exactions.
Moi, je me souviens du cas de la Côte d’Ivoire où on a accusé Laurent Gbagbo de tous les maux et on s’est rendu compte en fin de compte qu’il est innocent. Donc je veux dire que cette instrumentalisation a ses limites. Nous, en Afrique, on n’y croit plus. Dire que tel type a violé les droits de l’homme, tel autre ne l’a pas violé, on voit ce qui est dénoncé et ce qui est caché, et donc pour nous la question des droits de l’homme est devenu un instrument de politique des grandes puissances.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février dernier, les Africains sont divisés. Est-ce que l’annexion officielle par la Russie de Vladimir Poutine de quatre provinces ukrainiennes, c’était le 30 septembre, n’a pas suscité beaucoup d’inquiétudes chez les chefs d’Etat africains qui sont très attachés à la souveraineté et aux frontières ?
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Je crois que ça soulève beaucoup d’inquiétudes en occident. Vous savez, souvent les occidentaux cherchent à partager leurs inquiétudes avec nous, pays africains ; mais nous, en Afrique, on observe une certaine neutralité vis-à-vis de ce conflit. Quand vous allez en Russie parce que moi, je vais tout le temps, je vais aussi en Europe, je viens aussi en Afrique, donc j’essaie d’écouter tout le monde. Les arguments qui sont avancés par la Russie, ce ne sont pas les mêmes arguments que les occidentaux avancent. Ils estiment qu’il y a eu des élections, ils estiment que les peuples ont le droit de s’autodéterminer, ils estiment que s’ils ont le droit de s’autodéterminent pour s’allier à la Russie, c’est tout à faire normal que la Russie les accueille. Et donc pour eux, ils ont une autre vision.
Oui mais le vote de certains pays africains a changé entre le mois de mars et le mois octobre 2022, suite à l’annexion officielles de quatre provinces ukrainienne par la Russie…
Mais c’est leur droit, chacun a sa grille de lecture. Il y a deux principes sur les questions. D’abord le droit des peuples à s’autodéterminer, ça c’est important et l’intégrité des différents territoires, çà aussi c’est important. Et donc pour ceux qui estiment que les peuples ont le droit de s’autodéterminer et bien ils estiment que c’est tout à faire normal, qu’ils demandent adhérer à la Russie ; pour ceux qui estiment que ce n’est pas normal, ils devront se rendre compte que ce n’est pas normal.
Est-ce que cette annexion officielle par la Russie de quatre provinces ukrainiennes, ça ne risque pas de donner aux Africains, l’image d’une Russie impérialiste ?
Non, pas du tout ! La Russie a été anti-colonisatrice. Pour nous, c’est un CV qui pèse lourd dans notre analyse et dans notre rapport avec la Russie.
Oui mais ça, c’était il y a 60 ans. Je parle d’Aujourd’hui…
Mais aujourd’hui, la Russie ne fait pas autre chose que de se mettre du côté des forces progressistes qui luttent pour faire sauter les derniers boulons de la colonisation. Vous savez, la décolonisation est un processus, ça a commencé, il y a 60 ans mais il y a des liens coloniaux qui existent notamment au niveau du Franc CFA, au niveau de la présence militaire française, au niveau de l’économie des matières premières, il y a des liens coloniaux qui doivent disparaître.
Ce n’est pas normal que jusqu’aujourd’hui, une armée qui a été à l’avant-garde de la colonisation du continent africain continue de résider sur le sol africain ; dans les pays anglophones, vous ne verrez pas çà. Ce n’est pas normal que le Franc CFA qui a servi de coloniser l’Afrique serve aujourd’hui à pérenniser la Françafrique. Pour moi , ce sont des aberrations de l’histoire qui doivent disparaître.
Etes-vous hostile à toute présence de la France en Afrique ?
Non, pas du tout. Je parle bien le français, j’ai fait mes études en France, je crois que la France a un atout, c’est justement qu’elle partage la même langue que beaucoup de pays africains. J’ai fait ma formation en France, j’estime qu’il y a de très bonnes écoles en France que nous devons utilisées. Il y a de bons produits français que nous devons utiliser, il y a de bons laboratoires en France. Mais nous estimons qu’il y a des liens coloniaux qui doivent disparaître, c’est tout.
