Concurrence économique, sociopolitique… : En Afrique, les fondations allemandes servent Berlin et combattent Paris

C’est en 2018, sous la Chancelière allemande de l’époque, Angela Merkel, que l’Allemagne a davantage démontrée qu’elle veut être plus active en Afrique. Mme Merkel a annoncé cela, le mardi 30 octobre 2018, lors d’un forum sur les investissements privés en Afrique appelé “Compact with Africa” avec la création d’un fonds d’un milliard d’euros pour favoriser les investissements de petites et moyennes entreprises (PME) européennes sur le continent. Ce nouveau fonds a servi à octroyer des prêts et des fonds propres aux PME européennes et allemandes qui souhaitent investir en Afrique.

 

« Pendant de nombreuses années nous avons été très concentrés sur l’Asie, je pense qu’à l’avenir le regard doit davantage se tourner vers l’Afrique », a déclaré la chancelière allemande. Angela Merkel estime que le continent africain dispose d’ « un énorme potentiel de croissance ». Ce nouvel intérêt de l’Allemagne pour les économies africaines trouve un écho en France dont le président Emmanuel Macron avait annoncé, en 2017 à Ouagadougou, le lancement d’un fond similaire d’un milliard d’euros également pour les PME africaines et françaises désirant investir en Afrique.

Cependant, contrairement à Berlin, la France est depuis très longtemps un acteur économique clé du continent à travers de grands groupes historiques comme Total dans le secteur des hydrocarbures, Société Générale dans le secteur bancaire ou Peugeot dans l’automobile.

 

 

Mais depuis une quinzaine d’années, les parts de marché des entreprises françaises sur le continent ne cessent de s’effriter et ont atteint leur plus bas niveau en 2017. Selon une étude de la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (Coface) publiée en juin, les parts de marché françaises à l’exportation vers l’Afrique “ont été divisées par deux, passant de 11 % en 2001 à 5,5 % en 2017”. Des pertes qui ont profité à la Chine et à l’Inde dont les produits bon marché ont envahi le continent grâce à une stratégie économique de plus en plus agressive.

À titre d’exemple, dans le secteur des machines ou des équipements, « le poids de la France dans les exportations vers l’Afrique a été divisé par deux entre 2001 (12 %) et 2017 (6 %), en raison de la concurrence de la Turquie et surtout de la Chine dont la part a été multipliée par huit pour atteindre un quart des exportations totales de machines », note la Coface. Avec des disparités plus grandes dans certains pays d’Afrique francophone comme l’Algérie, la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Sénégal.

Dans le secteur des appareils électriques et électroniques, la France, leader jusqu’en 2006, a vu ses parts de marché reculer à 3 % en 2017 (contre 16 % en 2001). Et que dire du secteur pharmaceutique où les parts de marché françaises à l’exportation ont été quasiment divisées par deux sur la même période (de 33 % en 2001 à 19 % en 2017), au profit de l’Inde dont le poids est passé de 5 % à 18 %, une croissance tirée par le secteur des médicaments génériques à bas coût.

Face à cette situation, la première puissance économique européenne, l’Allemagne, qui était jusque-là à la traîne en Afrique veut  renforcer sa place. Pour cela, Berlin a accru les activités de ses organisations non gouvernementales (ONG). Une réalité qui fait une grande concurrence aux ONG françaises qui sont en totale perte de vitesse sur le train en Afrique. Subventions, appui au dialogue politique, promotion de la démocratie… Les fondations allemandes servent les objectifs de politique étrangère qui leur sont directement ou indirectement assignés par Berlin.

Les fondations Konrad-Adenauer (proche des chrétiens-démocrates de la CDU), Friedrich-Ebert (liée aux sociaux-démocrates du SPD), Hanns-Seidel (appuyée par le CSU, de centre droit), Friedrich-Naumann (soutenue par les libéraux du FDP), Rosa-Luxemburg (affiliée au parti de gauche) et Heinrich-Böll (proche des Verts) sont toutes présentes sur le continent, où elles exécutent nombre de programmes en partenariat avec des acteurs locaux tout aussi différenciés. Ainsi, les fondations Konrad-Adenauer (KAS) et Friedrich-Ebert (FES) – les deux plus grandes de par leurs moyens –, intègrent et prolongent la politique étrangère de l’Allemagne, et consacrent en moyenne 15 % de leurs budgets à l’Afrique subsaharienne (sur plus de 500 millions d’euros).

Le modèle allemand des fondations politiques est unique au monde. Autant elles sont financées à plus de 95 % par des fonds publics inscrits au budget fédéral et gérés suivant les règles de la comptabilité publique allemande, autant elles sont indépendantes à la fois de l’État et des partis dont elles partagent les valeurs. Résultat, la clarification de leurs statuts à l’étranger, et particulièrement en Afrique, n’est pas toujours aisée.

Présentées et perçues tantôt comme des ONG, tantôt comme des agences de l’État allemand, parfois comme des think tanks ou comme le « bras diplomatique » des partis politiques dont elles sont proches, elles sont en réalité tout cela à la fois. Elles s’investissent, aux côtés de partenaires africains scrupuleusement choisis, dans la promotion de la démocratie, de l’État de droit, du dialogue social inclusif et d’autres valeurs, en fonction de leurs spécificités et de la situation des pays.

Leurs moyens d’action sont multiples : subventions pour des milliers d’étudiants et d’institutions africaines d’enseignement et de recherche, financement de bourses en sciences sociales dans des universités en Allemagne et sur le continent, mise en œuvre de projets d’éducation civique destinés à la fois aux civils, aux policiers et aux militaires, appui au dialogue politique, notamment dans le cadre des réformes institutionnelles…

Comme on peut le constater, les fondations allemandes affaiblissement progressivement mais sérieusement leurs concurrentes françaises sur le train africain. La France en est consciente mais elle est impuissante face au génie allemand.

Une contribution de

Koné Mohamed

Politologue malien

 

 

 

 

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