46 soldats ivoiriens encore détenus au Mali  Francis Kpatindé (politologue) : « La diplomatie devrait triompher dans cette affaire »

C’est ce jeudi 29 septembre que trois chefs d’État mandatés par la Cédéao doivent atterrir à Bamako pour demander aux autorités militaires maliennes la libération des 46 soldats ivoiriens détenus depuis le 10 juillet dernier. Quelles sont les chances de réussite de leur mission ? Francis Kpatindé est enseignant à Sciences Po Paris et ancien journaliste apporte son éclairage.

 

RFI : Francis Kpatindé, bonjour. Que pensez-vous du discours très offensif du Premier ministre malien samedi 24 septembre, accusant le gouvernement français d’être « une junte au service de l’obscurantisme » et le président Mohamed Bazoum de ne pas être nigérien ?

C’est vrai qu’on n’est pas habitué à ce type de discours à une tribune des Nations unies. Il y a eu quelques cas précédents : un président iranien, Hugo Chavez, Castro avec des longs discours, Kadhafi également… Donc, ça a beaucoup surpris. Je voudrais juste parler de Mohamed Bazoum, je l’ai connu dans les années 1990, il a toujours été impliqué dans les affaires de son pays, le Niger. Il était venu à l’esprit à d’aucun d’entre nous qu’il puisse être étranger. Bazoum a peut-être des défauts, mais Bazoum est nigérien. Je trouve un peu maladroit de dire aujourd’hui qu’il serait étranger. Et de toute façon, s’il est étranger, c’est une affaire interne au Niger, ce n’est pas une affaire dont on doit discuter hors du Niger.

 

« L’ivresse de la junte malienne lui fait oublier le sens du protocole et de la diplomatie », dit le ministre nigérien Youssouf Mohamed Elmoctar. Est-ce qu’on peut parler d’ivresse ?

Je pense que toute forme de populisme a la vie courte. Si les militaires au pouvoir à Bamako veulent aller loin et veulent maintenir l’équilibre de leur pays, je pense qu’il faut être plus enrobé, faire davantage recours à la diplomatie. D’autant plus qu’ils ont un excellent diplomate au ministère des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, que j’ai connu aux Nations unies, qui est quelqu’un de très intelligent, d’assez enrobé, même si on peut parfois être surpris par certains de ses discours ou de ses propos récents.

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Est-ce que vous y voyez une influence de Moscou ?

Je ne crois pas que Moscou intervienne directement dans la diplomatie et dans les moindres faits et gestes du gouvernement malien. Il y a un problème de fond entre la France et les pays africains, et ce problème existait avant le retour des Russes en Afrique. Parce qu’il faut parler de retour, les Russes étaient en Afrique avant, au temps des révolutions. Donc, il y a un problème de fond, dont il faudra discuter de façon sereine pour relancer la relation entre la France et les pays africains francophones. Tant qu’on ne s’adresse pas vraiment aux vrais problèmes de fond, on passe à côté. Mettre tout ce qui se passe aujourd’hui, dans quelques pays africains comme le Mali, sur le compte des Russes, et de quelques soldats perdus russes qui agiraient en Centrafrique et au Mali, à mon avis, c’est mal poser le problème.

Voulez-vous dire que la réaction de Paris aux propos de Bamako n’est pas toujours pertinente ?

Ce n’est pas la réaction, c’est de se dire : « Bon tiens, il y a un problème, fouillons ». Il ne vous a pas échappé que beaucoup de jeunes en Afrique soutiennent le pouvoir malien, qu’il défendrait dans la rue. Vous avez vu l’accueil également du Premier ministre intérimaire à son retour des Nations unies à Bamako. Tout n’est pas manipulation, et tout n’est pas serein non plus du côté de Bamako.

Quelques jours après ce discours à l’ONU, le gouvernement malien accepte quand même de recevoir à Bamako une délégation de trois chefs d’État de la CEDEAO, qui demandent la libération des 46 soldats ivoiriens arrêtés le 10 juillet dernier. N’est-ce pas contradictoire ?

Non, cette visite est un bon indicateur, tout comme l’était la libération au début du mois de trois femmes-soldates ivoiriennes. Je trouve que ça va dans le bon sens. Cette mission peut contribuer à apaiser les esprits après le discours enflammé du Premier ministre intérimaire à New York. Je vous fais remarquer qu’il y a deux semaines, les autorités maliennes récusaient toute initiative de la Communauté régionale. Aujourd’hui, elles acceptent à deux jours près une visite décidée à New York par la CEDEAO. Le choix des émissaires ne doit rien au hasard, pour ménager la susceptibilité des Maliens. Le président togolais Faure Gnassingbé est sans doute le seul dirigeant de la région à avoir l’oreille et la confiance du colonel Assimi Goïta, et Faure Gnassingbé passe également pour être très proche du président ivoirien Alassane Ouattara, donc ça peut servir. J’ajoute que le ministre togolais des Affaires étrangères, Robert Dussey, est une vieille relation du colonel Assimi Goïta, bien avant que ce dernier n’accède au pouvoir. Si ça peut contribuer à faire avancer les choses, pourquoi pas.

 

Donc vous pensez que cette mission a une petite chance de réussir, mais pour autant, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, affirme que cette affaire des soldats ivoiriens n’est pas un problème de la CEDEAO, c’est entre le Mali et la Côte d’Ivoire.

Absolument, c’est la ligne des Maliens. Mais je remarque seulement qu’ils ont accepté une décision qui a été prise à New York, à une réunion à laquelle ils ne participaient pas. Donc, je pense que la CEDEAO est rentrée subrepticement dans le dossier et que la visite des trois chefs d’État à Bamako s’inscrit dans ce cadre. Je pense que la diplomatie retrouvera ses droits et permettra au Mali de revenir dans la Communauté régionale, et la diplomatie devrait triompher dans cette affaire.

 

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