Ce mardi, à Washington, s’ouvre un sommet Etats Unis-Afrique, est-ce que les Américains n’ont pas les arguments à la fois politiques et économiques beaucoup plus importants que les arguments Russes sur le continent africain ?
Ce qui est sûr, c’est que pour nous, c’est une situation qui favorise le continent africain. Les Etats-Unis se réveillent brusquement pour proposer un sommet et pour faire encore des propositions, c’est bien à prendre. Et donc nous avons une panoplie de propositions et Je pense que c’est à l’Afrique de choisir le meilleur pour son continent.
Quand vous dites que les Américains se lève brusquement c’est à cause de la crise internationale provoquée par l’invasion de l‘Ukraine par la Russie ?
On constate qu’il y a une coïncidence et on constate que la position de l’Afrique a beaucoup gêné les Américains et les Occidentaux. Je constate qu’on convoque les Africains justement pendant cette période de crise ukrainienne .On verra ce qui va sortir là-bas.
Il y a eu un sommet Russie- Afrique à Sotchi en 2019, y aura-t-il un nouveau sommet en 2023 ?
Oui, tout est bon à prendre, c’est à nous de prendre le meilleur de chaque offre parce que l’Afrique n’a pas à choisir un camp ou un autre. Les besoins de l’Afrique sont tellement énormes que même aucun bloc ne peut les satisfaire, on a besoin que de tous les blocs se mobilisent autour du continent Africain et donc pour nous, tout est bon à prendre.
Donc il y aura un sommet Russie-Afrique en 2023
Oui, oui
Et ce sera quand ?
Pour l’heure, je n’ai pas la date précise mais ça sera en 2023
Ce sera en Russie à la fin 2023 ?
Oui, exactement.
Sur le plan économique, en tant que représentant de BRICS pour l’Afrique de l’ouest et centrale, quels sont les grands projets d’infrastructures que vous portez actuellement ?
D’abord les projets d’infrastructures, ce sont des projets qui sont dans l’agenda 2020-2063 de l’Union Africaine, en priorité, et aussi les projets que nous négocions directement avec les pays cibles qui ont été choisis pour les premières actions. Et donc dans l’Agenda 2020-2063, c’est vraiment les grands projets d’infrastructures d’interconnexion entre les Etats Africains. Et donc les infrastructures d’interconnexion concernent aussi bien les autoroutes, les routes, les chemins de fer, la télécommunication, l’énergie et tous les autres services connexes. Et donc, ce sont ces grands projets qui constituent le portefeuille de projets qui sont la cible des pays de BRICS vis-à-vis de l’Afrique.
Vu son poids économique, est-ce que la Chine n’est pas le poids lourd des BRICS ?
Evidemment que la chine est le poids lourd et il n’y a pas de doute. Nous devons faire en sorte que tous les pays BRICS augmentent leurs interventions en Afrique pour qu’on puisse rattraper très vite notre retard en matière d‘investissements en infrastructures et en industrie.
On dit que les investissements russes en Afrique représentent un 1% de l’ensemble des investissements venus de l’étranger sur le continent. Est-ce que cela ne prouve pas, en réalité, que le poids économique de la Russie est très faible ?
Mais il faut comprendre un peu la logique russe, l’Union Soviétique a eu pour longtemps, une vie politique d’autosuffisance c’est-à-dire produire pour les besoins. C’est le slogan socialiste. Et donc c’est avec Poutine qu’il y a eu un véritable patronat qui s’est développé, ce qu’on appelle en occident des oligarques. Et donc c’est maintenant que le patronat s’organise pour affronter le marché international. Pour nous, ça devient une opportunité et donc c’est tout à fait normal que le poids de la Russie soit faible .Mais notre souhait, c’est que ce poids augmente parce que je dis les besoins de l’Afrique sont énormes.
Est-ce que la Russie n’a pas tendance à se cantonner en Afrique à deux domaines qui sont la sécurité et les matières premières ?
Mais ce sont des domaines traditionnels. Aujourd’hui, pour nous, le plus important, c’est qu’on définisse une nouvelle politique et qu’on développe une nouvelle coopération avec la Russie pour que la Russie intervienne dans d’autres secteurs qui puissent permettre à l’Afrique de combler son déficit.
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