Centrafrique /  Manœuvres pour un 3ème mandat anticonstitutionnel : Pourquoi Faustin-Archange Touadéra s’accroche au pouvoir

 

Elu président de la République centrafricaine en 2016 puis réélu en 2020, Faustin-Archange Touadéra pourrait postuler à un 3ème  mandat si le projet de réforme de la Constitution qu’il s’active à engager, à cet effet, contre l’avis de l’opposition, de la société civile et de la Cour constitutionnelle,  aboutit. Un projet qui vise à faire sauter la limitation du nombre de mandats présidentiels fixée à deux. Pour justifier sa boulimie du pouvoir, l’actuel président de la Centrafrique  soutient : « C’est juste en République centrafricaine que nous avons mis un verrou pour dire que le chef de l’État peut être élu pour cinq ans et que ce mandat peut être renouvelable une seule fois. Quand vous parcourez les autres pays de la sous-région, vous voyez que cette limitation de mandat n’existe pas ».

Comparaison n’est pas raison, pourrait-on rétorquer au chef de l’Etat centrafricain. D’autant que les autres pays de la sous-région n’ont pas la même histoire sociopolitique que la République centrafricaine et puis l’inexistence de la limitation de mandats présidentiels ne constitue pas un bel exemple en matière de gestion démocratique du pouvoir. C’est assurément ainsi qu’on pourrait comprendre le refus de la Cour constitutionnelle de la Centrafrique et de sa présidente, la juge Danièle Darlan, d’accompagner  le président Faustin-Archange Touadéra dans son initiative. La juge Danièle Darlan avait clairement rappelé l’impossibilité de réformer la Constitution en Centrafrique.  Malgré la décision de la Cour constitutionnelle empêchant une réforme qui ouvrirait la porte à un troisième mandat du président centrafricain, le pouvoir de Bangui persiste pour un référendum sur cette question.

De ce fait, la présidente de la Cour constitutionnelle Danielle Darlan est devenue la bête noire du régime Touadéra dont il fallait se débarrasser à tout prix.  Le parti au pouvoir, le MCU, s’en prend même à elle lors de ses différents meetings. Comme il fallait s’y attendre, le couperet est tombé. Faustin-Archange Touadéra qui ne digère pas cette « empêcheuse à tourner en rond » a pris un décret pour la démettre de la tête de la Cour constitutionnelle en arguant que Danièle Darlan doit faire valoir ses droits à la retraite.  En clair, le motif de cette révocation est qu’à 72 ans, la présidente de la Cour constitutionnelle a atteint l’âge de la retraite dans l’Education nationale dont elle est issue puisqu’elle était professeure de droit à l’Université de Bangui avant de rejoindre la Cour constitutionnelle. Pourtant, les membres de la Cour constitutionnelle sont irrévocables avant la fin de leur mandat. Cette décision de Faustin-Archange Touadéra semble donc confirmer le « coup d’Etat constitutionnel » redouté depuis que Cour s’est opposée à la réforme voulue par le président centrafricain.

Dans un courrier daté du jeudi 27 octobre 2022 et adressé au chef de l’Etat de la Centrafrique, Faustin-Archange Touadéra , la juge Danièle Darlan révèle le caractère inconstitutionnel de la décision prise par le président de la République. « Les décrets Numéro 22.454 du 24 octobre 2022 rapportant les dispositions du décret Numéro17.114 du 22 mars 2017 relevant le juge Trinité Bango Sangafio  et moi-même de nos fonctions de juges constitutionnels et me relevant en tant que  présidente de la Cour , ces décrets n’ont malheureusement pas de base légale, ils sont inconstitutionnels. En effet, ils violent le statut des juges constitutionnels et les dispositions relatives à leur mandat », a-t-elle écrit dans le courrier dont nous avons pu obtenir copie.

Et Mme Danièle Darlan d’ajouter : « Le juge constitutionnel est indépendant de tout corps ou de toute corporation, il ne siège pas à la Cour en tant que Représentant du corps  qui l’a élu ou de l’Autorité qui l’a désigné. Le mandat du juge constitutionnel qui est de sept (7) ans est indépendant de l’évolution de sa carrière professionnelle et sa mise à la retraite n’a pas d’impact sur l’exercice de son mandat de juge. Ainsi, la mise à la retraite des juges ne peut avoir d’incidence sur la durée de leur mandat à la Cour constitutionnelle. Ceci est valable pour le juge Bango Sangafio , magistrat hors hiérarchie, que  pour moi-même, professeur d’Université. En ce qui me concerne,  une autre violation vient s’ajouter à celle-ci. En effet, en application de l’article 80 de la Constitution qui fixe le domaine de la loi, les garanties fondamentales du fonctionnaire sont du domaine de la loi ; aussi, un décret ne peut fixer les conditions de départ à la retraite, or c’est ce qui a été fait. »

 

La juge Darlan de préciser au président Touadéra :  « Toutes les informations autres que l’on a pu vous présenter sont de pures  manipulations juridiques servant à tenter de masquer la violation des dispositions constitutionnelles (…) Les décisions  que la Cour a prises et qui nous valent tous les ennuis auxquels nous devons faire face aujourd’hui le juge Bango Sangofio  et moi ont été prises en application de la Constitution  et elles ont été adoptées à l’unanimité des juges ».

 

Pourquoi le président Faustin-Archange Touadéra veut-il vaille que vaille briguer un 3ème mandat et pour cela modifier l’actuelle Constitution centrafricaine ?  Au- delà de la boulimie du pouvoir qui anime visiblement l’ancien professeur de mathématiques à l’Université de Bangui, le président de la Centrafrique est surtout mu par sa conviction et celle de ses partisans qu’il est le « messie » de la République centrafricaine. L’homme providentiel qui aurait ramené l’accalmie dans le pays et sous qui les mouvements rebelles sont devenus moins agressifs. Pour les militants de son parti politique le Mouvement cœurs unis (MCU), le président Touadéra, avec l’aide militaire de la Russie, est en train de venir à bout de l’insécurité en Centrafrique. Il faut donc lui donner un 3ème mandat rt pourquoi pas, un 4ème mandat, pour qu’il acheve le « bon travail » qu’il a entamé. Autre raison, selon eux, l’opposition serait incapable de faire mieux.

« Non », rétorquent les partis de l’opposition qui  se sont rassemblés au sein d’une coalition dénommée Bloc républicain pour la défense de la Constitution (BRDC) et ont déposé, le mercredi 31 août 2022, un recours devant la Cour constitutionnelle pour contester le projet de modification de la Constitution censé permettre au président Faustin-Archange Touadéra de briguer un troisième mandat. La tension politique est donc vive à Bangui et les signaux pour un nouveau basculement du pays dans un conflit armé sont visibles.

Didier Depry

 

 

 

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